Pas besoin de prêtres mariés ?
L’Eglise catholique n’aurait-elle pas besoin d’ordonner des prêtres «viri probati» – des hommes mariés d’âge mûr ayant fait leurs preuves – pour l’Amazonie ? Même si pour lui le célibat des prêtres n’est pas un dogme, le cardinal canadien Marc Ouellet se montre en tout cas sceptique face à une telle éventualité. Et ce malgré le fait que les communautés autochtones, dans la forêt, aient difficilement accès à un prêtre alors que l’eucharistie est considérée comme la source et le sommet de la vie chrétienne…
A la veille du synode pour l’Amazonie, le préfet de la congrégation vaticane pour les évêques souligne en outre, dans son livre Amici dello Sposo (Amis de l’Epoux), que le célibat des prêtres doit être compris comme «un acte de foi». Et d’affirmer qu’un homme puisse renoncer à une femme et une famille a un «potentiel évangélisateur incomparable». Pour lui, en cela, l’Eglise latine est plus «missionnaire que n’importe quelle autre».
Que dire alors des prêtres catholiques de rite oriental (copte, syriaque, chaldéen, maronite, syro-malabar, byzantin, arménien, guèze), dont les Eglises permettent l’ordination d’hommes mariés ? Elles sont pourtant en communion avec l’évêque de Rome. Seraient-elles «moins missionnaires» parce que leurs prêtres, dans leur majorité, sont mariés ?
Je me souviens – c’était avant la guerre! – , dans une bourgade chrétienne syrienne à quelques kilomètres au sud de Hama, la ville sur l’Oronte célèbre pour ses grandes norias séculaires, avoir visité le Père Elias Louis, curé de la paroisse grecque-catholique melkite. Il nous avait reçus dans sa maison, vêtu de sa longue soutane noire. A l’étage, quatre enfants s’ébattaient joyeusement, sous le regard bienveillant de Siham, sa jeune épouse âgée de 32 ans, enceinte de leur cinquième enfant.
«Ces prêtres mariés ne sont en tout cas pas moins actifs aux plans missionnaire et apostolique que les prêtres célibataires!»
Mgr Nehmé
Son évêque, Mgr Abraham Nehmé, de Homs, nous confiait alors que sur 19 prêtres, 13 étaient mariés. L’archevêque de rite byzantin ajoutait que ces prêtres, avec quatre à neuf enfants par famille, étaient «très prolifiques, mais aussi très engagés et très insérés dans la vie de la communauté».
Au cours de l’histoire, dans les villages et les montagnes de Syrie, le fait d’avoir des prêtres mariés a été décisif pour maintenir la foi. Il était plus facile de les choisir parmi les fidèles. En milieu rural, il était impossible d’avoir des prêtres célibataires: ils n’auraient de toute façon pas été acceptés, ce n’était pas dans les mœurs.
«Cette possibilité d’avoir un clergé marié a permis la préservation de nos traditions et de notre présence pastorale. Cela a évité que des populations entières ne se convertissent à l’islam ou redeviennent païennes. Dans le passé, il fallait quelqu’un du village pour assurer les sacrements, car il n’y avait ni routes ni moyens de communication».
Même son de cloche au séminaire majeur patriarcal copte-catholique de Saint-Léon-le-Grand, dans le quartier de Maadi, au sud du Caire. Le directeur nous confiait qu’il ne pouvait pas envoyer des prêtres célibataires dans les villages de Haute-Egypte, seulement des prêtres ordonnés après que leur mariage eût été éprouvé et s’avérait solide. Dans une société rurale traditionnelle, c’est seulement la femme du prêtre qui peut se rendre dans un foyer copte quand le mari est aux champs. Ces femmes de prêtres sont extrêmement précieuses pour maintenir la foi dans ces foyers dans un univers marqué par une culture musulmane très conservatrice.
En milieu musulman, les prêtres mariés ont souvent permis la survie de l’Eglise
Mgr Nehmé
Depuis quatre décennies, je visite fréquemment des Eglises catholiques orientales: j’ai été à maintes reprises dans les familles de ces prêtres, en Syrie, en Irak, au Liban, en Egypte et en Ethiopie, ou encore auprès de ces prêtres de l’Eglise grecque-catholique en Ukraine, en Palestine ou en Roumanie.
Dans ces Eglises, l’antique tradition de laisser la possibilité aux prêtres d’être mariés ou célibataires a été gardée. Chez les gréco-catholiques ukrainiens, plus de 80% du clergé sont des hommes mariés qui ont été ordonnés prêtres, au moins la moitié chez les maronites. Le pape François a autorisé depuis 2014 leur ordination et leur ministère en diaspora en Occident, où désormais nombre d’entre eux ont émigré.
Quand l’esprit curieux sortira de la sphère occidentale et latine, il découvrira la richesse d’une Eglise aux multiples visages, respectueuse des cultures et des traditions séculaires, qui, à l’évidence, n’est pas moins catholique que l’Eglise romaine.
Jacques Berset
6 octobre 2019
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