Eglise catholique chrétienne, 1ère partie
Apic dossier
A l’occasion du départ à la retraite, fin février, de l’évêque Fritz-René Müller, l’Apic consacre un important dossier à l’Eglise catholique chrétienne en Suisse. La 2e partie de ce dossier paraîtra début mars, sous la forme d’une interview du professeur émérite de l’Université de Berne, Urs Von Arx. Cet article abordera l’identité de l’Eglise «vieille catholique» et ses perspectives d’avenir, notamment dans le domaine oecuménique. BB
Apic Interview
Berne: L’évêque catholique chrétien Fritz-René Müller se retire fin février
Une Eglise en union totale avec la communauté anglicane
Bernard Bovigny / Andrea Krogmann, Apic
Berne, février 2009 (Apic) L’Eglise catholique chrétienne autorise le mariage des prêtres et l’ordination des femmes, y compris comme évêques, et s’appuie sur une structure synodale. De quoi attirer les catholiques romains déçus de leur Eglise? Pas vraiment. Tout comme les autres communautés chrétiennes, cette Eglise membre de l’Union d’Utrecht subit depuis plusieurs années une lente et régulière baisse de ses effectifs.
L’Apic a rencontré l’évêque sortant Fritz-René Müller et le théologien frais retraité Urs Von Arx pour faire le point sur la situation de l’Eglise catholique chrétienne en Suisse, sur le projet de «renouveau» et sur les perspectives d’avenir, au niveau des relations oecuméniques surtout.
C’est à Berne, au milieu des ambassades, que se trouve la centrale de l’Eglise catholique chrétienne en Suisse. Mais avant d’effectuer un parcours international, le visiteur découvre la nonciature apostolique qui trône majestueusement au début du quartier situé derrière la Thunplatz. Puis sa route, entrecoupée parfois de postes de sentinelles, l’amènera devant les ambassades d’Iran, d’Irak, et d’Italie notamment, et plusieurs somptueuses résidences d’ambassadeurs. A la hauteur de l’ambassade de Russie – à un jet de pierre de la Petruskirche réformée – se trouvent, dans une modeste bâtisse, le siège de l’évêque et le secrétariat de l’Eglise catholique chrétienne. C’est dans un milieu visiblement international et oecuménique que l’évêque Fritz-René Müller a accueilli l’Apic pour un dernier bilan avant de prendre sa retraite. Elu en 2001, il a été a été consacré évêque le 9 mai 2002. Il se retirera fin février et son successeur sera élu lors du synode national de juin.
Apic: Vous allez donc bientôt vous retirer …
Fritz-René Müller: Pas totalement. Il faut savoir que je suis aussi responsable des communautés de France et d’Italie, sur mandat de la Conférence des évêques vieux-catholiques de l’Union d’Utrecht. Et je garderai encore ces deux fonctions quelques temps. Il n’y a pas de diocèse dans ces deux pays, en raison du nombre peu élevé de fidèles. Ils ne sont que quelques centaines alors qu’il en faut au moins un millier pour former un diocèse.
Ainsi, je me rends parfois à Milan, Rome, Turin, Paris, et en Alsace. Et plus récemment au nord de la France, où une paroisse d’environ 200 personnes a voulu se joindre à la Mission vieille catholique de France.
Apic: Au niveau du nombre de fidèles, qu’en est-il en Suisse depuis quelques décennies?
FRM: Nous sommes en constante baisse, comme toutes les Eglises reconnues en Suisse, surtout du fait que notre communauté vieillit. Les départs et les conversions s’équilibrent, mais nous avons un net déficit de baptêmes par rapport aux décès, ce qui est d’ailleurs aussi le cas dans les autres Eglises chrétiennes de Suisse. Et contrairement aux Eglises catholique et orthodoxe, ce n’est pas l’immigration qui nous amène des membres.
Apic: Et les familles mixtes, dont un des conjoints est catholique chrétien et l’autre catholique romain ou réformé, quel baptême choisissent-elles pour leurs enfants?
