Moscou: Comme un air de dégel entre catholiques et orthodoxes en Russie

Apic-Reportage

Après les accusations de prosélytisme, premiers projets communs

Jacques Berset, agence Apic

Moscou, 9 juillet 2006 (Apic) L’oeil de la caméra, qui, depuis l’immense bâtiment de la Loubianka – le siège de l’ex-KGB – scrutait le parvis de l’église de Saint-Louis-des-Français, ne semble plus qu’un mauvais souvenir. Au centre de Moscou, l’église aux deux clochetons et au portique à six colonnes, oeuvre de l’architecte tessinois Domenico Gilardi, ne désemplit pas en ce dimanche d’été. Juste retour à la normalité, après sept décennies de persécution religieuse.

Le fronton de ce bâtiment édifié en 1835, expression d’un classicisme prisé à l’époque, ressemble – en plus petit ! – au grand théâtre du Bolchoï. On était alors en plein coeur du «quartier français» de Moscou, mais l’esprit de Paris semble renaître sur Kouznetski Most, la rue du Pont des Forgerons. En tout cas, juste à côté, le lycée Alexandre Dumas avec ses 700 élèves francophones, a pris ses quartiers dans les locaux de l’ancienne école Saint-Philippe-de-Néri, disparue dans la tourmente de la révolution bolchevique. Le lycée français manque déjà de places, tant la demande est grande!

Pendant la période communiste, l’église de Saint-Louis-des-Français fut le seul édifice catholique resté ouvert dans tout Moscou. Et encore, parce qu’il était protégé par l’ambassade de France, nous confie le Père Adrien Masson, un religieux assomptionniste depuis 12 ans à Moscou, où il seconde un autre confrère, breton comme lui, Bernard Le Léannec. Curé de Saint-Louis-des-Français depuis août 1991, ce dernier fut journaliste au quotidien catholique français «La Croix». « Même s’il y a eu des ambassadeurs non croyants, ils ont cependant toujours protégés nos pères ! », souligne le religieux français.

Staline, à son corps défendant, a semé de la graine de chrétiens

Certes, malgré la présence de ce dangereux voisin qu’était la Tchéka, l’ancêtre du KGB qui s’appelle aujourd’hui FSB, les religieux ont pu maintenir le culte, mais à quel prix ! «Le KGB prenait en photo tous ceux qui entraient, beaucoup de gens ont été arrêtés de cette façon, conduits directement dans les geôles de la Loubianka. Certains ont été condamnés à 30 ans de goulag», témoigne le Père Adrien. Qui a plein de souvenirs de ce genre à raconter, comme celui du Père Judicaël (Jean) Nicolas (1901-1984), qu’il a connu quand il était au séminaire de Lyon.

«Il fut capturé à Odessa en avril 1945, et envoyé dans les camps de Vorkouta, au-delà du cercle polaire (*). Il put en revenir vivant, en 1954. après la mort de Staline. «Quand je l’ai rencontré, il était très amaigri, mais vivant. Il y avait également dans les camps un nombre incalculable de prêtres et de fidèles orthodoxes». Si Staline a fait au moins une bonne chose dans sa vie, dit-il d’un ton grinçant, c’est d’avoir forcé des centaines de milliers de gens à se mélanger, de la frontière polono-russe aux confins de la Sibérie, en passant par le Kazakhstan. « Il y avait parmi eux des catholiques, qui sont restés là-bas et ont formé des îlots catholiques, la graine, c’est lui qui l’a semée, à son corps défendant. »

Dans l’assistance à la messe, ce dimanche matin, une vieille dame aux cheveux blancs. «Elle a fait 8 ou 9 ans de bagne», lâche le religieux breton, avec du respect dans la voix.

Avant le retour des pères français lors de la perestroïka, c’étaient des assomptionnistes américains qui ont assumé la plupart du temps la paroisse. En effet, rentré en France en 1936 pour raison de santé de Mgr Pie Neveu – qui avait été ordonné évêque clandestinement en l’église Saint-Louis de Moscou -, n’avait pas été autorisé à revenir. «Les Américains ne passaient ici que trois ans, tellement c’était difficile à l’époque. Ils ne pouvaient pas voir un seul Russe, ils étaient parqués dans les ghettos diplomatiques. C’étaient des assomptionnistes américains d’origine québécoise, avec des noms français, comme Laberge, Dion, Laplante, Fortin, . Ils avaient pu venir parce que le président Roosevelt avait demandé à Staline la présence d’un prêtre américain pour le personnel de l’ambassade».

