Didier Berret

Évangile de dimanche: Un homme avait deux fils…

L’histoire très connue du fils prodigue en évoque une autre tout aussi célèbre et beaucoup plus ancienne. Celle d’un petit garçon à qui les parents donnent le prénom bizarre de «Tordu!» Ils le nomment ainsi parce qu’il naît juste après son frère jumeau qu’il tient par le talon. Le talon forme une courbe. Ils l’appellent donc le courbé, le tordu: en hébreu, Jacob! Cela passerait pour une simple anecdote, si ce prénom ne racontait aussi son caractère. Son frère Esaü le lui fait d’ailleurs remarquer: ce n’est pas étonnant que tu sois tordu puisque tu t’appelles ainsi! (cf Genèse 27,36)

C’est l’histoire de deux frères: le plus jeune réclame l’héritage avant son tour et fuit la maison. Dans son exil, ruiné, il cherche du travail. Jacob lui aussi part chez un oncle avec qui la relation est compliquée. Il finit par regretter son départ et songe à revenir.

Mais ce retour s’annonce difficile parce que taraude en lui la peur d’affronter ceux qu’il a floués. Retour humiliant, parce qu’il s’agit d’exposer devant l’autre ses propres limites. Jacob, comme le fils prodigue, imaginent dans leur tête des scénarios de retrouvailles: «Je ne mérite plus d’être appelé ton fils… traite-moi comme un serviteur » pense l’un, tandis que l’autre construit une stratégie d’accès «je lui ferai envoyer un gros cadeau pour bien le disposer à mon égard et puis après, je me présenterai à lui, peut-être acceptera-t-il de me pardonner…»

Dans le premier cas on nous présente l’excès de générosité d’Esaü, dans le second celui du Père.

«Seul celui qui peut, à nos côtés, nous montrer qu’il nous aime malgré tout, peut nous permettre, non seulement de restaurer notre passé, mais encore nous élever à une dimension nouvelle.»

Esaü en voyant son frère arriver court à sa rencontre, le prend dans ses bras, se jette à son cou et l’embrasse en pleurant. Comme le père de la parabole. Il n’y a pas de règlements de compte. Esaü refuse les cadeaux de compensation et les signes de pénitence que son frère lui propose. Le père de la parabole ne demande aucun compte non plus. Il ne désire que donner à son enfant, jadis emprisonné dans des fausses pistes, les habits de l’homme libre et fêter!

Celui qui prend conscience de n’avoir pas été à la hauteur, d’avoir triché, d’avoir été nul, celui-là n’est pas fier, il se sent moche, au point qu’il va même parfois se sentir indigne du pardon de l’autre: «traite-moi comme un esclave, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils…»

Celui qui prend conscience de la blessure infligée à l’autre, ressent le poids de honte que cette prise de conscience entraîne. Un poids de honte et de culpabilité si fort qu’il peut mener jusqu’à la mort, comme dans le cas de Judas (ou Pierre qui s’effondre en pleurs). Comment en effet se remettre debout lorsqu’en un geste, une phrase, en une heure, en une nuit, une vie s’écroule, une relation se perd? A cause d’une bêtise, d’une pulsion mal éduquée, d’une violence mal contenue.

Comment se remettre debout? Ou comment accepter ses limites lorsque l’on a l’impression d’avoir raté sa vie?

Lorsqu’en soi la culpabilité s’installe et fait douter de notre profonde dignité de fils de Dieu, seul l’amour reçu d’un autre peut nous remettre debout. Seul un regard d’amour sur ce qui en nous est tordu – un regard qui assume ce qui n’est pas droit – peut nous permettre d’accueillir nos existences imparfaites.

Seul celui qui peut, à nos côtés, nous montrer qu’il nous aime malgré tout, peut nous permettre, non seulement de restaurer notre passé, mais encore nous élever à une dimension nouvelle, nous ouvrir à la liberté. Lorsque ce quelqu’un est Dieu, il peut nous transformer.

Jacob, le tordu, comprend, lorsqu’il se laisse prendre en main par Dieu, lorsqu’il accepte d’être pris dans ses bras comme le fils prodigue, que les circonstances de sa naissance ne sont pas une fatalité de toute la vie. Et pour montrer que son fichu caractère – dans le seul miracle de deux bras qui s’ouvrent – peut devenir une force de vie, il reçoit un nom nouveau: Israël! Ça veut dire: Dieu remet droit.

Didier Berret | Vendredi 25 mars 2022


Lc 15, 1-3.11-32

En ce temps-là,
    les publicains et les pécheurs
venaient tous à Jésus pour l’écouter.
    Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :
« Cet homme fait bon accueil aux pécheurs,
et il mange avec eux ! »
    Alors Jésus leur dit cette parabole :
    « Un homme avait deux fils.
    Le plus jeune dit à son père :
›Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’
Et le père leur partagea ses biens.
    Peu de jours après,
le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait,     
et partit pour un pays lointain
où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
    Il avait tout dépensé,
quand une grande famine survint dans ce pays,
et il commença à se trouver dans le besoin.
    Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays,
qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.
    Il aurait bien voulu se remplir le ventre
avec les gousses que mangeaient les porcs,
mais personne ne lui donnait rien.
    Alors il rentra en lui-même et se dit :
›Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance,
et moi, ici, je meurs de faim !
    Je me lèverai, j’irai vers mon père,
et je lui dirai :
Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
    Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.
Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’
    Il se leva et s’en alla vers son père.
Comme il était encore loin,
son père l’aperçut et fut saisi de compassion ;
il courut se jeter à son cou
et le couvrit de baisers.
    Le fils lui dit :
›Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’
    Mais le père dit à ses serviteurs :
›Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller,
mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds,
    allez chercher le veau gras, tuez-le,
mangeons et festoyons,
    car mon fils que voilà était mort,
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé.’
Et ils commencèrent à festoyer.

    Or le fils aîné était aux champs.
Quand il revint et fut près de la maison,
il entendit la musique et les danses.
    Appelant un des serviteurs,
il s’informa de ce qui se passait.
    Celui-ci répondit :
›Ton frère est arrivé,
et ton père a tué le veau gras,
parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’
    Alors le fils aîné se mit en colère,
et il refusait d’entrer.
Son père sortit le supplier.
    Mais il répliqua à son père :
›Il y a tant d’années que je suis à ton service
sans avoir jamais transgressé tes ordres,
et jamais tu ne m’as donné un chevreau
pour festoyer avec mes amis.
    Mais, quand ton fils que voilà est revenu
après avoir dévoré ton bien avec des prostituées,
tu as fait tuer pour lui le veau gras !’
    Le père répondit :
›Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi,
et tout ce qui est à moi est à toi.
    Il fallait festoyer et se réjouir ;
car ton frère que voilà était mort,
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé ! »

«Mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ | © Evangile-et-peinture.org
25 mars 2022 | 17:00
par Didier Berret
Temps de lecture : env. 5  min.
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