Du bon usage des frontières
Nous vivons une époque marquée par toutes sortes de frontières. Frontières juridiques (entre les cantons, les Etats, les nations), mais aussi de frontières culturelles, par exemple entre l’homme et l’animal, ainsi que le montre notre débat actuel sur la chasse, la protection des espèces, le loup.
Or l’idée de frontière donne fréquemment naissance à des idéologies, comme si nous n’avions le choix qu’entre la fermeture et l’ouverture. Nous serions obligés de cimenter et de fermer les frontières, ou bien, tout au contraire, de les dissoudre, de les nier. En réalité, une troisième solution s’offre à nous, celle que j’aimerais désigner par «l’art des frontières». La crise actuelle du COVID 19 illustre on ne peut plus clairement notre dilemme. La sécurité sanitaire comme la sécurité économique exigent toutes deux l’assignation de limites claires. La frontière n’est pas, en soi, une réalité négative.
«La frontière se révèle indispensable quand elle fait place au respect d’autrui»
Mais quand elle devient un but en soi, une finalité par elle-même, elle se mue en avocate de la mort. En voulant gommer la libre circulation des personnes de la vie helvétique, les réactionnaires de tout bord prônent une pratique frileuse des frontières, une attitude d’enfermement et de déni qui empêchent toute politique dynamique et toute économie ouverte. On touche ici du doigt combien les postures politiciennes rétrogrades sont proches d’un conservatisme psychique et mental.
La vie politique, en effet, n’est pas constituée uniquement de décisions juridiques et pratiques, elle relève aussi de dispositifs intellectuels et spirituels. On reconnaîtra sans difficulté que l’action nécessite la prudence et la précaution ; mais l’heuristique de la peur comme telle ne saurait justifier n’importe quel recroquevillement. L’art de la frontière dont nous avons urgemment besoin passe par un meilleur usage des peurs qui trop souvent nous sidèrent et nous paralysent. La frontière se révèle indispensable et propice quand elle fait place au respect d’autrui, comme à la reconnaissance de l’étranger, à qui il est donné de franchir nos frontières sans pour autant les abolir.
Ce nouvel art des frontières implique donc aussi une nouvelle attitude mentale, une souplesse plus grande et une intelligence plus fine des situations, des contextes et finalement des personnes.
Denis Müller
26 août 2020
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