FRM: Il y a quelques années encore, ces familles avaient tendance à baptiser leur enfant dans la communauté catholique romaine ou réformée. Cela vient du fait que les responsables de ces Eglises le demandaient. Et notre Eglise laisse davantage de «liberté de choix» du baptême. Mais cela a un peu changé car les fidèles des autres Eglises se sentent maintenant beaucoup plus libres de choisir. Et nos fidèles se sentent un peu plus engagés par rapport à leur Eglise.
Mais j’ai été confronté quelques fois, en 15 ans de ministère à Bâle, à une autre situation, très particulière. Des parents, catholique romain et réformé, n’arrivaient pas à se mettre d’accord et choisissaient finalement de baptiser leur enfant chez les catholiques chrétiens!
Apic: Au niveau financier, comment se passe l’encaissement des impôts ecclésiaux?
FRM: Nous encaissons un impôt ecclésial auprès de nos fidèles dans les cantons où notre Eglise est officiellement reconnue. Dans les autres cantons, nos membres versent librement une contribution.
Apic: L’Eglise catholique chrétienne offre ce à quoi aspirent de nombreux catholiques romains: des prêtres mariés, l’ordination des femmes, une structure synodale. Mais attire-t-elle dans ses rangs des catholiques romains déçus de leur Eglise?
FRM: Il y en a, mais peu. Je pense qu’il existe chez beaucoup de fidèles un sentiment de «patrie ecclésiale». On est né et baptisé dans une Eglise et on y reste, même si elle ne répond pas à ses attentes. Il faut beaucoup d’effort pour quitter son Eglise. Et ceux qui la quittent par déception vont rarement rejoindre une autre Eglise.
Notre liturgie est très proche de celle des catholiques romains. Et même s’ils apprécient notre liturgie, les membres des autres confessions chrétiennes auront un problème pour faire le pas. Il sera peut-être plus facile à franchir pour les réformés, qui rechercheraient une liturgie davantage «catholique» et une autre idée des sacrements, et qui retrouveraient chez nous une structure synodale. S’ajoute aussi le fait que nous sommes finalement peu connus en Suisse.
Je tiens cependant à souligner la bonne reconnaissance et les excellents contacts que nous entretenons avec les responsables des autres Eglises. Un évêque catholique romain vient chaque année à notre synode national. Et pour ma part aussi, j’apprécie aussi les relations avec les autres responsables chrétiens.
Apic: Un synode catholique chrétien se tiendra en juin prochain. Quels seront les principaux défis qu’il devra relever?
FRM: Le point le plus important de l’ordre du jour sera clairement l’élection du nouvel évêque. Un autre accent important sera mis sur la participation des jeunes. Ils y seront invités à travers les paroisses. Nous souhaitons qu’il y ait autant de jeunes entre 18 et 24 ans que de synodaux élus. Ils auront un droit total d’intervention, mais pas de vote.
Cette initiative correspond à l’idée de «renouveau» qui avait été lancée par mon prédécesseur déjà, l’évêque Hans Gerny. Je l’ai reprise à mon tour, avec comme accent l’unité spirituelle de nos communautés, ce qui est très important lorsque nous connaissons une période de diminution du nombre de fidèles et de nos finances.
Mes lettres pastorales ont toujours abordé un thème spirituel, qui a été ensuite discuté dans les paroisses. Cela a permis d’enraciner davantage nos communautés.
Lors de mon ordination, en 2002, chaque paroisse avait déposé dans une pochette un projet de renouveau à entreprendre chez elle. L’an dernier, lors de mes visites, j’ai évalué avec les paroisses ce qui a pu être renouvelé ces dernières années. Mais j’ai dû constater que parfois les forces ont manqué pour entreprendre ces projets. Beaucoup d’énergie est déjà consacrée au maintien de nos structures. Mais je me dis que le renouveau reste un processus, qui ne se termine jamais.
Nous avons pris l’initiative de convoquer un synode pastoral extraordinaire, en 2005 à Winterthur, consacré à ce processus de renouveau. Alors que le synode habituel rassemble une centaine de délégués, nous étions environ 150 participants. Cela m’a fait très plaisir qu’un tel intérêt se soit manifesté à cette occasion.
