Paul Dembinski

La manne pétrolière – indument acquise

Le Père Noël n’a pas oublié les compagnies pétrolières. Leurs résultats provisoires s’affichent progressivement. Les sept principales compagnies – y compris le saoudien Aramaco, le plus grand de tous, ont vu le total de leurs bénéfices dépasser les 200 milliards de dollars pour 2022. Ces résultats provoquent des réactions médiatiques et politiques, souvent indignées. Au-delà des montants qui interpellent en soi, il y a l’horizon de la crise climatique et la toile de fond de la guerre en Ukraine.

Inutile de rappeler que l’énergie fossile reste essentielle pour notre société post-industrielle, qu’on le veuille ou non, et qu’elle est politiquement très sensible, comme le rappelle chaque jour la dépendance continue de l’Europe par rapport au gaz et pétrole russes. En dépit du plafonnement des cours négocié ces derniers mois, les matières fossiles russes restent très présentes en Europe bien que des efforts considérables aient été consentis en 2022, y compris par les populations, pour diminuer cette dépendance. Pour bien des pays, moindre qu’en début de la guerre, l’incertitude en matière d’approvisionnement en énergie (prix et quantités) demeure.

Réalisés en période d’instabilité générale, les bénéfices des compagnies pétrolière sont-ils immoraux? Quels critères utiliser pour en juger? Que faire?

Les bénéfices en question sont-ils extravagants? Oui, par rapport aux cinq années passées qui ont été celle des vaches plutôt maigres pour le secteur énergétique privé, comparé au reste des entreprises cotées en bourse. Par contre, si on rapporte le niveau des marges réalisées par les compagnies pétrolières cotées en comparaison avec le reste du marché, la différence subsiste mais s’estompe. En effet, les marges pétrolières se situent aux alentours des 15% en 2022, par rapport aux 10-13% pour le reste.

«Une solution pourrait être de contraindre l’industrie pétrolière de créer un fonds pour financer le développement des énergies propres»

Comment les bénéfices ont-ils été réalisés? Compte tenu de la complexité de cette industrie, et à cause de l’enchevêtrement de nombreuses activités au sein de chacune des entreprises, la réponse ne peut qu’être hypothétique. En effet, 2022 a été l’année d’une hausse (momentanée) du prix du pétrole et d’une flambée durable (à ce jour) du prix du gaz. Ces variations ont été répercutées sur les utilisateurs finaux de manière différenciée selon les pays et les catégories socio-professionnelles. Indiscutablement, les fournisseurs ont bénéficié de cette hausse qui a rogné le niveau de vie des populations. Il n’y a pas d’indications non plus quant aux mesures d’augmentation de la production qui auraient été prises pour atténuer la hausse des prix. En effet, les pétroliers semblent s’être rangés derrière l’OPEP qui a choisi de ne pas contrarier le joueur d’échec du Kremlin. Sans broncher donc, les compagnies ont laissé la manne géopolitique couler dans leurs escarcelles. Pendant cette même période, certains Etats (à l’instar de la France) baissaient les taxes, aucun geste analogue dans les stations-service des compagnies pétrolières.

Les bénéfices ont donc été engrangés alors que le prix de l’énergie mettait à mal le niveau de vie des populations. On pourrait ainsi conclure que les bénéfices récompensent l’inaction des fournisseurs face à une injustice, dont ils se sont rendus co-responsables. En effet, ils n’ont ni augmenté la quantité (le pouvaient-ils?) ni baissé les prix, ce qui était à leur portée. Le critère du «juste prix» peut être utilisé ici.

Que faire? Le ton a été donné par le président américain dès l’automne: une taxation extraordinaire serait selon lui la réponse appropriée. La Commission Européenne parle d’une «contribution de solidarité» visant les sommes dépassant la moyenne des bénéfices des trois dernières années. Selon l’OCDE, les Etats auraient déboursé plus de 160 milliards en subventions, soit 80% des profits 2022. Il y aurait donc ainsi une logique numérique à la compensation.

Une autre solution pourrait être de contraindre l’industrie de créer un fonds – peut-être avec un partenariat public – pour financer le développement des énergies propres non par des investissements (aux conditions de marché), mais par des crédits à des taux préférentiels.

De l’une ou l’autre manière, le bénéfice indument acquis serait retourné à ceux auxquels il revient moralement.

Paul Dembinski

8 février 2023

A qui doivent aller les bénéfices des compagnies pétrolières? © Zbynek Burival/Unsplash
8 février 2023 | 07:52
par Paul Dembinski
Temps de lecture : env. 3  min.
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