Sœur Anne-Sophie

Évangile de dimanche: Arbres à poutre ou arbres à fruits?

Entre la paille et la poutre la différence est de taille : minuscule et légère la première, énorme et pesante la seconde. En utilisant cette image, Jésus adresse-t-il simplement un reproche à ceux qui accusent les autres de peccadilles alors qu’eux-mêmes commettent des péchés colossaux tout en se croyant impeccables ? L’évangéliste Matthieu utilise, lui, l’image du moucheron qui est filtré alors que le chameau est avalé. Petit contre gros.

«Pourquoi Jésus parle-t-il de poutre et non de tronc d’arbre?»

Mais entre la paille et la poutre, il n’y a pas qu’une différence de grosseur. La paille est un élément naturel, un déchet du blé voletant au gré du vent, une fois ici, une fois là, malencontreusement dans un œil… La poutre, elle, bien que faite d’un élément naturel – le bois – est aussi de facture humaine. Jésus aurait pu dire un tronc d’arbre et non une poutre. La poutre est un arbre coupé, ébranché, équarri, dégauchi, raboté.

Transposons à notre regard. Par quoi est-il encombré, obstrué ? Probablement par le personnage que nous nous sommes fabriqué, comme une poutre, qui nous maintient tant bien que mal dans l’existence. Une telle construction nous l’entreprenons – pas toujours consciemment – en raison de notre histoire, des circonstances de nos vies, des positions à maintenir dans la société, de nos peurs de perdre la face ou de laisser voir nos propres insuffisances, des besoins de nous justifier aux yeux des autres et à nos propres yeux, de défendre nos intérêts.

«La charpente censée nous protéger peut faire de nous des accusateurs»

Question de survie souvent… mais on ne survit pas en tuant les autres par nos jugements, ou alors en les assujettissant, en les corrigeant, en les dénonçant, voire en les manipulant ! La charpente censée nous protéger peut faire de nous des accusateurs, des correcteurs voire des guides malavisés de nos frères et sœurs.

Jésus désire nous en désencombrer et que nous vivions selon notre moi profond et non selon notre moi préfabriqué qui nous aveugle. Se positionner comme guide sur la base de notre personnage fabriqué ne peut que conduire à tomber et faire tomber dans des trous. La profondeur de notre être, elle, n’est pas un trou. Elle est le lieu de nos racines qui plongent dans l’être même de Dieu à l’image duquel nous avons été créés. Si notre regard sur les autres va chercher là sa lumière, plus de danger d’être aveuglés. Éclairés du dedans, nous pourrons partager aux autres cette lumière.

«Les arbres sont d’abord faits pour donner du fruit, pas des poutres»

Pour fabriquer nos poutres, nous nous sommes coupés de nos racines. Or, comme le dit la suite de l’enseignement de Jésus ce dimanche, les arbres sont d’abord faits pour donner du fruit, pas des poutres. Pour cela, il leur faut être greffés à l’unique Arbre de Vie, Jésus offert sur la Croix, qui nous désencombre de nous-mêmes. Il nous révèle notre être profond en démantelant nos personnages. C’est en nous laissant regarder par son regard pur et purificateur, en nous laissant aimer par Lui, que nos regards torves et calculateurs seront corrigés et verront dans sa lumière la beauté des autres et celle du monde. La nôtre aussi. Quelques fétus ne pourront l’altérer.

Sr Anne-Sophie Porret OP | Vendredi 28 février 2025


Lc 6, 39-45

En ce temps-là,
    Jésus disait à ses disciples en parabole :
« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?
Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ?
    Le disciple n’est pas au-dessus du maître ;
mais une fois bien formé,
chacun sera comme son maître.

    Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère,
alors que la poutre qui est dans ton œil à toi,
tu ne la remarques pas ?
    Comment peux-tu dire à ton frère :
›Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’,
alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ?
Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ;
alors tu verras clair
pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

    Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ;
jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit.
    Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit :
on ne cueille pas des figues sur des épines ;
on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
    L’homme bon tire le bien
du trésor de son cœur qui est bon ;
et l’homme mauvais tire le mal
de son cœur qui est mauvais :
car ce que dit la bouche,
c’est ce qui déborde du cœur. »

«Parabole de la poutre et de la paille». Domenico Fetti, vers 1619. | Wikimedia.
28 February 2025 | 17:00
by Sœur Anne-Sophie
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