Apic: Vous avez signé, le 23 janvier 2005, la charte oecuménique européenne avec les autres responsables des Eglises chrétiennes en Suisse. Quels engagements de cette charte ont-ils fait l’objet d’une réflexion particulière ou d’une mise en application dans l’Eglise catholique chrétienne?
FRM: Sincèrement, après la signature, il ne s’est plus passé grand-chose. Ceci est d’ailleurs à constater dans presque toutes les autres Eglises, où la réception du document n’a pas débouché sur beaucoup d’initiatives. Par la suite, j’ai essayé de motiver les membres du synode à entreprendre quelque chose, mais le message n’a pas vraiment passé. Nos paroisses sont trop préoccupées par leur propre fonctionnement.
Cela dit, les engagements posés dans la charte oecuménique ne sont pas contestés. Tout le monde en est convaincu. Et si une initiative est prise dans le domaine oecuménique, tous en sont très heureux.
Il est peut-être plus facile pour les catholiques romains et les réformés d’entreprendre des réflexions, car ils ont beaucoup plus de spécialistes pour s’y atteler.
Cela dit, les relations oecuméniques ne sont pas du tout mauvaises en Suisse. Nous travaillons ensemble lorsqu’il s’agit de prendre position sur un objet de vote. De ce point de vue, l’Eglise catholique chrétienne est très reconnaissante envers les Eglises catholique romaine et réformées, qui accomplissent l’essentiel du travail de recherche et nous soumettent un projet de texte pour approbation. Il en est de même pour le matériel de Carême, réalisé par l’organisation catholique «Action de Carême» et la protestante «Pain pour le Prochain», et auquel est associée notre organisation «Etre partenaires».
Apic: Vous affirmez, dans la présentation de votre Eglise, que vous êtes en lien étroit avec les anglicans et les orthodoxes. Y a-t-il des raisons historiques à cela?
FRM: Oui. Depuis 1931, l’Union d’Utrecht, dont est membre l’Eglise catholique chrétienne de Suisse, est en pleine communion avec les Eglises anglicanes (»Accord de Bonn» ou «Bonn Agreement»). Par exemple en Suisse, je peux administrer le sacrement de confirmation aux anglicans, avec l’autorisation de leur évêque responsable. Et lors d’ordinations de prêtres et d’évêques, nous nous invitons mutuellement et participons à l’imposition des mains. En outre, les prêtres anglicans viennent recevoir chez nous les saintes huiles le Jeudi Saint.
Depuis 78 ans, nous vivons donc la pleine communion entre catholiques chrétiens et anglicans. Ceux-ci ont 12 prêtres en Suisse, dont 4 ou 5 femmes, répartis dans neuf paroisses anglicanes et une paroisse épiscopalienne.
Apic: Et d’où viennent les liens étroits que vous entretenez avec les orthodoxes?
FRM: Des accords avec les orthodoxes sont intervenus très tôt dans les Eglises de l’Union d’Utrecht, au 19e siècle déjà. Au 20e siècle, le dialogue s’est même intensifié et nous avons connu beaucoup de rapprochements, parfois avec des limites, au niveau culturel surtout.
Mais le fait que les catholiques chrétiens soient devenus plus proches des anglicans et que nous ayons autorisé l’ordination des femmes a constitué un frein à la pleine communion avec les orthodoxes, de même que notre ouverture à l’accueil des couples de même sexe. Par ailleurs, nous assistons depuis quelques décennies davantage à un rapprochement entre catholiques romains et orthodoxes. De ce fait, nos liens avec les orthodoxes se réduisent actuellement à des bons contacts et à des initiatives communes.
Concernant l’homosexualité, qui reste un thème tabou, nous considérons qu’en soi, cela n’est pas une entrave à l’ordination. Par ailleurs, les homosexuels ont une place dans la communauté. Mieux vaut finalement vivre ouvertement son attirance pour les personnes de même sexe que de demeurer cachés. A cet effet, j’ai introduit à titre expérimental un rituel de bénédiction des couples de même sexe, mais qui ne fait clairement aucune référence à un mariage. En quelques années, je sais qu’il n’a pas été utilisé en Suisse plus de 5 ou 6 fois. Mais cette ouverture a constitué une barrière dans notre relation avec les orthodoxes et les catholiques romains.
