Philippe Matthey

Evangile de dimanche: les multiples de l’amour

L’arithmétique de l’Evangile dépasse toute forme de calcul ordinaire. Alors que Pierre additionne jusqu’à sept le nombre recommandé du pardon, Jésus passe à la multiplication pour dépasser toute forme de limite au pardon. Le pardon est véritablement le produit de l’amour: il en est à la fois la forme la plus parfaite et le fruit le plus mûr.

Tout au long de l’histoire biblique, et contrairement à l’image ordinaire que l’on se fait de l’Ancien Testament, le psalmiste, les prophètes et aujourd’hui Ben Sira le Sage se réjouissent de la compassion d’un Dieu lent à la colère et plein d’amour. Ils y voient la marque de l’alliance indélébile entre Dieu et son peuple. Mais si l’amour est si total pourquoi y-a-t-il besoin du pardon?

Parce que l’amour est exigeant et qu’il établit une relation belle et fragile avec l’autre. Nous faisons l’expérience que parfois l’autre, différent de nous, peut être considéré comme un concurrent. Si c’est le cas, la violence n’est pas loin. Et lorsqu’il y a violence, les sentiments de vengeance établissent une spirale destructrice.

Dès la Genèse, la difficile fraternité met en danger les relations humaines. Non pour s’y résigner mais pour chercher comment la rétablir. Au nom du Dieu de l’alliance, le Sage nous encourage ne pas garder de rancune contre le prochain. Ce que Dieu est pour nous, nous pouvons le devenir pour les autres: la patience de l’amour va jusqu’au pardon.

«Seul celui qui fait l’expérience du pardon peut véritablement en devenir le témoin joyeux et reconnaissant.»

Dans l’évangile Jésus nous appelle à inverser le mouvement: si la spirale de la violence conduit à la mort, la spirale de l’amour conduit à la vie. Le Royaume des cieux est semblable à ce roi qui remet une dette illimitée. Ainsi Jésus répond à Pierre qui a compris que le pardon est le chemin pour gagner son frère mais qui reste empêtré dans le calcul. C’est déjà généreux de penser à pardonner sept fois mais Jésus le conduit plus loin: au-delà de toute mesure!

La patience de Dieu n’a pas de limites. Toute la Parole de Dieu nous conduit à la découvrir et en Jésus elle trouve son plein accomplissement. Le roi de la parabole, c’est lui, avec son Père. Venu auprès de la fragilité humaine il la remplit de la puissance de l’amour et lorsque celui-ci est menacé il multiplie la générosité de son pardon.

Pierre fera lui-même l’expérience du don total de l’amour, lui qui après sa trahison se voit confier par Jésus Ressuscité la mission de communiquer sa miséricorde. Seul celui qui reçoit l’amour peut en donner. Seul celui qui fait l’expérience du pardon peut véritablement en devenir le témoin joyeux et reconnaissant. A l’image du serviteur de l’évangile Pierre devient responsable du pardon de Dieu parce qu’il en a compris la mesure.

De cette mesure la croix en est le signe le plus absolu. Par sa mort et sa résurrection Jésus transforme en vie ce qui tendait à la détruire et il nous entraîne à vivre de même en lui appartenant. Paradoxalement la croix du Christ devient le signe de notre liberté: notre actualité en a bien besoin!

Philippe Matthey | Vendredi 15 septembre 2023


Mt 18, 21-35

En ce temps-là,
    Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander :
« Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi,
combien de fois dois-je lui pardonner ?
Jusqu’à sept fois ? »
    Jésus lui répondit :
« Je ne te dis pas jusqu’à sept fois,
mais jusqu’à 70 fois sept fois.
    Ainsi, le royaume des Cieux est comparable
à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.
    Il commençait,
quand on lui amena quelqu’un
qui lui devait dix mille talents
(c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent).
    Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser,
le maître ordonna de le vendre,
avec sa femme, ses enfants et tous ses biens,
en remboursement de sa dette.
    Alors, tombant à ses pieds,
le serviteur demeurait prosterné et disait :
›Prends patience envers moi,
et je te rembourserai tout.’
    Saisi de compassion, le maître de ce serviteur
le laissa partir et lui remit sa dette.

    Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons
qui lui devait cent pièces d’argent.
Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant :
›Rembourse ta dette !’
    Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait :
›Prends patience envers moi,
et je te rembourserai.’
    Mais l’autre refusa
et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait.
    Ses compagnons, voyant cela,
furent profondément attristés
et allèrent raconter à leur maître
tout ce qui s’était passé.
    Alors celui-ci le fit appeler et lui dit :
›Serviteur mauvais !
je t’avais remis toute cette dette
parce que tu m’avais supplié.
    Ne devais-tu pas, à ton tour,
avoir pitié de ton compagnon,
comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?’
    Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux
jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.

    C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera,
si chacun de vous ne pardonne pas à son frère
du fond du cœur. »

«Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 fois sept fois.» | © Flickr/Lawrence OP/CC BY-NC-ND 2.0
15 septembre 2023 | 17:16
par Philippe Matthey
Temps de lecture : env. 4  min.
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