Rencontre avec Mgr Alexio Churu Muchabaiwa, évêque de Mutare, au Zimbabwe
Le pays fait face à un grave manque de culture démocratique
Fribourg, 27 juin 2011 (Apic) «Au Zimbabwe, les responsables politiques, qui luttent pour le pouvoir, ne sont pas habitués à collaborer avec leurs adversaires, ils ont de la difficulté à accepter les autres opinions», confie à l’Apic Mgr Alexio Churu Muchabaiwa, évêque de Mutare, au Zimbabwe. Le vice-président de la Conférence épiscopale du Zimbabwe était de passage en Suisse alémanique du 17 au 27 juin pour donner une série de conférences à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), basée à Lucerne.
Le pays fait face à un grave manque de culture démocratique, déclare à l’Apic l’évêque de Mutare, âgé de 72 ans. Mgr Alexio Churu Muchabaiwa dirige depuis 1982 ce diocèse de la taille de la Belgique et qui compte quelque 120’000 catholiques pour 1,7 million d’habitants. Sur les quelque 12,5 millions d’habitants que compte le Zimbabwe, près d’un quart vit à l’étranger, dont nombre de personnes bien formées dont le pays aurait grand besoin. En raison de l’hyperinflation, l’euro, le dollar américain ou le rand sud-africain ont de facto remplacé le dollar zimbabwéen pour nombre de transactions.
Alors que le Zimbabwe fut l’un des greniers de la région et possédait autrefois l’une des économies les plus développées de l’Afrique, plus de 10% de sa population dépend aujourd’hui encore de l’aide alimentaire internationale pour survivre. Près d’un quart de la population est infectée par le virus du sida, et plus d’un million d’enfants sont orphelins des suites de la pandémie.
Depuis janvier dernier, suite à la publication de la lettre pastorale de la Conférence épiscopale du Zimbabwe intitulée «Let Us Work For The Common Good – Let Us Save Our Nation» et demandant à tous de travailler pour le bien commun, la police secrète du régime du président Robert Mugabe se fait plus menaçante envers l’Eglise catholique.
Apic: Mgr Churu Muchabaiwa, vous parlez de déficit de culture démocratique au Zimbabwe…
Mgr Churu Muchabaiwa: Le défi de notre Eglise, c’est d’unir notre peuple. Aujourd’hui, ce n’est plus comme dans les années 80 un problème d’ethnies, de rivalités sanglantes entre Shonas et Ndébélés, mais effectivement un problème de manque de culture démocratique. Nos paroissiens, quand ils sont en famille à l’église, sont unis. C’est quand ils sortent de l’église que ceux qui sont politisés commencent à se bagarrer.
Mais les violences entre partisans du parti ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique) de Robert Mugabe et ceux du MDC (Mouvement pour le changement démocratique) de Morgan Tsvangirai, croissent surtout en période électorale. Dans ces moments-là, les partis en lice veulent le pouvoir, tout le pouvoir.
Apic: Les gains de l’indépendance n’ont pas profité à tous ?
Mgr Churu Muchabaiwa: Notre pays, contrairement à des pays comme le Botswana voisin, n’a pas de tradition démocratique: la Rhodésie, gouvernée par une petite minorité blanche, était une colonie britannique. Sous les Anglais, il n’y a jamais eu de démocratie pour la majorité noire, c’était un régime d’oppression pour la majorité. L’humiliation des Noirs sous l’ère coloniale a été si profonde que les Noirs l’ont internalisée, et nous reproduisons aujourd’hui ce mécanisme entre nous !
Quand le mouvement de libération nationale s’est développé – car il a fallu se battre pour obtenir notre indépendance – il n’y avait pas que la lutte armée: nombreux sont ceux qui se sont battus pacifiquement, tant au pays qu’à l’étranger. Mais à l’heure de la victoire, il n’y en a eu que pour quelques uns. Seul un petit groupe a retiré les bénéfices de cette lutte. Dans les campagnes, la plupart de ceux qui ont combattu les armes à la main sont restés dans la misère.
Au Zimbabwe, on a toujours eu l’habitude de se battre pour obtenir quelque chose; on n›a pas l’habitude de négocier. Ce n’est pas ce l’on devrait faire, mais avons toujours vécu ce genre d’expérience dans notre histoire.
Apic: L’Eglise catholique peut-elle contribuer à changer les mentalités ?
Mgr Churu Muchabaiwa: Il est effectivement nécessaire de changer les mentalités, c’est pourquoi l’Eglise prêche l’unité. Comme chrétiens, nous devons vivre comme Dieu veut que l’on vive. Malgré les difficultés, la situation s’est tout de même améliorée depuis la signature en 2008 d’un accord de gouvernement d’union nationale entre Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai.
Apic: Quelle influence a l’Eglise catholique au Zimbabwe ?
Mgr Churu Muchabaiwa: L’Eglise catholique ne représente que 10% de la population à côté des autres confessions (anglicans, méthodistes, luthériens, Armée du Salut), des sectes venues notamment d’Afrique du Sud, des adeptes des religions traditionnelles, et des musulmans dont le nombre est en pleine croissance. Ces derniers, venus dans le passé du Malawi ou de Zambie, sont soutenus par l’Arabie Saoudite, qui leur offre des soutiens matériels, notamment des bourses d’étude. Mais nous avons une certaine influence, grâce au Bureau de liaison politique, où travaille un prêtre, qui est notamment en relation avec les députés catholiques.
Quand il y a des crises, les chrétiens, qui forment 75% de la population, se mettent ensemble pour adopter des positions communes.
Apic: Qu’attendez-vous des catholiques de Suisse?
Mgr Churu Muchabaiwa: Qu’ils nous aident à construire l’Eglise en Afrique, qu’ils manifestent le signe que nous sommes une seule Eglise. En nous soutenant, vous nous donnez l’espoir que les choses peuvent changer, que nous ne sommes plus seuls !
Encadré
Dans sa lettre du 14 janvier 2011, la Conférence des évêques catholiques du Zimbabwe se dit inquiète des tendances qui se développent dans le pays, et qui, «si elles ne sont pas corrigées, peuvent conduire (…) à la désintégration de notre société et à la formation de milices dégénérées» de bords opposés. Les évêques qualifient de «signes d’espoir» la signature le 11 septembre 2008 d’un Accord politique global (APG) et la mise en place en février 2009 d’un gouvernement comprenant la nomination de Morgan Tsvangirai, du MDC, au poste de Premier ministre et de président du Conseil des ministres, Robert Mugabe, du Zanu-PF, restant en tant que président, chef de l’Etat et commandant en chef des forces de défense. Ils mettent cependant en garde contre le fait que ces pas positifs ont été remis en question «par manque d’engagement collectif et de volonté politique». Ils relèvent aussi que les médias aux mains de l’Etat continuent à ignorer les travaux du Comité parlementaire sur la Constitution (COPAC) et les aspirations à une réconciliation nationale. Les évêques se disent inquiets des conséquences de la violence d’origine politique dans certaines provinces du Zimbabwe. Ils déplorent également la collusion «active et tacite» avec ceux qui sapent la lutte contre la corruption, qualifiée de «cancer détruisant notre nation». Pour les évêques, «on ne peut être un chrétien authentique et perpétrer des actes de violence en même temps». Ils considèrent qu’il est normal et sain d’avoir des points de vue politiques différents en ce qui concerne l’édification du pays. «Nous ne devons pas nous combattre parce que nous avons des points de vue différents», écrivent-ils dans leur lettre pastorale.