Apic: En Suisse, les baptêmes sont reconnus mutuellement entre catholiques romains, catholiques chrétiens et réformés …
FRM: Oui, bien sûr, et cela depuis plus de 30 ans.
Apic: Et maintenant, après plus de 130 ans de séparation, l’unité entre catholiques romains et chrétiens est-elle envisageable?
FRM: J’en suis intimement convaincu, mais je pense que nous devons toujours davantage cultiver le dialogue officiel. La condition d’une unité, de notre part, serait que le pape soit perçu comme l’évêque de Rome. Ou le «Primus inter pares». Nous ne pouvons pas concevoir une soumission des évêques et des Eglises nationales au pape. Cela n’est pas conforme aux principes de l’Eglise catholique des premiers siècles. C’est d’ailleurs suite à la promulgation du dogme de l’infaillibilité du pape que nous avons été forcés de nous séparer de l’Eglise catholique romaine. / BB
Encadré
«Ordonner une femme évêque pourrait causer des difficultés»
Le président ou la présidente du synode national dresse une liste de candidats évêques éligibles, qui sera soumise aux membres du synode. Pour y figurer, il faut être Suisse, prêtre et avoir moins de 70 ans.
«Le synode pourrait élire une femme, mais cela nous causerait peut-être des difficultés dans les relations oecuméniques, notamment avec les catholiques romains et les orthodoxes», affirme l’évêque Müller. «Mais nous recevons parfois des messages de catholiques romains qui nous félicitent de pouvoir élire une femme évêque».
«Lorsque le synode s’est prononcé pour l’ordination des femmes à la prêtrise, il y a eu quelques départs de déçus de notre Eglise qui ont rejoint l’Eglise catholique romaine, mais tout autant d’arrivées, dans l’autre sens, de catholiques romains qui ont trouvé chez nous ce qu’ils désiraient depuis longtemps», ajoute Fritz-René Müller.
La 141e session du Synode national de l’Eglise catholique chrétienne de Suisse aura lieu les 12 et 13 juin à Olten.
Encadré
Des Eglises rassemblées dans l’Union d’Utrecht
La proclamation du dogme de l’Infaillibilité papale en 1870 et la condamnation du Modernisme par le Ier Concile du Vatican ont choqué un grand nombre de fidèles et de prêtres, particulièrement dans les pays germaniques (Allemagne, Autriche, Suisse). Des Eglises s’y mettent en place, dans le rejet des nouvelles orientations de l’Eglise catholique romaine, à partir des réseaux déjà existants de catholiques libéraux. Dès le début, l’archevêque «vieil-épiscopal» d’Utrecht propose son assistance spirituelle et sacramentelle à ces groupes.
En septembre 1871, un congrès à Munich rassemble plus de 300 représentants de ces groupes, mais aussi des observateurs anglicans et protestants, ainsi que l’archevêque «vieil-épiscopal» d’Utrecht, Mgr Loos. Plusieurs congrès vont alors se réunir pour organiser et structurer l’Eglise. En 1874, la discipline du célibat des prêtres est abandonnée dans certaines églises et la même année, une Faculté de théologie catholique-chrétienne est fondée au sein de l’Université de Berne. L’adoption des langues vernaculaires au sein de la liturgie a lieu en 1877.
En 1889, une union de ces Églises est établie sous le nom d’Union d’Utrecht. Elle établit des liens d’intercommunion avec la Communion anglicane en 1931 par l’Accord de Bonn (Bonn Agreement), et se rapproche aussi avec d’autres groupes issus du catholicisme, mais en conflit avec le Saint-Siège, comme les Mariavites en 1909 ou l’Eglise indépendante des Philippines en 1965. (Source: Wikipédia)
Encadré
13’500 catholiques chrétiens en Suisse
L’Eglise catholique chrétienne compte 13’500 membres en Suisse, répartis en 34 paroisses. Elle s’appuie sur 28 prêtres en activité dont 4 femmes, et 6 diacres dont 4 femmes.
