Guy Musy

L’islam aux éclats

Ce n’est pas chaque jour que l’on a sous la main un livre[1] qui nous offre en une centaine de pages une excursion rapide, précise et même scientifique dans la nébuleuse islamique. Généralement, les Occidentaux y perdent très vite le nord et leur latin. L’auteur, Emilio Platti, est Dominicain, professeur à l’université catholique de Leuven et membre de l’Institut Dominicain d’Etudes Orientales (IDEO) du Caire, une ville où il séjourna plusieurs années.

Emilio Platti, L’islamisme. Forme moderne du radicalisme islamique, Ed.Fidélité, Namur 2016,117 p. Emilio Platti, L’islamisme. Forme moderne du radicalisme islamique, Ed.Fidélité, Namur 2016,117 p.

Alors que les diverses factions musulmanes s’étripent sous nos yeux, chacune se réclamant d’un islam authentique et sans bavures, l’auteur débroussaille cette jungle et fait apparaître les principales artères de cette forêt à première vue inextricable. Passant assez vite sur les hostilités classiques et récurrentes – j’allais dire banales – qui déchirent depuis des siècles sunnites et chiites, il en vient à décrire trois mouvements radicaux contemporains qui commandent l’islamisme d’aujourd’hui et toutes ses dérives: le wahhabisme saoudien, le mawdûdisme pakistanais et le mouvement des Frères Musulmans d’Egypte. A l’origine de ces systèmes politico-religieux que nous appelons extrémistes, nous rencontrons des hommes intelligents et même vertueux qui veulent sauver l’islam en le ramenant à ce qu’ils prétendent être la pureté de ses origines. Leur paradis perdu n’est pas La Mecque du jeune Prophète Muhamad, persécuté par ses compatriotes, mais Médine où il s’enfuit et imposa sa loi, la sharî’a, par la force des armes.

«A l’origine de ces systèmes […] extrémistes, nous rencontrons des hommes intelligents et même vertueux qui veulent sauver l’islam»

Il y aurait donc deux grands courant en islam contemporain qui s’excommunient mutuellement: l’un qui prêche le retour à des sources médiévales révolues, intransigeant sur l’application stricte des commandements d’une loi confondue avec celle de Dieu, l’autre, spirituelle, favorable à une interprétation plus tolérante et humaine, dira-t-on, de ce même Coran reconnu par les uns et les autres comme révélation divine. Il va sans dire que le courant soufi, honni par les fondamentalistes radicaux, se réclame de cette dernière tendance, ainsi que les trop rares théologiens musulmans libéraux qui, courageux, ne craignent pas d’élever la voix.

Avec le souci de se faire mieux comprendre, l’auteur fait des rapprochements avec notre tradition chrétienne. Jésus d’abord, mais surtout son disciple Paul, auraient libéré les croyants d’une application pure et dure de la loi de Moïse. D’où les tensions survenues dans l’Eglise primitive. La «spiritualité» est considérée par les islamistes d’aujourd’hui, comme par les judéo-chrétiens d’autrefois, comme un venin pervers inoculé dans les consciences qui affaiblit l’observance de la loi. Ce qui pour les radicaux est une abomination à extirper par tous les moyens.

Il y a plus. Pour Platti, les musulmans radicaux considèrent les chrétiens qui distinguent et même séparent les affaires de Dieu de celles de César comme des «associateurs» polythéistes, puisque, se prenant pour Dieu, ils s’attribuent des prérogatives qui n’appartiennent qu à Lui. En s’octroyant le droit de gérer par leurs lois les affaires terrestres, ils se font les rivaux de Dieu. Pour l’islam radical, la laïcité est donc une autre idolâtrie à extirper.

Alors, «c’est l’islam!» ou «c’est pas l’islam!»? Il faudra bien le savoir si l’on veut un jour aplanir les chemins, je ne dis pas du dialogue, mais de la simple rencontre. Le premier pas consiste à se faire connaître, puis viendra le temps de… s’expliquer. Le livre de Platti favorise cette toute première démarche, absolument indispensable.

Guy Musy | 15.02.2016

[1] Emilio Platti, L’islamisme. Forme moderne du radicalisme islamique, Ed.Fidélité, Namur 2016,117 p.

Le magnifique minaret (XIIe siècle) de la mosquée Kalyan à Boukhara (Ouzbékistan) – appelé également «la tour de la mort», d'où l'on jetait les criminels
15 février 2016 | 10:17
par Guy Musy
Temps de lecture: env. 2 min.
Islam (393), Islamisme (66)
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