Pierre Emonet

Évangile de dimanche: L’amour plus que le culte

Après une série de polémiques avec les pharisiens et les sadducéens, voici enfin une rencontre plutôt sympathique et bienveillante qui prouve qu’il est possible de s’entendre sur l’essentiel. Malheureusement, le passage retenu pour la liturgie de ce dimanche a escamoté le début du récit qui explique que le scribe s’adresse à Jésus parce qu’il estime qu’il a bien répondu aux sadducéens qui lui avaient tendu un piège.

L’homme se demande s’il y a un ordre hiérarchique entre les 613 préceptes de la Loi dont il est un interprète averti. Comment dégager l’essentiel dans ce dédale juridique? Aujourd’hui encore la question est récurrente pour le lecteur de l’Évangile, souvent perplexe, tiraillé entre des obligations apparemment antagoniques.

«L’anthropologie de l’époque est convoquée pour préciser que c’est avec tout l’être qui est mobilisé dans la rencontre avec Dieu»

Jésus commence par rejoindre le scribe sur son terrain en lui rappelant la grande prière que tout Juif est tenu de réciter matin et soir: Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur…. Avant de se demander que faire, il s’agit de confesser sa foi en redisant son attachement absolu au Dieu unique. L’anthropologie de l’époque est convoquée pour préciser que c’est avec tout l’être qui est mobilisé dans la rencontre avec Dieu, l’affectivité, l’intelligence, les énergies, la vie entière.

La question du scribe concernait le premier de tous les commandements. Dans sa réponse, Jésus cite spontanément le deuxième commandement, comme s’il s’agissait de l’élargissement d’un seul et unique précepte, des deux faces d’une même médaille.

Puisque qu’un être humain n’est jamais une monade solitaire, l’amour du prochain est l’incarnation de sa relation à Dieu, le débordement du premier commandement, l’aune à laquelle il convient de mesurer l’authenticité de la foi : tout ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25,40).

«En donnant raison au scribe, Jésus ouvre l’horizon: le Royaume de Dieu est aussi vaste que l’amour.»

Le scribe qui l’a fort bien compris en tire aussitôt une conséquence. Le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain l’emporte donc sur toutes les autres pratiques religieuses, sur le culte, les sacrifices et les sacrosaintes liturgies du Temple. Pour la caste sacerdotale cette remarque est provocatrice.

Jésus n’en félicite pas moins celui qui a compris que les frontières de la vraie religion dessinent un périmètre bien plus vaste que celui tracé par les statistiques officielles qui dénombrent les participants aux cérémonies religieuses. En lui donnant raison, Jésus ouvre l’horizon: le Royaume de Dieu est aussi vaste que l’amour.

«Ce n’est point quitter Dieu que quitter Dieu pour Dieu.»

Dans un tout autre contexte, un mot de saint Vincent de Paul illustre bien la judicieuse remarque du scribe. À des religieuses mobilisées par le soin des pauvres au point de ne pas pouvoir participer aux exercices de piété prévus par leur règle, il écrit: «Ce n’est point quitter Dieu que quitter Dieu pour Dieu, c’est-à-dire une œuvre de Dieu pour en faire une autre…»

Pierre Emonet SJ | Vendredi 1er novembre 2024


Mc 12,28-34

En ce temps-là,
    un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander :
« Quel est le premier de tous les commandements ? »
    Jésus lui fit cette réponse :
« Voici le premier :
Écoute, Israël :
le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur.
    Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur, de toute ton âme,
de tout ton esprit et de toute ta force.

    Et voici le second :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. »
    Le scribe reprit :
« Fort bien, Maître,
tu as dit vrai :
Dieu est l’Unique
et il n’y en a pas d’autre que lui.
    L’aimer de tout son cœur,
de toute son intelligence, de toute sa force,
et aimer son prochain comme soi-même,
vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. »
    Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse,
lui dit :
« Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. »
Et personne n’osait plus l’interroger.

En mettant l’amour au centre de tout, nous pouvons en être sûrs: nous ne serons jamais loin du Royaume des cieux. | © Flickr/Lawrence OP/CC BY-NC-ND 2.0)
1 novembre 2024 | 17:00
par Pierre Emonet
Temps de lecture : env. 3  min.
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