A l’époque communiste, la vie à Moscou était pénible physiquement (il fallait encore faire la queue dans les années 90 pour les biens de première nécessité), mais surtout épuisante nerveusement. Beaucoup de prêtres et de fidèles catholiques ont été déportés en Sibérie, sans compter la répression contre les orthodoxes, qui a coûté la vie, selon des sources russes, à 130 évêques et 13’000 prêtres. Mais aujourd’hui, insiste le Père Adrien, Moscou est devenu une ville européenne «normale», comme Londres ou Paris: on peut aller n’importe où, dire ce que l’on veut ! «L’Eglise n’est plus sous l’oeil vigilant du KGB, du moins on ne s’en rend plus compte».

Des églises toujours pas restituées

Si l’on trouve un certain nombre de «nouveaux riches» – millionnaires en dollars – à Moscou, la majorité de la population vit modestement et les prix sont élevés. Un médecin ou un professeur doit avoir plusieurs emplois pour pouvoir vivre correctement, sans parler des retraités, même si la situation économique dans la capitale russe en bien meilleure qu’en province. Par contre, les nombreux étrangers qui travaillent dans l’industrie pétrolière – et qui fréquentent l’église – vivent plutôt à l’aise.

Saint-Louis-des-Français est une véritable «ruche» qui célèbre durant tout le dimanche des messes en français pour la communauté francophone, mais qui tient lieu également de «paroisse internationale» : elle héberge les voisins dont l’église a été confisquée sous Staline et n’a encore été restituée. Du matin au soir, de 8h à 21h, un millier de personnes participent au culte en français, latin, anglais, polonais, lituanien et même vietnamien. C’est qu’à part l’église de l’Immaculée Conception de Marie, cathédrale de Mgr Kondrusiewicz, archevêque du diocèse de la Mère de Dieu à Moscou, les quelque dizaines de milliers de catholiques de l’immense capitale russe (plus de 11 millions d’habitants) n’ont que cette véritable église, si l’on ne tient pas compte de quelques petites chapelles et de lieux de culte provisoires.

Le pape Benoît XVI mieux accepté que le pape polonais

Le Père Adrien l’admet, les contacts oecuméniques avec les prêtres de l’Eglise orthodoxe sont malheureusement plutôt rares. Les catholiques ne sont de toute façon que 600’000 sur tout le territoire de la Fédération de Russie, qui compte quelque 143 millions d’habitants, dont près de 60% seraient orthodoxes.

«Les orthodoxes pensent que les catholiques sont tous des Polonais. Ils découvrent peu à peu que nous sommes très diversifiés, et avec l’arrivée du pape Benoît XVI, qui est allemand, c’est beaucoup plus facile qu’avec Jean Paul II, car les Allemands sont bien vus en Russie, au contraire des Polonais, avec lesquels il y a un long contentieux historique».

Embellie dans les relations entre catholiques et orthodoxes

Cette embellie dans les relations entre catholiques et orthodoxes nous est confirmée par le Belge Jean-François Thiry, directeur de la «Bibliothèque de l’Esprit», la «Duchovnaja biblioteka», sise à la rue Pokrovka 27, au centre de Moscou.

Elle a été lancée fin 1993 à la demande de la Conférence épiscopale russe, qui a demandé à la Fondation italienne «Russia Cristiana» à Milan d’ouvrir à Moscou un centre de distribution de livres religieux pour soutenir le travail pastoral de l’Eglise catholique qui renaissait de ses cendres dans la défunte URSS. Dirigée par le Père Romano Scalfi, cette fondation y envoyait clandestinement des livres religieux durant le régime communiste depuis les années 50.

