Anthropodiversité: nous enrichir de nos différences
Nous sommes de plus en plus convaincus de la nécessité écologique de préserver la biodiversité. Pourquoi alors avons-nous tant de peine à considérer la diversité des humains comme un enrichissement plus que comme une menace?
Nos voisins français se cherchent un gouvernement d’une manière étonnante pour nous autres Suisses. Un bon gouvernement ne semble pouvoir être que monocolore, de gauche ou de droite. Si sous la pression des circonstances aucune majorité de l’un ou l’autre bord ne se dégage, il faut penser à une coalition. Mais d’emblée, on pose les conditions: avec ceux-ci, mais pas avec ceux-là.
On colle des étiquettes sur certains partis et certains groupements et on s’interdit toute discussion avec eux. On part de l’idée que la vérité est univoque et que l’important est de trouver le camp où elle va se dire. On a construit une culture de l’opposition. Dans celle-ci une altérité partielle, une différence d’opinions, est forcée en une altérité complète. L’autre est tout entier infréquentable.
Il faut savoir repérer ces biais parce qu’ils nous enferment dans une dynamique appauvrissante. On voit bien cela quand par exemple on n’a à disposition sur tous les étalages qu’une seule variété de pommes. On se rend compte de la perte que cela représente et pour y répondre, on va alors insister sur la préservation de la biodiversité. Il est cependant intéressant de voir que ce que l’on commence à comprendre au niveau écologique n’a pas encore passé dans nos manières d’organiser notre discussion dans les sociétés humaines.
«La vérité, y compris la vérité théologique, ne se dit pas de manière univoque dans nos langages humains»
La discussion en Église n’échappe pas à ce phénomène. Il y a quelque temps, j’ai publié sur Facebook un billet à propos d’une ordination à laquelle j’avais participé et dont je critiquais certains aspects de rigidité liturgique. Quelques jours plus tard, la discussion prenait un tour un peu trop polémique, avec des «j’aime» et des «je n’aime pas» marquant une opposition frontale de deux courants.
J’ai écrit alors un nouveau billet pour dire que si j’avais quelques remarques à faire, cette cérémonie ne m’avait pas été insupportable et que j’y avais vu de grandes beautés, dans la liturgie elle-même, mais aussi et surtout dans l’engagement de celui qui était ordonné au ministère presbytéral. De manière tout à fait interpellante, le billet critique a reçu deux fois plus d’approbation que celui qui se voulait irénique.
Nous avons à travailler de toutes nos forces sur une culture du dialogue, et sur une acceptation de la différence de l’autre. Son opinion différente et sa manière différente de fonctionner me renvoient à mes propres conceptions et actions pour en réaffirmer la justesse, mais aussi pour les compléter, les nuancer, et, pourquoi pas, me forcer à les retravailler.
»Jésus réunit des personnes avec leurs différences»
Tout cela parce que la vérité, y compris la vérité théologique, ne se dit pas de manière univoque dans nos langages humains. Nous sommes toujours en recherche de cette vérité à partir de notre intelligence limitée, avec des prises de position, des attitudes, des formulations maladroites toujours à refaire et à parfaire. Dans ce sens la présence à nos côtés d’une autre voix qui tente de dire cette vérité que nous cherchons ensemble à partir d’un autre point de vue est à voir comme une chance et non comme une menace.
Deux petits indices de cette coexistence des opposés dans l’évangile des jours de la semaine dernière: dans l’épisode de la résurrection d’une jeune fille (Mt 9 18-26), le père de celle-ci est décrit comme un «notable». Or quand ce notable a besoin de Jésus, il se trouve que celui-ci est en train de manger avec des publicains, c’est-à-dire des personnes considérées comme infréquentables parce que collaborant avec l’occupant romain. Il lui faut aller là où il s’était probablement juré de ne jamais aller. Jésus met ensemble les extrêmes.
À nouveau, quelques versets plus loin, quand on nous donne la liste des douze apôtres qu’il envoie proclamer la proximité du Royaume de Dieu, on y trouve réunis un zélote, c’est-à-dire un nationaliste juif, et un publicain collabo. Là encore, Jésus réunit des personnes avec leurs différences (on ne nous dit pas que Simon était un ex-zélote et Mathieu, un ex-publicain). Ceux qui avaient toutes les raisons de s’exclure l’un l’autre de l’appartenance au Royaume sont chargés d’aller ensemble annoncer sa venue.
Thierry Collaud
17 juillet 2024
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