

Bien public et bien commun
Le vocabulaire est plein de pièges. Ainsi en est-il du bien commun. Nos contemporains confondent très souvent cette notion avec celle de bien public ou de bien collectif. La notion de bien public a été définie par les économistes. Il s’agit de biens dont la consommation par une personne ne réduit pas la consommation d’une autre personne. On parle alors de non rivalité. La deuxième caractéristique de ces biens publics est d’être à disposition de tous dès qu’ils sont produits. On dit qu’ils sont non exclusifs. L’exemple classique de bien public est l’air que l’on respire. Notre respiration n’empêche pas celle des autres et cet air est à disposition de tous. Certes il existe des biens qui ne sont pas totalement non rivaux comme certains paysages par exemple que la trop grande fréquentation peut rendre inaccessibles. Ils sont qualifiés de biens publics impurs. A l’inverse les biens privés sont toujours exclusifs et le plus souvent rivaux comme par exemple les automobiles.
La question des biens publics est aujourd’hui d’une très grande actualité. Nous avons voté dimanche dernier sur les caractéristiques du système de santé qui est un bien public impur. Le système de scolarité obligatoire peut être envisagé de la même façon comme de nombreuses infrastructures publiques. Il en est de même au niveau international pour certains biens environnementaux: la biodiversité, le climat… En raison de leurs caractéristiques ces biens sont difficiles à produire et à gérer car le marché peut les considérer comme non rentables. Quand on arrive dans un pays du Sud on saisit immédiatement cette difficulté en comparant la situation locale à celle de la Suisse. La plupart des biens privés sont accessibles mais les biens publics sont le plus souvent défaillants.
Quand on parle du bien commun on quitte ce niveau matériel des produits pour s’intéresser à l’intérêt général. Mais ici encore le langage est trompeur. Le bien commun dont parle les écritures et à leur suite l’Eglise n’est pas une somme ou une collection d’intérêts particuliers. L’Eglise ne se situe pas dans une logique libérale qui veillerait au seul respect de ces intérêts particuliers. Le bien commun est la communion dans une vie bonne qui concerne à la fois la société prise dans son ensemble et les membres de cette société. Il implique les droits et devoirs fondamentaux de chacun(e) qui conditionnent tous sa dignité humaine. Ce n’est pas simplement un ensemble d’avantages et de désavantages. Le bien commun a donc une dimension morale allant à contre-courant de notre société dominée par la consommation et les valeurs économiques.
Le récent débat sur le droit au suicide dans la canton de Vaud en est un parfait exemple. La liberté individuelle des personnes n’est pas un absolu. Elle doit être resituée dans une logique de relations et donc de bien commun. Le philosophe J. Maritain l’a signalé à de nombreuses reprises. Il ne s’agit pas de faire de la loi politique un absolu car on tomberait dans le totalitarisme. Mais il ne s’agit pas non plus de ne considérer que les seules libertés individuelles. On nierait alors la dimension relationnelle de la personne et donc son caractère d’enfant de Dieu. Il faut rester dans une logique interactive qui aide les personnes à construire leur bien commun et qui fait redistribuer ce bien commun aux personnes pour favoriser le développement de leurs capacités.
Jean-Jacques Friboulet
Doyen de la Faculté des Sciences Economiques et Sociales
Université de Fribourg
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