Damien Savoy

«Dieu monte parmi l'acclamation...»

Omnes gentes plaudite de Giovanni Gabrieli (1557-1612)

 

Pour le jour de l’Ascension, la liturgie nous propose de chanter ou proclamer le psaume 46 (47), d’où est tiré le fameux verset « Dieu monte parmi l’acclamation, le Seigneur aux éclats du cor ». Voici le texte de ce psaume tel qu’il sera lu dans nos églises jeudi :

 

« Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !

Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré. »(1)

Ce psaume a été traité par plusieurs compositeurs, tels que Palestrina, Claude Le Jeune ou Jean-Baptiste Lully en latin, ainsi que Bach en allemand, dans sa cantate de l’Ascension Gott fähret auf mit Jauchzen. Nous nous intéresserons ici à la composition du vénitien Giovanni Gabrieli. Connu pour avoir été l’un des plus grands organistes italiens de son temps, ce dernier était actif à Saint Marc de Venise, lieu d’une vie musicale extrêmement riche. Cette basilique comptait deux orgues, et avait à son service des musiciens de renom. Lorsque Giovanni Gabrieli y fut nommé second organiste en 1584, c’est son oncle Andrea Gabrieli qui était premier organiste. Giovanni lui succédera à sa mort une année plus tard.(2)

La musique à Saint Marc fait souvent appel à la polychoralité, désignée en italien par l’expression Cori spezzati. Le principe en est le suivant : plusieurs chœurs ou groupes instrumentaux se font entendre, ensemble ou à tour de rôle, dans la même œuvre. Ce procédé, auquel fait appel la Messe pour double chœur de Frank Martin, qui a été l’objet de notre dernière chronique, est surtout lié aux XVIe et XVIIe siècles. A Venise, en plus des deux orgues qui se faisaient face, des groupes vocaux et instrumentaux étaient répartis dans la basilique. Puisque, dans l’écriture polychorale, les différents ensembles ont tendance à se répondre et s’imiter, la répartition spatiale donnait une grandiose impression de stéréophonie. Ainsi, le Omnes Gentes, publié dans les Sacrae Symphoniae de 1597, est écrit pour quatre chœurs à quatre voix, soit un total de seize parties, qui pouvaient être chantées ou jouées sur les instruments.(3) La polychoralité est renforcée du fait que l’effectif était différent dans les chœurs. Ainsi, un grand chœur, la Cappella, était plus étoffé, alors que les autres étaient en petites formations.

Dans l’œuvre, Gabrieli n’emploie pas tout à fait le même texte que notre version liturgique. D’une part, il garde, avant la mention de l’Ascension, les versets parlant de soumission des autres peuples, mais s’arrête après les « éclats du cor », y ajoutant un alléluia. Pour la mise en musique, Gabrieli profite pleinement de la polychoralité, en faisant par exemple se répondre les chœurs sur le mot « plaudite » (« battez des mains »). Par la suite, des petits motifs sont repris alternativement par différentes voix. Ainsi, lorsque l’Ascension est évoquée, sur les mots « in voce tubae », Gabrieli emploie un motif ascendant évoquant, comme il se doit, les éclats de la trompette ou du cor(4), mais profite aussi probablement de souligner la montée du Christ au ciel par le mouvement du motif.

Pour se préparer à la solenité de l’Ascension, pourquoi ne pas découvrir cette magnifique œuvre, splendide mise en musique de ce psaume 46 ? Bonne écoute et belle fête !

(1) Texte repris de la Bible de la liturgie
(2) Voir à ce sujet le livre de Philippe CANGUILHEM, Andrea et Giovanni Gabrieli, Fayard, Paris, 2003.
(3) Précisons ici que, contrairement à la définition actuelle, le mot « chœur » pouvait désigner un groupe vocal ou instrumental.
(4) Le latin « tuba » désigne plus la trompette que le cor dont parle la traduction française du psaume. 

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31 mai 2011 | 21:24
par Damien Savoy
Temps de lecture : env. 3  min.
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