Soutenue par l’oeuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), cette fondation initiée par «Russia Cristiana» a été lancée avec le concours de la Caritas de Moscou et l’archevêque Kondrusiewicz, bientôt rejointe par le métropolite Philarète de Minsk, responsable de la Commission théologique du patriarcat de Moscou. L’Eglise orthodoxe russe participe ainsi à l’aventure à travers la Fondation Saints Cyrille et Méthode. «La Bibliothèque de l’Esprit collabore avec l’Académie théologique de Saint Serge pour distribuer la Bible dans tous les séminaires orthodoxes russes; cette précieuse collaboration contribue à la prise de conscience et est un instrument important pour le dialogue entre nos deux Eglises».

Durant l’époque communiste, le Foyer oriental chrétien à Bruxelles, les jésuites de Meudon ou Russia Cristiana envoyaient secrètement des livres religieux en URSS par le biais des canaux diplomatiques ou des touristes. «On s’est rendu compte au début des années 90 qu’il ne fallait plus travailler depuis les pays occidentaux, mais s’installer sur place, pour des raisons de coûts – traductions, envois, frais de douane – mais aussi pour des raisons psychologiques». La Russie est en effet un pays orthodoxe, «et on s’est rendu compte que l’Eglise orthodoxe ne connaissait pas l’Eglise catholique, qu’elle soupçonnait de prosélytisme, mais que la méconnaissance venait aussi du côté catholique».

La «Bibliothèque de l’Esprit» au service de l’oecuménisme

C’est pour cette raison que la «Bibliothèque de l’Esprit» a commencé à distribuer ses ouvrages catholiques par les canaux de l’Eglise orthodoxe, faisant de même avec des livres orthodoxes dans les milieux catholiques. «Nous avons donc préparé un catalogue mettant ensemble ouvrages catholiques et orthodoxes», note Jean-François Thiry.

Ce solide Gaumois avait étudié le russe à l’Institut libre Marie Haps de Bruxelles et l’avait mis en pratique en 1991 comme professeur de français et d’anglais – et même d’éthique – à l’Institut pédagogique de l’Etat à Novossibirsk, en Sibérie. «Ce fut un moment clé de ma vie, partagée avec des prêtres italiens, avec lesquels ont riait beaucoup, malgré les privations, les queues pour trouver du lait. qui tournait arrivé à la maison ! »

Après son service militaire en Belgique – où il travaille comme traducteur de russe auprès du Quartier général de l’armée belge et est envoyé en mission en Russie pour vérifier la destruction de tanks – cet ancien ami et collaborateur du Foyer oriental chrétien et de la radio CRTN, de l’AED décide de s’installer à Moscou. «Mon passage à Novossibirsk, dans le dénuement matériel, a représenté pour moi une radicalisation de ma foi. J’ai compris que tout ce qui existe a une seule valeur en Jésus, donc pouvait être vécu comme un sacrifice».

«Nous avons commencé très petit, en cherchant à diffuser des livres et à en éditer. Au début, c’était dur, car tout le monde ne comprenait pas le sens de notre travail, certains orthodoxes craignaient le prosélytisme, des catholiques ne comprenant pas notre intérêt pour les orthodoxes, si éloignés de leur mentalité», poursuit le directeur de la «Bibliothèque de l’Esprit».

C’est vrai que plus d’un catholique en Russie, une petite minorité qui ne rencontre pas toujours la compréhension de la majorité orthodoxe, pensait qu’aider les orthodoxes était priver d’aide les catholiques. «Pour moi, c’est une fausse interprétation, car cette aide est un signe de rapprochement et cette possibilité de collaboration a été encouragée tant par le patriarche orthodoxe Alexis II que par le pape Jean Paul II, qui tous deux nous ont envoyé un message d’encouragement lors de l’ouverture de la bibliothèque».

Membre du mouvement catholique «Communion et Libération» (CL), fondé par Don Luigi Giussani, qui fut intéressé à la Russie par son ami Romano Scalfi, Jean-François Thiry estime que CL est sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la manière d’agir en Russie que le projet de la «Duchovnaja biblioteka». «Il ne s’agit pas de convertir les orthodoxes au catholicisme, mais au contraire de les aider à retrouver le chemin dans leur propre Eglise. D’ailleurs, le mouvement CL à Moscou – qui compte une cinquantaine de membres, dont une majorité d’Italiens et de Russes – a permis à de nombreux Russes à redevenir orthodoxes ou à d’autres de rester dans cette tradition.

