Où est-il ton Dieu?
J’écris ces lignes ce dimanche appelé La Trinité. Mise à part Madame Malbrough, si j’en crois la chanson, qui dans nos régions pourrait encore le savoir et s’en émouvoir?
Je suis encore sous le choc d’un article paru dans La Liberté du 18 mai dernier qui règle les comptes de l’Invisible. Il semblerait que le coronavirus l’ait réduit à l’état de coquille vide. La goutte de la pandémie a fait déborder le vase de l’incroyance. Ou plutôt déplacé l’espace du sacré. Désormais, les médecins ont pris la place des prêtres et la science – médicale – est devenue la nouvelle religion. Quant aux Eglises, pour garder pignon sur rue, elles se transforment en ONG qui tient son échoppe sur le marché de l’humanitaire. En un mot, l’horizontal a eu raison du vertical.
Ce n’est pas mon propos de savoir si le journaliste établit un constat ou affirme une conviction. Je dois toutefois convenir que son diagnostic sur la santé religieuse de nos contrées a quelque apparence de vérité. J’ai presque envie de m’écrier avec François Villon: «Mais où sont les neiges d’antan?» en me référant à un événement religieux – trinitaire – qui a ému voici bientôt un siècle un village de nos Préalpes fribourgeoises. Un fait divers, témoin du grand écart religieux qui nous sépare de cette époque pas trop lointaine.
«Dieu aurait-il quitté son Ciel – le vertical – pour se réfugier dans le monde des humains?»
En pleine crise économique et financière des années 1920 – 1930, les paysans de Semsales, en Veveyse, s’étaient donc mis en tête de détruire leur ancienne église pour en construire une autre plus spacieuse. Conseillé en haut lieu, l’architecte renommé Fernand Dumas fit appel à l’artiste Gino Severini pour peindre au fond de l’abside, à la portée de tous les regards, une représentation de La Trinité – nous y voilà! – non conventionnelle: les trois personnes divines alignées, sous la forme de trois individus masculins, absolument semblables. Seuls les attributs tenus dans leur main (le globe terrestre, la croix, la colombe) permettaient de les distinguer.
Branle-bas de combat dans le landerneau ecclésial et régional. Inimaginable de nos jours! Délation au Saint-Office qui décrète le 14 mai 1928 l’interdiction de représenter La Trinité sous une forme «triandrique». Après deux très habiles recours à Rome de Mgr Besson, l’évêque du diocèse qui avait béni le projet, l’affaire en reste là. La fresque n’a pas été détruite; elle trône toujours là où Severini l’a peinte.
La morale de cette histoire? La voici. L’art sacré contemporain ne redoute pas de représenter la divinité dans une perspective horizontale. Dieu aurait-il quitté son Ciel – le vertical – pour se réfugier dans le monde des humains? Un chrétien qui donne foi à l’incarnation n’a aucune peine de l’admettre.
Demeure toutefois la question qu’on lui pose ou qu’il se pose: «Où est-il ton Dieu?» Y répondre aujourd’hui n’est pas aussi simple qu’autrefois. Ce qui ne signifie pas que cette recherche soit vaine, ni que toute réponse soit illusoire.
Guy Musy
10 juin 2020
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