Environ la moitié des catholiques chrétiens vivent, pour des raisons historiques, dans les cantons d’Argovie et de Soleure. Des paroisses se trouvent également dans les cantons de Zurich, Berne, Lucerne, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Schaffhouse, Saint-Gall, Neuchâtel et Genève.
La plus grande paroisse catholique chrétienne de Suisse est celle de Möhlin, dans le canton d’Argovie. Sur 9’568 habitants, elle compte 999 catholiques chrétiens. Elle n’est cependant pas épargnée par le phénomène de baisse de ses membres: en 2000 la paroisse comptait encore 1’179 fidèles.
Encadré
Origines de l’Eglise catholique chrétienne en Suisse
L’Eglise catholique-chrétienne est reconnue par l’Etat au même titre que les Eglises catholique-romaine et protestante, relève-t-elle sur son site internet (http://www.catholique-chretien.ch). Elle s’est constituée à la suite de la protestation de catholiques libéraux contre les dogmes de l’infaillibilité papale, et surtout contre la prétention de la papauté à gérer l’Eglise catholique toute entière, ceci suite au premier Concile de 1870. Ces nouveaux dogmes, émis contre la croyance traditionnelle ont alors été rejetés.
La naissance de l’Eglise catholique-chrétienne en Suisse a été fortement liée aux disputes du «Kulturkampf». La proclamation des nouveaux dogmes, au milieu de l’évolution de l’Europe en Etats nationaux, a eu des effets politiques, qui se sont manifestés par la crainte de leurs conséquences dans la vie publique et les relations entre Eglises et Etat. Suite à cette résistance, les opposants ont été excommuniés. Ils ont été contraints dès 1872 à créer une organisation ecclésiastique propre pour assurer la continuité de l’Eglise dans le sens de son organisation préalable au Concile de Vatican I.
Le premier synode a eu lieu en 1875 à Olten. Y ont été adoptés la Constitution de l’Eglise, les règlements de gestion synodale, la création du Conseil synodal ainsi que le mode d’élection de l’évêque. Un an plus tard, cette élection a constitué l’achèvement de la création de l’Eglise catholique-chrétienne. Le théologien Edouard Herzog a été le premier évêque. Il a prêté serment sur la Constitution, en présence des délégués des autorités des cantons de Berne, Genève, Soleure et Argovie. BB
Des photos peuvent être commandées à l’Apic, courriel: apic@kipa-apic.ch (apic/ak/bb)
Grand Jubilé 2000: Le pape Jean Paul en Egypte du 24 au 26 février
APIC – Dossier
Sur les pas de Moïse et de la Sainte Famille
Jacques Berset, APIC
Fribourg/Rome/Le Caire, 20 février 2000 (APIC) Jean Paul II en a toujours rêvé: entreprendre, à l’occasion du Grand Jubilé de l’an 2000, un pèlerinage aux sources de l’histoire du Salut. La première étape – sur les pas d’Abraham à Ur en Chaldée – a certes dû être annulée, mais les autres étapes auront bien lieu: en Egypte, sur les pas de Moïse et de la Sainte Famille, du 24 au 26 février; en Terre Sainte (Jordanie, Israël, Jérusalem, Territoires palestiniens), du 20 au 26 mars.
Jean Paul II a dû renoncer à effectuer physiquement le pèlerinage dans le Sud de l’Irak. Bagdad, pour expliquer son refus, a mis en cause l’embargo, l’interdiction du survol de son territoire et les bombardements alliés qui se poursuivent. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël ont également fait pression, craignant que Saddam Hussein ne tire profit de cette visite pastorale et que le pape ne critique une nouvelle fois l’embargo qui a déjà coûté en une décennie des centaines de milliers de vies humaines.
Le pape devra donc se contenter, le 23 février, au cours d’une cérémonie spéciale dans la salle Paul VI du Vatican, d’un «pèlerinage spirituel à Ur», pour se mettre à la suite d’Abraham, le Père des croyants.