En décembre 2003, Jean-François Thiry a lancé avec la Commission théologique du Patriarcat de Moscou le projet éditorial «La théologie chrétienne au XXe siècle», présenté par l’Eglise orthodoxe elle-même, «dans le but d’entrer dans le XXIe siècle». Le directeur de la «Bibliothèque de l’Esprit» est conscient qu’il faut aider l’Eglise orthodoxe à sortir de la situation dans laquelle elle se trouve: pendant près de trois quarts de siècle, le régime communiste l’a empêchée de faire des recherches théologiques, sans parler du fait qu’elle l’a décimée physiquement et matériellement.

«L’idée éditoriale est de créer une base sur laquelle ils puissent ensuite faire travailler leurs propres spécialistes». Pour l’instant seuls sept livres sont en préparation : il s’agit de présenter des théologiens catholiques, orthodoxes et même protestants qui ont été publiés en Occident, comme Sergei Boulgakov ou Jaroslav Pelikan (La tradition chrétienne). Du point de vue catholique, l’équipe de J.-F. Thiry prépare un ouvrage de Hans Urs von Balthasar (Liturgie cosmique), une biographie de ce fameux théologien suisse, un livre du cardinal français Jean Daniélou, «Essai sur le mystère de l’histoire».

Grâce également à son programme de «livres par courrier», cette «Bibliothèque de l’Esprit» fait parvenir ses livres dans les lieux les plus reculés de Russie et de la CEI. Sa publication du catéchisme de l’Eglise catholique en langue russe a donné lieu à plusieurs rééditions, avec plus de 12’000 exemplaires déjà écoulés. Associé au Centre culturel qu’elle abrite dans la Maison Botkine, une maison de maître aux stucs refaits à neuf, le but de cette entreprise oecuménique est clair, relève son directeur, c’est d’apprendre à mieux se connaître et à se libérer de la peur. Pour qu’enfin catholiques et orthodoxes en Russie arrêtent de regarder en chiens de faïence. JB

(*) Il a donné son témoignage dans un ouvrage bouleversant, intitulé ironiquement «Onze ans au paradis», Fayard, 1958.

Pour soutenir les projets de réconciliation des Eglises chrétiennes dans la Fédération de Russie, vous pouvez verser vos dons à l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED) à Lucerne:

CCP 60-17200-9 ou Banque cantonal de Lucerne Compte 01-00-177930-10

Les photos de ce reportage peuvent être commandées auprès de l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. CP 253 – Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 E-Mail: ciric@cath.ch (apic/be)

11 juillet 2006 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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APIC – Reportage

Suisse: 8e Congrès «Al-Anon» des groupes familiaux A.A. de Suisse romande et italienne

L’alcoolisme, un mal familial

Alain Bader, Agence APIC

Charmey, 28 septembre 1998 (APIC) L’alcoolisme en Suisse représente annuellement trois milliards de coûts sociaux. L’argent est moindre, compte tenu des problèmes sociaux que l’alcool génère. Fléau des familles, il cause des dégâts souvent irréparables: disputes, enfants battus, divorces, salaires gaspillés, accidents mortels,… Le Centre Réformé de Charmey, dans le canton de Fribourg, accueillait ce week-end le 8e Congrès des groupes familiaux «Al-Anon» et «Alateen». Deux mouvements issus de l’Association «Alcooliques Anonymes» (A.A.), forte de 2,2 millions de membres dans le monde. Leur but: aider les enfants et les conjoints affectés par l’alcoolisme d’un membre de leur famille ou d’un ami intime.

Le bois sied à merveille à la construction des maisons dans les Préalpes. Il accentue la chaleur que dégagent les fraternités réunies en congrès au Centre Réformé. Perchée sur la rive gauche de la vallée du Javro, en aval de la Chartreuse de la Valsainte, la Maison de la jeunesse et de l’Eglise réformée du canton de Fribourg, à Charmey, est un havre de paix en Gruyère.

