Bernard Litzler

Evangile de dimanche: Durs à cuire et tendres à croire

Des «durs à cuire» bardés de cuir, tels sont les pharisiens. Leurs phylactères, ces petits boîtiers contenant des mots de la Torah, sont fixés avec des courroies de cuir sur leur front et leur bras gauche. Des gens pieux, assurément, dont Jésus loue d’abord l’enseignement: «Tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le». Mais – il y a un mais dans cet épisode évangélique – «n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas».

Il y a la parole et les actes. Le discours est louable, les comportements moins. Jésus remet «l’église au milieu du village» israélite. Car ceux qui enseignent dans la chaire de Moïse en détournent le sens: normalement, cette chaire devait rester vide. Ce vide signifiait la volonté pour le peuple juif de se livrer à la Parole reçue de Yahvé, au-delà de ses interprètes. Cette place non occupée renvoyait au surgissement toujours possible d’un prophète. Ainsi les scribes et les pharisiens dont parle Jésus s’arrogent une position qu’ils n’ont pas le droit d’occuper.

Leur position en surplomb n’est pas admissible, dénonce Jésus. Alors, en opposition à ces pratiques voyantes, le Christ enseigne à ses disciples les bonnes manières: pas de titre de Rabbi, pas de Père artificiel, pas de titre de maître.

Ces conseils, qui ont des parentés avec son enseignement du «Notre Père», cimentent une autre image de Dieu. Car Jésus enseigne la fraternité («Vous êtes tous frères»), il rend hommage au Père («Vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux») et – verset étonnant – il prend lui-même la posture du Maître («Vous n’avez qu’un seul maître, le Christ»). Le mot «seul», de surcroît, fait écho au monothéisme de la Torah: «Toi le seul Dieu des royaumes de la terre» (2 Rois 19,15). Oui, Dieu est le seul Père, le Christ le seul Maître, c’est là le cœur de notre foi.

«Nous sommes jugés sur la pertinence de nos réponses, individuelles et collectives. Croire au Dieu unique et en Jésus le Sauveur nous engage.»

Cette leçon magistrale se clôt par l’axiome fondamental de l’humilité: «Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé». Un enseignement qui irrigue l’Eglise depuis toujours, même si la tentation du pouvoir et des honneurs, ne l’a pas épargnée. Souvenons-nous du discours du pape François secouant les membres de la Curie romaine, en décembre 2014: il fustigeait les quinze maladies frappant le petit monde romain. En Christ, il n’y a pas de place pour la mondanité et l’autoglorification, le carriérisme et l’opportunisme qui transforment le service en pouvoir. Comme Jésus en son temps, le pontife contestait ceux qui se mettent à calomnier, diffamer, pour s’exhiber et montrer qu’ils sont plus capables que les autres.

Cet effort d’humilité vraie est aujourd’hui demandé à toute l’Eglise. Tout comme le prophète Malachie, dans la première lecture, face aux prêtres de Jérusalem, qui sont accusés d’avoir trahi l’Alliance, alors que «nous avons tous un seul Père».

Le Synode sur la synodalité actuellement en œuvre constitue une occasion pour notre Eglise de se purifier de ses comportements inadéquats: le chantier ouvert en octobre 2021 entre dans une phase d’allers-retours avec le Vatican, suite à la grande rencontre des 365 délégués en octobre à Rome. La crédibilité de notre engagement chrétien y est mise à l’épreuve. Afin de ne pas en rester à une parole d’hommes, mais, comme le dit Paul aux Thessaloniciens dans la deuxième lecture, que le monde voie «la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous». Cette parole qui traverse tous les baptisés est aujourd’hui jugée à sa cohérence, dans un monde qui n’admet plus les approximations et les comportements déviants.

Nous sommes jugés sur la pertinence de nos réponses, individuelles et collectives. Croire au Dieu unique et en Jésus le Sauveur nous engage. Nous sommes tous des durs à cuire, réticents à la purification. Mais aussi des tendres à croire en demandant au Christ de nous transformer pour être conformes à lui: tous frères, enfants d’un même Père et disciples d’un seul Maître.

Bernard Litzler | Vendredi 3 novembre 2023


Mat 23, 1-12

En ce temps-là,
Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples,
et il déclara :
« Les scribes et les pharisiens enseignent
dans la chaire de Moïse.
Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire,
faites-le et observez-le.
Mais n’agissez pas d’après leurs actes,
car ils disent et ne font pas.
Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter,
et ils en chargent les épaules des gens ;
mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens :
ils élargissent leurs phylactères
et rallongent leurs franges ;
ils aiment les places d’honneur dans les dîners,
les sièges d’honneur dans les synagogues
et les salutations sur les places publiques ;
ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi,
car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner,
et vous êtes tous frères.
Ne donnez à personne sur terre le nom de père,
car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres,
car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
Qui s’élèvera sera abaissé,
qui s’abaissera sera élevé. »

«Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé.» | Flickr/Lawrence OP/CC BY-NC-ND 2.0
3 novembre 2023 | 17:00
par Bernard Litzler
Temps de lecture : env. 4  min.
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