J’avance comme un âne! A chaque jour sa peine et…sa grâce
Et bien oui, je l’avoue humblement, je suis une personne à risque. Consolation de damné, je partage ce triste privilège avec quelques centaines de milliers de compatriotes qui depuis des lustres ont dit adieu à leur première jeunesse.
Sans doute, je ne porte pas d’étoile jaune cousue sur mon blouson et je n’agite pas de clochette pour alerter les passants quand il m’arrive de prendre un bol d’air ou de me faire caresser la joue par un brin de soleil. Quelques «regards obliques» peut-être, bien que mon choix de vie, mon âge et l’obligation fédérale de la «distanciation» m’imposent de ne pas musarder et, bien évidemment, de ne pas bécoter sur les bancs publics. N’en déplaise à notre cher ami Georges Brassens.
Ce qui ne m’empêche pas pour autant – ô bienheureuse oisiveté! – d’écouter, de lire, de regarder ce qui se raconte sur cette pandémie au si joli nom. De quoi rire et pleurer. De quoi paniquer aussi. Rédiger mes directives anticipées, souffrir – virtuellement – avec les enfants confinés, plaindre leurs parents convertis sur le tard en maîtres d’école, me réjouir avec leurs grands-mères qui, par internet interposé, passent des heures à leur lire des histoires, pieuses ou pas. Et que dire de ceux qui piaffent d’impatience de voir cette maudite page tournée pour reprendre leurs juteuses affaires? Et des généralistes qui redoutent l’effondrement de leur clientèle et la faillite qui s’envient?
«Pleurer avec ceux qui pleurent ne suffit pas».
Bien sûr, ma compassion va d’abord à la souffrance des malades, au désarroi des endeuillés, au corps médical tout entier qui mène au péril de sa vie un combat de titan contre cette hydre aux mille têtes. Des témoignages bouleversants me parviennent. Ils ressuscitent en moi les personnages de La Peste d’Albert Camus.
Je ne m’attarderai pas sur Rambert, le journaliste qui a choisi d’abandonner son poste pour rejoindre sa bien-aimée loin de la ville infectée et, du même coup, sauver sa vie. Ni sur les sermons incendiaires du Père Paneloux, avocat de la Justice divine qui a infligé ce châtiment. Non, l’heure n’est pas à la fuite ni à la théologie de pacotille, mais au courage tranquille du docteur Rieux, qui chaque jour fait ce qui doit être fait avec les moyens du bord pour juguler le fléau. Et sans se poser de questions inutiles.
J’ai pris ce médecin comme modèle. A ma toute petite et dérisoire mesure. Je ne suis pas au front, mais à l’arrière. Pleurer avec ceux qui pleurent ne suffit pas. Je dois encore encourager les combattants et ne pas céder moi-même à la résignation et au défaitisme. Sur cette pente raide, j’avance comme un âne, deux pas en avant, un autre en arrière. Au jour le jour. Puisque «à chaque jour suffit sa peine». Mais aussi sa grâce.
Guy Musy
1er avril 2020
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