Genève: Pourquoi vivre ? Lytta Basset et Jean Vanier répondent...

Non, la «Bible ne condamne pas le suicide»

Par Gladys Théodoloz

Genève, 29 septembre 2008 (Apic) « On ne s’en remet jamais ». C’est ce que disent bien des personnes à propos de la mort d’un enfant. C’est ce qu’ont dit bien des gens à Lytta Basset lorsque son fils s’est suicidé, il y a sept ans. Ravagée par ce drame « inintégrable à vues humaines », la théologienne genevoise a pourtant réussi à y trouver du sens pour continuer de vivre. Comment ? C’est ce qu’elle a évoqué le 25 septembre devant plus de 500 personnes lors de la conférence à deux voix qu’elle donnait à Genève avec Jean Vanier, fondateur de l’Arche, sur le thème : Vivre, pourquoi ?

Oui, pourquoi continuer à vivre lorsqu’on a tout perdu ? Lorsqu’on s’est perdu soi-même, ne sachant même plus qui on est. Comment donne-t-on un sens à la vie « lorsqu’elle s’échine à nous le cacher » et que Dieu est « aux abonnés absents »? La question nous concerne tous et c’est pourquoi, sans doute, il y avait tant de monde jeudi dernier à se presser dans le grand auditorium d’Uni Dufour.

Vivre, un choix

Simple, sereine, lumineuse, Lytta Basset a souligné tout d’abord que le sens – à la fois direction, signification, capacité de sentir et capacité de juger – ne doit pas être confondu avec le bonheur. C’est quelque chose de bien plus profond, qui fait que quand il disparaît, l’avenir s’effondre, la relation s’éteint, le langage même s’arrête.

Pourquoi vivre ? Se poser la question n’a rien de pathologique, vu « qu’on ne vient pas au monde avec un mode d’emploi ». C’est même plutôt positif. Cela démontre notre volonté : « Je veux comprendre ce que je fais de cette vie ». Une vie que nous avons la liberté d’accepter, mais aussi de refuser, soutient la théologienne, au cas où la souffrance devient trop intolérable. Opinion qui fera peut-être scandale, étant donné la condamnation massive du suicide qui a toujours prévalu dans l’Eglise et aussi dans la société civile. Pourtant la Bible ne condamne pas le suicide. Le Dieu de la Bible écoute avec beaucoup de sollicitude le cri de ceux qui veulent mettre fin à leurs jours. Ce qu’il entend, c’est « Je ne veux plus souffrir » et non pas « Je veux mourir ». Lytta Basset va même plus loin dans son argumentation – qui ne concerne pas les adolescents, tient-elle à préciser – en faisant remarquer qu’au point de vue éthique, ce qui ne se justifie pas, c’est de condamner quelqu’un qu’on aime à vivre alors que sa vie est un enfer. La vie n’est pas une obligation, mais un choix. Raison pour laquelle elle a souvent envie de « remercier les personnes de bien vouloir vivre. C’est incroyable le nombre de personnes qui continuent à vivre, je leur dis chapeau ! ».

Raccrochée au vivant

Après la mort de son fils, Lytta Basset elle aussi s’est trouvée confrontée à ce choix. Ce qui l’a poussée à continuer le chemin, un jour de plus, voire même parfois une heure de plus, de jour en jour et d’heure en heure, c’est principalement de s’être raccrochée aux êtres vivants qui l’entouraient – le vivant, même non humain, étant souvent l’ultime planche de salut du naufragé à la dérive, tels ces prisonniers isolés de tout qui continuent de vivre à cause de la fourmi ou de l’araignée qui partagent leur cellule. Au fil du temps, Lytta a appris aussi à se déprendre des certitudes, elle a renoncé à savoir, à comprendre le passé, à expliquer la vie, elle a « changé de registre », passant de la raison raisonnante à « l’intelligence du coeur ».

Je t’aime tel que tu es

Son émouvant et lucide témoignage ne pouvait que toucher en plein coeur un être sensible et bon comme Jean Vanier, si ouvert aux autres, lui qui partage depuis tant de décennies sa vie avec les plus simples et les plus pauvres, au sein de cette Communauté de l’Arche qu’il a fondée, et qui compte aujourd’hui 135 lieux de vie dans 50 pays.

« L’histoire de l’Arche, c’est de faire jaillir la vie », explique-t-il. De faire qu’il y ait moins de peur et plus de liberté ». Puis il raconte l’histoire d’Eric, rencontré en hôpital psychiatrique à l’âge de 16 ans et accueilli à l’Arche. Un adolescent aveugle, sourd, abandonné et horriblement angoissé à l’idée qu’il n’était pas aimé. Mais non, « tu es beau tel que tu es, je t’aime tel que tu es, je suis heureux de vivre avec toi », voilà ce que Jean Vanier et les personnes engagées dans l’Arche s’attachent à dire à tous les Eric du monde, poussés non pas par la générosité, qui contient un élément de supériorité, mais par le désir de communion, qui suppose la rencontre.

La rencontre, maître mot de toute relation. La relation, clé de tout amour. Cet amour « qui n’est pas juste un truc émotif » mais une révélation. Jean Vanier ne le répétera jamais assez : « Aimer quelqu’un, c’est lui révéler qu’il y a de la vie en lui, qu’il a des dons ». C’est une découverte réciproque, un engendrement mutuel. Tu me donnes vie, je te donne vie ». C’est faire naître l’autre à une liberté nouvelle, dans la certitude qu’il est aimé de Dieu. En acceptant aussi ce qu’il y a de mort et de ténèbres en soi, en ayant conscience de sa propre fragilité.

C’est ce qui permet « d’être présent auprès de la croix des gens, debout, de les comprendre, de leur dire « Je suis là, j’ai confiance en toi ». Un magnifique message d’espérance. APIC

Encadré

Tout homme est une histoire sacrée

La conférence de Lytta Basset et Jean Vanier était organisée à l’occasion des 25 ans de la Corolle, communauté de l’Arche accueillant 22 personnes et comptant trois foyers (bientôt quatre) dans la région de Versoix. Les communautés de l’Arche sont des lieux de vie partagée entre personnes ayant ou non un handicap mental. Elles sont basées sur la confiance en Dieu et affirment la valeur unique de chaque personne. Le fondateur de l’Arche est le philosophe canadien Jean Vanier, ancien officier de marine et grand voyageur, âgé aujourd’hui de 80 ans, que sa quête spirituelle a amené à devenir le compagnon de vie des plus pauvres. Sa devise : « Tout homme est une histoire sacrée ». Jean Vanier a aussi profité de son passage à Genève pour animer un week-end spirituel à la paroisse Saint-Martin d’Onex.

(apic/gth/pr)

29 septembre 2008 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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