«On a atteint le fond dans des régions autrefois très catholiques»

France: Le catholicisme français ne peut plus garder sa logique territoriale

Paris, 13 juin 2011 (Apic) Autrefois très implanté dans la campagne française, le catholicisme ne peut plus garder sa logique territoriale en France. «On a atteint le fond dans des régions qui étaient autrefois très catholiques, notamment la Vendée, le Finistère… Les campagnes naguère les plus pratiquantes se retrouvent aujourd’hui les plus atteintes par la sécularisation», note dans le quotidien français «La Croix», Yvon Tranvouez, professeur d’histoire religieuse contemporaine à l’Université de Brest.

Interrogé par François-Xavier Maigre sur le fait que l’Eglise, comme d’autres institutions et services publics, semble avoir déserté les campagnes françaises, le professeur Yvon Tranvouez relève que l’on est face à une évolution générale, qui n’est pas propre à l’Eglise. Et de citer La Poste, les divers services publics qui rationalisent leur présence dans les campagnes, et ferment un certain nombre de guichets. «Mais un problème se pose pour apprécier ce phénomène au niveau de l’Eglise, car nous manquons d’enquêtes précises», reconnaît-il.

Une certaine reprise dans les villes

En contrepartie de la sécularisation de régions autrefois très catholiques, le professeur d’histoire religieuse contemporaine note «un certain frémissement de reprise» dans les villes: «Elles, que l’on a longtemps présentées comme déchristianisantes, sont aujourd’hui le lieu d’une reprise».

Yvon Tranvouez relève que la fameuse carte de la pratique religieuse du chanoine Fernand Boulard, prêtre et sociologue du catholicisme, (publiée 1947, ndr), qui mettait en évidence des bastions de chrétienté, tend aujourd’hui à s’effacer. «Ainsi la Bretagne vient-elle de basculer dans ›la normalité’. D’après les cartes élaborées sur la base des enquêtes Ifop 2005-2009, on constate qu’elle s’est alignée sur les standards nationaux».

On observe une «normalisation générale»

S’il reste tout de même des territoires encore préservés, comme l’Est de la France, ou une partie du Sud-Est du Massif central, le professeur brestois observe une «normalisation générale».

«On est dans un processus d’érosion», constate-t-il. «Il arrive un moment où la disparition rapide du clergé crée un effet de choc. Quand des églises ne sont plus ouvertes régulièrement, quand des presbytères sont vendus, bref quand la présence cléricale disparaît, on prend alors conscience d’un basculement qui n’était pas encore ouvertement perçu. C’est ce qui se produit actuellement en Bretagne ou en Vendée».

Le risque d’un «christianisme décoratif, paysager»

Quand François-Xavier Maigre lui demande s’il faut rester attaché, coûte que coûte, aux clochers de campagne, Yvon Tranvouez constate que de nombreux diocèses tentent de faire vivre leurs églises en assurant une rotation des messes, avec de vastes ensembles paroissiaux. «On tente de garder les églises ouvertes. Le risque, dans cette logique, c’est de céder à une vision patrimoniale de l’Eglise. On observe actuellement une tendance à voir dans le christianisme une religion pétrifiée, réduite aux belles pierres, un christianisme décoratif, paysager…»

Concernant le redéploiement des paroisses mené dans la plupart des diocèses ruraux, le professeur d’histoire religieuse contemporaine constate qu’il n’y a pas eu de politique générale, chaque diocèse ayant adopté son propre schéma, avec deux ou trois modèles dominants. «J’ai le sentiment de quelque chose d’épuisant; à peine a-t-on restructuré que déjà le clergé qui reste n’est plus suffisant pour faire face à cette nouvelle donne. Et donc on n’arrête pas d’agrandir les paroisses et de repousser les limites».

Sans doute fallait-il recomposer des paroisses, admet-il, «mais on peut se demander si le catholicisme peut encore se permettre de garder cette logique territoriale, de vouloir couvrir à tout prix l’espace géographique. On sent bien aujourd’hui qu’une Eglise de réseau est en train de se développer. Le rural ne pourra plus être tenu avec le maillage qu’on a connu jusqu’ici».

«Restructurer le territoire paroissial pour faire face, c’est courir après une chimère. Les forces manquent trop. On verra plutôt une concentration sur des hauts lieux, par ex. des monastères… Que demeurent des paroisses particulièrement dynamiques, en particulier urbaines, cela me semble tout à fait possible. On le voit bien dans le centre des grandes villes».

A la question de savoir si l’Eglise a vraiment pris la mesure de ces difficultés, Yvon Tranvouez répond que la cohérence globale ne saute pas vraiment aux yeux dans la politique territoriale de l’Eglise catholique, «même si la plupart des évêques ont conscience du problème». Seulement, relève-t-il, ils font en fonction de leurs moyens, des forces qui leur restent, de ce qui leur paraît le plus pertinent… «Mais je ne suis pas sûr qu’on ose aller jusqu’à des mesures vraiment fortes, d’avoir le courage de se débarrasser de cette hantise de la couverture du territoire».

Principales publications du professeur Yvon Tranvouez :

– Catholiques d’abord. Approches du mouvement catholique en France (XIXe-XXe siècle), Paris, éd. Ouvrières, 1988.

– Un curé d’avant-hier. Le chanoine Chapalain à Lambézellec (1932-1956), Brest-Paris, éd. de la Cité, 1989.

– Catholiques et communistes. La crise du progressisme chrétien (1950-1955), Paris, éd. du Cerf, 2000. (apic/lacroix/be)

13 juin 2011 | 10:12
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
France (523)
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