Bonus indécents, salaires décents
Le mois d’avril est traditionnellement celui de la publication des rémunérations des grands patrons. Les médias nous ont ainsi informés que le patron de l’UBS avait perçu 14,4 millions de francs sur 9 mois à la suite de la fusion avec le Crédit Suisse.
Cette rémunération a choqué parce que plusieurs centaines de personnes ont perdu leur emploi à la suite de la fusion, et que de nombreux épargnants ont perdu leurs économies. De plus cette fusion n’a pu se faire qu’avec l’appui financier important de la Banque Nationale et de la Confédération, donc de la collectivité. Manifestement, la grande banque n’a pas tiré les leçons des conséquences désastreuses de la politique des bonus initiée aux Etats-Unis à la fin des années 1990.
Ces bonus sont d’abord permis par la totale libéralisation des marchés financiers. Les pouvoirs publics occidentaux ont laissé sortir le tigre de la finance de sa cage en abandonnant toute régulation de ces marchés. Ils n’en ont pas repris le contrôle, malgré la crise de 2008. Nous verrons quelles seront les mesures réglementaires proposées par la Commission d’enquête parlementaire sur la débâcle du Crédit Suisse à la fin de l’année. Pour le moment, cette faillite n’a entraîné aucune conséquence pour les dirigeants de la banque.
Une autre rémunération a créé des remous. Celle du patron de Stellantis, groupe issu de la fusion de Peugeot, Fiat et Opel: 36,5 millions d’euros soit 518 fois le salaire annuel moyen d’un salarié de l’entreprise. Cette rémunération représente 1586 années du salaire mensuel d’un ouvrier intérimaire. Ces chiffres donnent le vertige. Ils montrent à quel point ce patron et ses employés font partie de deux mondes distincts. Il ne peut pas comprendre la réalité de la vie de son personnel. Il ne sait pas ce que c’est que vivre avec 2000 Euros par mois.
«Les bonus cités et les salaires minimaux sont légaux. Ils ne sont pas moraux»
La mondialisation et son corollaire, la libéralisation financière, ont créé au sein de notre société des îlots qui ne se côtoient plus. Cette fabrication d’îlots est dangereuse car elle va à l’encontre de toute solidarité. Pour être solidaire, il ne suffit pas de faire des dons via internet. Il faut rencontrer l’autre et croiser son regard.
Un contre-exemple a été donné récemment par la société Michelin. Celle-ci a annoncé qu’elle se fixait partout dans le monde la norme de distribuer un salaire décent, c’est-à-dire un salaire qui permette au salarié et à sa famille de couvrir ses besoins vitaux (alimentation, logement, transports, éducation, frais de santé) et de constituer une épargne de précaution. Ce salaire décent est égal à deux fois et demie le salaire minimum légal en Chine et au Brésil. Il vaut deux fois le salaire minimum à Paris.
Le concept de salaire décent se distingue des salaires minimums fixés dans certains pays et chez nous dans certains cantons. Les salaires minimums sont un progrès social car ils garantissent la survie. Mais ils ne garantissent pas le respect des droits fondamentaux des personnes à l’éducation, à la santé et à la sécurité. Les bénéficiaires de salaire minima doivent recourir à l’aide sociale si elles vivent seules avec une charge de famille. A l’inverse le salaire décent comble ces insuffisances car il donne vraiment les moyens de vivre.
Cette expérience de Michelin et le contre-exemple d’UBS et de Stellantis sont riches de deux enseignements. En premier lieu le légal n’est pas le moral. Les bonus cités et les salaires minimaux sont légaux. Ils ne sont pas moraux. Dans le cas des bonus, ceux-ci suscitent un fossé infranchissable entre riches et pauvres et sont mortifères. Ils incitent à l’hostilité envers les personnes fortunées qui nient l’existence d’un bien commun et ainsi fracturent la société. Les minimaux légaux de salaire contreviennent à la morale car ils ne permettent pas de vivre dans le respect des droits fondamentaux des personnes. Ils sont une solution temporaire qui doit conduire les entreprises à fixer des salaires décents.
Le deuxième enseignement est celui de la responsabilité sociale des grandes entreprises. Pour créer un développement durable, celles-ci ne peuvent se contenter de suivre une logique boursière. Elles doivent chercher des relations équilibrées avec leurs partenaires, qui ne sont pas seulement les actionnaires, mais aussi leurs clients, leurs fournisseurs, leurs travailleurs et la nature.
Jean-Jacques Friboulet
15 mai 2024
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