«Dans beaucoup de domaines l’Eglise reste sur la défensive»

Zurich: L’abbé d’Einsiedeln s’exprime sur les abus sexuels dans l’Eglise

Zurich, 7 avril 2011 (Apic) «Dans beaucoup de domaines l’Eglise reste toujours sur la défensive», estime l’Abbé d’Einsiedeln dans une interview à l’Apic. Cela s’est particulièrement vérifié dans son approche des abus sexuels. Cette attitude ne témoigne pas d’une foi profonde dans la présence de Dieu.

Apic: D’autres responsables d’Eglise en Suisse ont réagi de manière hésitante face aux abus sexuels commis par des gens d’Eglise. Comment avez-vous appréhendé la chose ?

Abbé Martin Werlen: En tant que responsable de cette question au sein de la Conférence des évêques suisses, j’y suis sensible depuis longtemps déjà. Mais ce sont surtout les rencontres avec des victimes qui m’ont poussé à attaquer le problème de manière offensive.

Apic: Sur la question des scandales d’abus sexuels vous avez émis des critiques directes contre l’Eglise et le pape. On conduirait l’Eglise avec le «frein à main tiré». Où se trouve ce frein et comment peut-on le libérer ?

M.W. : Dans beaucoup de domaines nous sommes dans l’Eglise sur la défensive. Cela s’est montré particulièrement clairement dans le traitement des abus sexuels. Notre crédibilité a souffert non seulement par ce que des clercs ont commis le pire aux cours des décennies passées, mais surtout par la manière dont les responsables d’Eglise ont traité le problème. Cette attitude défensive ne témoigne pas d’une foi profonde dans la présence de Dieu.

Apic: Qu’avez-vous personnellement appris des cas d’abus sexuels au couvent d’Einsiedeln ?

M.W.: J’ai appris en fin de compte que tous les concernés ont à gagner lorsque nous regardons la réalité. C’est ce que j’explique dans l’article «La bénédiction d’une déception» paru dans le recueil récemment publié «Des ténèbres à la lumière»*

Apic: Sans vouloir reprendre la question du célibat, dans beaucoup de cas d’abus sexuels, la grande solitude des coupables semble avoir joué un rôle important. Ce qui veut dire que de nouveaux abus sont devant notre porte si l’Eglise ne parvient pas à empoigner ce problème. Que fait-elle et que peut-elle faire ?

M. W.: Beaucoup plus que la solitude liée à une vie célibataire, c’est la solitude liée à un tabou qui me paraît décisive. Là où on ne parle pas, les victimes ne peuvent pas parler non plus. C’est précisément là-dessus que les coupables ont calculé pendant longtemps. La fin de ce tabou est une condition importante pour la dénonciation des victimes et la prévention.

Apic: Des documentaires TV émouvants ont montré ces derniers temps en Suisse de manière indubitable combien l’Eglise et ses représentants à travers des générations ont causé des dommages irréparables. Comprenez-vous que certaines personnes soient poussées à s’éloigner de l’Eglise ?

M. W. : Oui, je le comprends. Notre responsabilité comme Eglise est d’autant plus grande aujourd’hui et à l’avenir d’aider les hommes selon l’Evangile à reconnaître Dieu, car malheureusement nos comportements se mettent trop souvent en travers du chemin. Nous ne pouvons pas défaire ce qui s’est passé. Mais nous pouvons par notre action montrer que nous faisons tout pour que de telles choses n’arrivent plus.

Apic: Les sorties d’Eglise augmentent en Suisse très clairement en réaction aux abus sexuels. Cela vous trouble-t-il ?

M.W.: Oui cela me trouble beaucoup. Nous ne pouvons pas nous en accommoder simplement. Il s’agit finalement de personnes concrètes pour lesquelles nous devons être des témoins de l’Evangile. Et nous devenons des obstacles par notre agir et par nos omissions. Cela doit nous toucher, car notre vocation est remise en question de manière essentielle.

Apic: Grâce à Twitter, vous apparaissez dans une certaine mesure comme le représentant principal d’une Eglise qui cherche à répondre aux questions des gens. Ce statut de «star» vous convient-il ou vous sentez-vous parfois dépassé ? Seriez-vous heureux que vos collègues de la Conférence des évêques suivent votre exemple?

M. W. : Il ne s’agit pas d’être une star, mais de vivre aujourd’hui ma vocation, avec mes dons et mes possibilités. Beaucoup de responsables dans l’Eglise ne cherchent que cela. Je ne suis, et de loin, pas le seul. Mais je dois avouer que l’attitude de certains milieux, me donne beaucoup à réfléchir lorsqu’il s’agit en premier lieu de défendre un système et non pas d’être proches des hommes de notre temps. La manière dont nous rencontrons les personnes d’aujourd’hui peut être très différente. Mais il n’y a pas d’alternative à ce mouvement vers l’homme qui peut se réclamer de l’Evangile. (apic/job/mp)

Information: Il s’agit d’une interview écrite

*Aus dem Dunkel ans Licht. Fakten und Konsequenzen des sexuellen Missbrauchs für Kirche und Gesellschaft. Herausgegeben von Myriam Wijlens und Wunibald Müller. Vier-Türme-Verlag (Münsterschwarzach), 269 Seiten, Fr. 28.90.

7 avril 2011 | 15:52
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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