Pays musulman à plus de 80%, présence chrétienne notable
Pour sa 90ème visite pastorale à l’étranger, le pape se rend donc en Egypte, un pays de 66 millions d’habitants, à plus de 80% musulman, mais qui compte une forte minorité chrétienne copte oscillant selon les estimations entre 6 et 12 millions de fidèles. Sur place, les disciples de saint Marc affirment être près de 20% de la population, loin des statistiques officielles. Jean Paul II ira trouver le chef de l’Eglise copte orthodoxe, Chénouda III, qui porte le titre de «pape d’Alexandrie et patriarche du siège de saint Marc». C’est d’ailleurs à partir d’Alexandrie, comme le souligne l’Eglise copte, qu’a été diffusé le message chrétien en Egypte, grâce à la prédication de saint Marc.
Le pape rencontrera également Mohammed Sayed Tantawi, le Grand Imam d’Al-Azhar, l’instance religieuse qui fait autorité dans l’islam sunnite du monde entier. Le cheikh Tantawi, bien que musulman traditionaliste, passe pourtant pour un ennemi déclaré du fondamentalisme islamiste, qu’il considère comme une grave menace pour l’unité et la coexistence en l’Egypte. Il s’est engagé depuis plusieurs années dans un dialogue avec le Vatican. Al-Azhar et le Vatican ont d’ailleurs signé en 1998 au Vatican un accord portant sur la création d’un comité mixte de dialogue entre le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et le comité permanent d’Al-Azhar.
Visite du pape: fierté nationale égyptienne, une image de convivialité à restaurer
Sur place, les instances officielles sont fières et heureuses de la venue du pape Jean Paul II, dont elles mesurent l’importance pour l’Egypte, notamment dans le dialogue interreligieux. Elles voient dans cette visite une reconnaissance des efforts de leur pays pour maintenir et développer son expérience séculaire de convivialité islamo-chrétienne. Une image de coexistence pacifique écornée par des soubresauts de violence incontrôlée, comme les sanglants accrochages qui ont fait à Nouvel An une vingtaine de morts et des dizaines de blessés dans la localité d’Al-Kosheh, à 500 kilomètres au sud du Caire. Des dizaines de magasins coptes ont été incendiés et pillés dans cette grosse bourgade de 23’000 habitants, à 75% coptes.
Les militants islamistes ont semé une culture de la haine et de la méfiance
Même si toutes les victimes sauf une sont des chrétiens coptes, la version officielle ne parle que d’une «dispute entre deux commerçants» qui a dégénéré en conflits sanglants entre clans familiaux. Une réaction habituelle pour éviter d’aller au fond du problème, estime le sociologue égyptien Saadeddin Ibrahim. Pour S. Ibrahim, président du Centre Ibn Khaldun pour la société civile, l’incident d’Al-Kosheh résulte d’une «atmosphère et d’un terrain empoisonnés». Ce terreau de préjugés et de fanatisme a été alimenté pendant des décennies par les militants islamistes. Si les forces de sécurité ont éliminé les éléments armés, la culture de la haine et de la méfiance qu’ils ont semée subsiste et la population de certains villages de Haute-Egypte est toujours prête à s’enflammer au premier incident. La tradition des «vendettas» intercommunautaires y est fortement enracinée depuis la nuit des temps.
L’écrivain Milad Hanna, auteur de plusieurs livres sur les relations entre coptes et musulmans, estime que les mesures de sécurité ne suffisent pas: il faut donner plus de liberté à l’Eglise copte (jusqu’à récemment, la construction et même la réparation d’une église était soumise à l’autorisation du président de la République en personne, alors que les mosquées foisonnent, qui n’ont pas toutes reçu un permis de construire!). L’Eglise copte doit pouvoir organiser davantage de célébrations publiques, afin qu’elle soit mieux connue de son environnement musulman. Les médias et l’école doivent être utilisés pour éduquer à la tolérance mutuelle, car l’ignorance et les préjugés nourrissent la méfiance, souligne Milad Hanna.
