La monnaie insoumise par les dictatures
Une réalité que les dictatures ne parviennent pas à soumettre est la monnaie. Cela réjouit l’historien que je suis et cette insoumission est toujours vérifiée. Un exemple récent est la Russie. A cause de la guerre, le rouble a perdu plus de 50% de sa valeur depuis l’été 2022. Il faut aujourd’hui 115 roubles pour avoir un euro alors qu’il en fallait moins de 60 en 2022.
La raison en est simple. Pour financer son économie de guerre, la Russie crée massivement de la monnaie. Les statistiques officielles à cet égard sont trompeuses. La Russie annonce un faible déficit public, mais c’est la Banque Centrale qui alimente les dépenses de l’État. De même le chiffre officiel de l’inflation tourne autour de 9%, alors que les instituts non officiels l’estiment à plus de 20%. Les prix alimentaires confirment ces observations.
L’économie russe est donc malade d’une forte inflation. Le président Poutine dit que la situation est sous contrôle. En réalité elle ne l’est pas. Pour éviter des fuites de devises, la Banque Centrale a été obligée de monter son taux de prêt à plus de 20%. En Suisse il est de 0,5%.
Cette situation est riche de plusieurs enseignements. Pour évaluer une monnaie, il ne faut pas regarder le cours officiel mais son taux de change sur le marché. Celui-ci ne trompe jamais. Cela me rappelle un voyage fait en Pologne en 1977. Jeune assistant, je croyais encore les discours officiels sur la monnaie. Le gouvernement polonais affirmait alors que l’inflation était nulle et il refusait de changer le cours officiel du zloty. Dès la frontière franchie, au marché noir, le zloty ne valait que le dixième de sa valeur officielle, il reflétait une forte inflation. Le taux de change ne ment jamais et il est la contrepartie utile aux mensonges des pouvoirs dictatoriaux.
«En transformant son économie en économie de guerre, le pouvoir russe a provoqué de graves dommages monétaires et humains»
Le deuxième enseignement est que la baisse de la monnaie s’accompagne toujours d’une forte hausse des prix. Le peuple russe souffre de la guerre à un double titre. D’abord en devant réduire ses dépenses indispensables, en particulier d’alimentation. Ce sont toujours les plus pauvres qui souffrent de l’inflation même si, dans le même temps, une oligarchie accumule des bénéfices grâce aux ventes de pétrole ou à des trafics qui échappent aux sanctions internationales. Le peuple souffre également en subissant un nombre important de morts (115000) et de blessés (500000). Malgré le chiffre important de sa population, le Président Poutine a été obligé de faire appel à plusieurs dizaines de milliers de soldats nord-coréens.
En transformant son économie en économie de guerre, le pouvoir russe a donc provoqué de graves dommages monétaires et humains. Une dizaine d’années seront nécessaires pour s’en relever. Mais plus grave encore, il a prétérité plusieurs générations futures. Les investissements civils tels que le logement ou les transports ont été sacrifiés de même que le nécessaire renouvellement de la population. Le capital naturel n’a pas été entretenu ou même détruit dans les zones de combat. Le bilan de la guerre est donc extrêmement lourd. Un cessez-le- feu rapide permettrait de limiter les souffrances. Le pape François a raison de le demander à temps et à contretemps. Mais ce cessez-le-feu n’effacera pas la lourde ardoise d’un conflit qui s’est déroulé au cœur de l’Europe. Quelles que soient ses raisons, le pouvoir russe, en le déclenchant, porte une lourde responsabilité devant l’histoire.
Jean-Jacques Friboulet
15 janvier 2025
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