Lausanne: Frédéric Lenoir classe Socrate, Jésus et Bouddha dans la modernité spirituelle
Ils ont libéré l’individu du poids de la société
Lausanne, 29 septembre 2009 (Apic) Le philosophe Frédéric Lenoir considère Socrate, Jésus et Bouddha comme trois figures historiques dont la spiritualité peut aider l’individu à comprendre le sens profond de son existence. Le directeur du Monde des religions a expliqué, lundi soir, comment il a découvert que le trio est le seul à avoir transmis un enseignement visant à la libérer de l’individu du poids de la société.
Frédéric Lenoir avoue une profonde admiration pour Socrate, Jésus et Bouddha. Il l’a clairement expliqué au public de tous âges venu l’écouter, très nombreux, le 28 septembre au Théâtre de Vidy à Lausanne. Il était l’invité des Grands débats, organisés par Payot Librairie, le journal 24 heures et le Théâtre de Vidy Lausanne. Dans son livre «Socrate, Jésus, Bouddha – Trois maîtres de vie»(*), le philosophe montre les vertus communes de trois personnages qui, selon lui, ont été les premiers à vivre ce qu’ils enseignaient. L’expression «maître de vie» s’oppose à celle de «maître à penser». Kant, par exemple, est un grand maître à penser. Mais bien qu’il ait vécu une vie conforme à ses principes, l’ambition première de sa démarche philosophique est avant tout spéculative, discursive et systématique, alors que Socrate, Jésus et Bouddha ne séparent pas la recherche de la vérité de la quête de la vie. Ainsi, Socrate refuse de se faire payer, contrairement aux sophistes, et montre un souci constant de la justice dans ses discours et dans ses actes. Bouddha entend conduire chaque être humain vers l’expérience de l’éveil. La vie de Jésus est d’une exemplarité sans faille, ce qui rend son «imitation» assez problématique.
Selon Frédéric Lenoir, le propre d’un maître de vie est de nous éduquer sur le chemin de la vie, de nous aider à discerner, à hiérarchiser les valeurs et les priorités de notre existence. Il donne des idées pour comprendre le monde. C’est là que réside l’appel de Jésus et Bouddha. Ils apprennent à l’homme à être dans le concret de l’existence et à opérer des choix de vie. Dans un de ses célèbres sermons, le sutra Brahma Jala, Bouddha se montre extrêmement sévère envers ceux qui se cantonnent dans la théorie au détriment de l’expérience, il les qualifie de «ascètes enfermés dans la logique et le raisonnement», de «constructeurs des vérités sophistiquées» mais infondées.
Le but d’une vie n’est pas la recherche de l’argent
«Chez Socrate, Frédéric Lenoir trouve une raison qui n’exclue pas la foi. Pratiquer la vertu, se connaître soi-même revient à se construire une âme belle et digne des dieux. Socrate interpelle les jurés sur le perfectionnement de l’âme, la seule chose qui, selon lui, donne de la valeur à la vie. Le but d’une vie ne consiste pas en la recherche de l’argent, du pouvoir, des honneurs ou de la célébrité mais dans la pratique de la vertu comprise comme un enrichissement intérieur. Selon le conférencier, cette recherche n’aurait pas de sens sans l’immortalité de l’âme considérée, comme une hypothèse, «un bon risque» d’après la formule-même de Socrate.
Le philosophe Lenoir a découvert Socrate à 15 ans en lisant ’Le Banquet’ de Platon. «L’année suivante, explique-t-il, je découvre Bouddha en lisant le magnifique roman de Hermann Hesse ’Siddharta’. Enfin un peu plus tardivement, à l’âge de dix-neuf ans, je me rends compte de la richesse des Évangiles, en particulier de celui de Jean. Il a été pour moi un déclic. C’est là que j’ai perçu très nettement la dimension universelle de l’enseignement du Christ.» De manière intuitive et informelle, le Français va élaborer un certain nombre de liens entre Jésus et Bouddha. Il travaille ainsi sur la question de l’égalité de tous les hommes, de l’affranchissement de l’individu par rapport au groupe ou à la caste, ainsi que la recherche de la vérité ou encore de la nécessité d’incarner les principes qu’on prêche dans la vie. Les deux derniers points le conduisent à intégrer Socrate et à constituer une sorte de «trinité» libératrice. «J’ai finalement trouvé qu’à l’instar de Jésus, Socrate avait défendu ses idées jusqu’à être mis à mort par la cité parce qu’il constituait un trouble trop grand à l’ordre social», explique le conférencier avant de faire remarquer que tel n’est pas le cas de Bouddha, qui est mort à quatre-vingts ans, probablement d’une intoxication alimentaire.
Toutes ces observations conduisent le directeur du Monde des religions à considérer les trois figures comme des pères de la modernité spirituelle. Ni Mahomet, ni Moïse, ni Confucius, malgré tout l’intérêt que l’on peut leur porter, n’ont jamais proposé de se libérer du poids du groupe (respect des ancêtres, piété filiale, obéissance aux aînés et aux lois, patriarcat, etc.). Ils ont toujours préservé l’ordre social en soumettant l’individu au groupe ou à la caste. Personne n’a songé à libérer l’être humain. DNG
(*) Frédéric Lenoir «Socrate, Jésus, Bouddha -Trois maîtres de vie», Editions Fayard, 300p
(apic/dng/bb)