Croyants nomades: habiter tout en étant toujours prêts à partir
Dans nos pays d’ancienne chrétienté, la reconfiguration du christianisme entraîne une diminution du nombre visible des fidèles. Des bâtiments sont moins utilisés amenant parfois à leur fermeture et à leur désaffectation, vécues douloureusement en raison de l’investissement affectif et spirituel dont ils avaient fait l’objet.
Un colloque récent, à Fribourg, soulevait cette réalité inéluctable. Que faire des bâtiments dont on n’a plus l’usage? De nombreuses congrégations religieuses ont déjà dû se poser cette question et tenter de trouver des solutions créatives pour garder vivante l’inspiration qui a été à l’origine de ces maisons, même si celles-ci ne seront plus habitées de la même manière.
Plus profondément, cette situation nous pousse à nous questionner sur le sens des lieux que nous avons investis comme lieux de prière et de célébration. Ces édifices petits ou grands qui parsèment le paysage sont des lieux de mémoire qui donnent à voir la trace de la foi de ceux qui nous ont précédés. J’aime m’arrêter dans une église, y ressentir les prières qui y ont résonné durant les siècles, qui portent la mienne et qui m’ouvrent à la présence du Seigneur.
«Si le lieu de la rencontre de Dieu n’est pas sans importance il ne doit pas être absolutisé.»
Que signifie alors la réponse de Jésus à la Samaritaine qui voulait savoir quel était le meilleur lieu pour adorer Dieu (le mont Garizim ou Jérusalem): «L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité» (Jn 4,23) ?
Si le lieu de la rencontre de Dieu n’est pas sans importance il ne doit pas être absolutisé. Trouver Dieu là, mais peut-être aussi ailleurs. Dieu habite nos étables comme nos cathédrales. Parce qu’on n’a jamais fini de le chercher. Inquiets, c’est-à-dire sans repos (saint-Augustin), nous sommes «des étrangers et voyageurs sur la terre» dit l’épitre aux Hébreux (11,13), des nomades comme notre père Abraham qui vivait «sous la tente».
Mais on n’aime pas le provisoire, l’incertain. Les déménagement même nécessaires sont souvent douloureux. Vider une maison remplie de souvenirs ne se fait pas sans des milliers de petits arrachements.
On préfère s’installer, croire qu’on est arrivé et qu’on va rester là indéfiniment. Et on installe Dieu avec nous dans nos belles églises. Or il faut faire montre de beaucoup de prudence avec les points de fixation de Dieu et les fausses sécurités qu’ils provoquent. C’est bon! On sait où il est, dans le tabernacle, ou dans le «Saint Sacrement», plus besoin de le chercher. Dieu dans la Bible est un dieu qui résiste à l’assignation à résidence.
«Dieu dans la Bible est un dieu qui résiste à l’assignation à résidence.»
C’est un dieu toujours insaisissable qui se révèle et se cache en même temps, un Dieu avec qui on parle face à face comme à un ami, mais qu’on ne peut voir que de dos (Ex 33 18-23), un Dieu que nous croyons voir dans le grandiose de nos marbres et de tonnerre de nos grandes orgues et qui, surprise!, se trouve dans un murmure, un souffle ténu (1R 19,12), celui d’une femme âgée dans un EMS qui sourit toute la tendresse d’une vie habitée, ou dans le regard hagard d’un homme en haillons perdus dans la grisaille d’une grande ville.
La grande leçon du texte du Jugement dernier (Mt 25) n’est pas uniquement de nous désigner les catégories sociales où nous devons chercher Dieu, mais aussi de nous dire que nous sommes constamment à risque de le chercher au mauvais endroit.
Alors oui, notre héritage patrimonial ecclésial est précieux, et il ne faut pas le brader inconsidérément. Mais tous ces lieux n’ont de sens que comme des signes que des croyants nomades sont passés par là. Ils sont comme des gîtes sur un chemin de pèlerinage. Des lieux où l’on ne s’installe pas parce que l’essentiel qui est ailleurs, ne peut pas y être enfermé. Mais des lieux nécessaires cependant où nous sommes confirmés sur notre chemin. D’autres sont passés avant nous, travaillés par la même inquiétude, la même itinérance. Ils ont fait halte puis ont poursuivi leur route vers la Patrie comme nous aussi pouvons, rassurés, continuer à le faire.
Thierry Collaud
15 mars 2023
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