Sœur Anne-Sophie

Évangile de dimanche: D’un fils aîné à l’Autre

On appelle communément la parabole offerte à notre méditation ce dimanche la parabole de l’enfant prodigue. Certains l’ont appelée la parabole du père prodigue, en référence à la miséricorde sans borne que ce dernier déverse avec profusion sur le fils dépensier qui revient à lui la faim au ventre. Mais ne pourrait-on pas tout aussi bien, et peut-être même davantage, l’appeler la parabole du fils aîné? Trois raisons à cela.

«En s’identifiant au fils aîné, les pharisiens pourraient peut-être comprendre le problème…»

D’abord, à cause du contexte dans lequel Jésus l’énonce. Cette parabole est en effet une réponse aux récriminations des pharisiens qui lui reprochent de faire bon accueil aux publicains et aux pécheurs. Tout comme le fils aîné courroucé, ils sont apparemment des fils soumis et sages, habitant la maison de Dieu dans l’obéissance, de parfaits serviteurs mais intraitables vis-à-vis des récalcitrants, des relâchés, des pécheurs. Pire! Ils pensent ainsi défendre la cause de Dieu, ignorant tout de sa miséricorde. Ils sont des serviteurs, pas des fils. En s’identifiant au fils aîné, ils pourraient peut-être comprendre le problème.

«Pourtant, l’aîné ne jouit pas de sa part; il considère même que les biens sont toujours à son père»

Une deuxième raison, c’est que grâce au personnage du fils aîné, nous avons la définition même de ce que c’est d’être fils du Père: «Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.» Être fils du père, ce n’est pas être un bon intendant de ses biens. Pas même être son héritier. C’est avoir les biens en commun avec lui et être toujours avec lui. Entendons-nous: la parabole concerne le lien des croyants à Dieu et non la relation humaine de filiation pour laquelle la séparation des biens et des personnes est nécessaire. Dans la parabole, il est dit qu’à la demande du cadet, le père leur partage ses biens. Chacun des deux a sa part. Et pourtant l’aîné ne jouit pas de la sienne. Il considère même que les biens sont toujours à son père: «Jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis.» Or le chevreau, il est déjà donné! Le père n’est pas dans une logique de succession, d’héritage, mais d’alliance. Zéro concurrence en régime d’alliance !

«Le Père attend que le cœur des aînés soit parfaitement accordé au sien en fait de miséricorde…»

La troisième raison, c’est que le vrai fils aîné que sont appelés à devenir tant les publicains et les pécheurs que les scribes et les pharisiens – et donc nous aussi – c’est celui-là même qui raconte la parabole: Jésus. Il est ce Fils aîné toujours avec le Père: «Le Père et moi, nous sommes un» (Jn 10,30) «Tout ce que possède le Père est à moi» (Jn 16, 15). Il y a plus: comme Fils aîné du Père, premier-né d’une multitude de frères, Jésus est ce fils aîné qui, au lieu de récriminer à propos de son frère cadet et de ses frasques, se fait l’envoyé du Père pour partir à la recherche des fils perdus. Le Père ne guette plus seulement le retour des cadets, mais il les attend portés en triomphe par leur Frère aîné dont le cœur est parfaitement accordé au sien en fait de miséricorde, de surabondance, de joie. De chiche, l’aîné est appelé à devenir prodigue de l’amour du Père reçu et communiqué. Et le cadet de même. Et nous de même…

Sr Anne-Sophie Porret OP | Vendredi 28 mars 2025


Lc 15, 1-3.11-32

En ce temps-là,
    les publicains et les pécheurs
venaient tous à Jésus pour l’écouter.
    Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :
« Cet homme fait bon accueil aux pécheurs,
et il mange avec eux ! »
    Alors Jésus leur dit cette parabole :
    « Un homme avait deux fils.
    Le plus jeune dit à son père :
›Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’
Et le père leur partagea ses biens.
    Peu de jours après,
le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait,     
et partit pour un pays lointain
où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
    Il avait tout dépensé,
quand une grande famine survint dans ce pays,
et il commença à se trouver dans le besoin.
    Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays,
qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.
    Il aurait bien voulu se remplir le ventre
avec les gousses que mangeaient les porcs,
mais personne ne lui donnait rien.
    Alors il rentra en lui-même et se dit :
›Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance,
et moi, ici, je meurs de faim !
    Je me lèverai, j’irai vers mon père,
et je lui dirai :
Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
    Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.
Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’
    Il se leva et s’en alla vers son père.
Comme il était encore loin,
son père l’aperçut et fut saisi de compassion ;
il courut se jeter à son cou
et le couvrit de baisers.
    Le fils lui dit :
›Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’
    Mais le père dit à ses serviteurs :
›Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller,
mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds,
    allez chercher le veau gras, tuez-le,
mangeons et festoyons,
    car mon fils que voilà était mort,
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé.’
Et ils commencèrent à festoyer.

    Or le fils aîné était aux champs.
Quand il revint et fut près de la maison,
il entendit la musique et les danses.
    Appelant un des serviteurs,
il s’informa de ce qui se passait.
    Celui-ci répondit :
›Ton frère est arrivé,
et ton père a tué le veau gras,
parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’
    Alors le fils aîné se mit en colère,
et il refusait d’entrer.
Son père sortit le supplier.
    Mais il répliqua à son père :
›Il y a tant d’années que je suis à ton service
sans avoir jamais transgressé tes ordres,
et jamais tu ne m’as donné un chevreau
pour festoyer avec mes amis.
    Mais, quand ton fils que voilà est revenu
après avoir dévoré ton bien avec des prostituées,
tu as fait tuer pour lui le veau gras !’
    Le père répondit :
›Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi,
et tout ce qui est à moi est à toi.
    Il fallait festoyer et se réjouir ;
car ton frère que voilà était mort,
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé ! »

«Le retour du Fils prodigue». Par Michel-Martin Drolling. 1806 | Wikipedia commons
28 mars 2025 | 17:00
par Sœur Anne-Sophie
Temps de lecture : env. 5  min.
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