L’Egypte, berceau des civilisations et du monothéisme
Les autorités égyptiennes rappellent à l’occasion de cette visite que l’Egypte, charnière entre l’Afrique et l’Asie, «berceau des civilisations», a la particularité d’être un «creuset» qui a assimilé une foule de populations et de croyances diverses. Le ministre du tourisme Mamdouh El-Beltagui affirme que c’est en Egypte qu’est apparue la première croyance monothéiste de l’humanité, initiée par le pharaon Akhénaton, au XIVème siècle avant Jésus-Christ. «Sur cette terre, également, ont vécu Moïse, Jésus, puis pacifiquement vint l’islam».
En effet, le pays, connu de tout temps comme une terre d’asile, a également hébergé sur son sol durant plusieurs années Joseph, Marie et l’Enfant Jésus qui avaient fui le massacre des enfants décrété en Judée par le roi Hérode. Jésus n’était alors qu’un bébé. Le Ministère égyptien du tourisme a d’ailleurs profité du Grand Jubilé pour éditer, en collaboration avec le pape Chénouda, l’ouvrage «La Sainte Famille en Egypte» dans le but de faire connaître les richesses de la civilisation copte et rappeler que l’Egypte fait aussi partie de la «Terre Sainte».
Moïse et les Tables de la Loi
Le pape n’aura évidemment pas le temps de parcourir le long trajet que, selon la tradition copte, la Sainte Famille a accompli du Sinaï en Haute-Egypte, en passant par le Delta et la forteresse de Babylone (dans le Vieux-Caire). Il se rendra par contre au monastère orthodoxe de Sainte-Catherine, au pied du Djebel Moussa (2285 m), le Mont Moïse. Appelé communément Mont Sinaï, il s’agirait du Mont Horeb des Hébreux, où Moïse vit le buisson ardent et reçut les Tables de la Loi sur lesquelles sont inscrits les Dix Commandements.
Depuis 1400 ans, derrière ses hautes murailles, le monastère de Sainte-Catherine, fondé sous le règne de l’empereur byzantin Justinien (525-565), n’a jamais été conquis, pillé ou endommagé. A travers toutes les époques, le monastère situé à 1500 m d’altitude, au cœur des montagnes de granit arides, a bénéficié de la protection et du patronage des puissants: de la part des empereurs byzantins puis du prophète Mahomet lors de la conquête musulmane. Les moines bénéficièrent de la bienveillance des croisés dont la présence en Terre Sainte amena un important flux de pèlerins à la chapelle du Buisson ardent, puis des sultans turcs et de Napoléon.
La deuxième bibliothèque de manuscrits après celle du Vatican
Sainte-Catherine s’enorgueillit de posséder une prestigieuse bibliothèque qui vient jusqu’après celle du Vatican quant au nombre et à la valeur des manuscrits qu’elle contient: de ces quelque 3’000 volumes manuscrits, deux tiers sont en grec, le reste en arabe, syriaque, géorgien, arménien, copte, éthiopien et slavon.
Le trésor le plus précieux du monastère, le «Codex Sinaïticus», se trouve aujourd’hui au British Museum. Ce manuscrit grec de la Bible datant du IVème siècle, a été subtilisé au siècle passé par l’érudit allemand Konstantin von Tischendorf et emmené à St-Petersbourg, où il tomba aux mains du tsar. Après la Révolution d’Octobre, les soviétiques le conservèrent un temps. Ayant besoin de devises, ils le vendirent en 1933 au gouvernement anglais.
Aujourd’hui, lieu de pèlerinage et de tourisme très fréquenté, le couvent de Sainte-Catherine souligne avec fierté que la vie monacale se déroule de façon ininterrompue dans ce lieu depuis le VIème siècle. Soumis à l’archevêque du Sinaï, les moines de l’Ordre Monastique du Sinaï – exclusivement des Grecs! – sont, depuis la fondation, restés indépendants, même s’ils entretiennent des liens privilégiés avec l’Eglise orthodoxe grecque du patriarcat de Jérusalem. Le pape visitera le monastère le 26 février; il y célébrera la liturgie avec les moines grecs-orthodoxes, avant de retourner au Caire et de s’envoler pour Rome. (apic/be)