«Mon père est mort de l’alcool et mon conjoint suit le même chemin. Ma mère a été la plus perturbée; elle voulait tout dominer, tout prendre en main. Les rôles étaient inversés, alors j’ai ressenti que je vivais dans une famille qui n’existait plus. En fréquentant les «Al-Anon», j’ai appris le détachement émotif: à aimer mon époux alcoolique en me détachant de son problème», constate Micheline, grand-maman pétillante de vie.

Elle croit au programme spirituel proposé et à une puissance supérieure qui lui procure la force de l’appliquer. Pourtant elle se dit athée et arrive de Belgique pour partager une foi commune. Sous leur apparence «BCBG», chaque personne concernée par la maladie de l’alcool en a été imprégnée de façon différente, certes, mais rarement sans souffrances. Les conséquences aussi sont différentes: le mouvement A.A. propose trois groupes de thérapie.

La foi en une puissance supérieure telle que chacun la conçoit

Au mur de la salle qui accueille la séance d’information publique du Groupe «Al-Anon» de Fribourg, organisateur de la rencontre, François d’Assise, humble dans son cadre, domine la quarantaine de participants: malades de l’alcool, co-dépendants ou simplement intéressés. Albert, pionnier masculin d’un groupe «Al-Anon», résume le programme spirituel proposé: «L’étude des 12 étapes du programme nous aide à affronter et à résoudre les problèmes liés à l’alcoolisme. Nous apprenons à leur faire face de manières constructive, afin d’être capables de les régler graduellement. Prises dans un sens large, elles constituent une philosophie spirituelle reflétant divers aspects de religions et de philosophies répandues dans le monde».

Tandis que les badges, représentant un oiseau en vol, des membres «Al-Anon» sont bleus, ceux de la fraternité mère «Alcooliques Anonymes» sont rouges. La chapelle, seul endroit fumeur avec la cafetaria, affiche son œcuménisme dans ses décorations. Les membres A.A. y tiennent une séance fermée dont le thème est: «Lâcher prise». La seule condition requise pour être membre des A.A. est un désir d’arrêter de boire. Son but primordial: que les A:A restent sobres et aident d’autres alcooliques à parvenir à la sobriété. Les trois groupes ne se retrouvent ensemble que dans les séances ouvertes. Ils sont unis par la foi en une puissance supérieure telle que chacun la conçoit.

L’alcoolisme est un mal familial

Accompagnées de «mouettes rieuses jaunes», les personnes qui ont choisi la séance ouverte des «Alateen» s’élèvent jusqu’au «Pigeonnier», pièce faîtière du Centre et du Congrès. Assis au milieu de la salle, les enfants sont le cœur, le noyau central, de la famille A.A. «Il m’arrive de vouloir me venger de l’alcoolique pour tout ce qu’il m’a fait; jusqu’à ce que je me rende compte qu’en vérité, je ne fais que de me punir. J’essaie de comprendre l’alcoolique au lieu de le condamner. Le programme «Alateen» m’aide à garder mon attention là où elle doit être: sur mon propre épanouissement», confie la modératrice des débats, Fabienne, souriante adolescente âgée de 16 ans.

«Alateen» regroupe des jeunes, enfants et adolescents, qui s’entraident en partageant leur expérience, leur force et leur espoir. Ils croyent que l’alcoolisme est un mal familial parce qu’il affecte, sur le plan émotif, et trop souvent physique, tous les membres de la famille. «Nous ne discutons pas de religion et ne nous impliquons dans aucune organisation extérieure. L’unique sujet de nos discussions est la solution de nos problèmes», précise Pietro, membre «Al-Anon» et guide dans un groupe «Alateen».

Les guides sont des «oreilles ouvertes sur le cœur des enfants». Ils les préparent à oser dire le mal être vécu en s’ouvrant à l’autre. «Je fais confiance aux adultes des groupes A.A. car je sais qu’ils ne me jugeront pas et ne me critiqueront pas. Garder mon anonymat me procure un sentiment de bien-être et m’aide à rester humble», avoue Stéphanie, 12 ans. Christophe, 8 ans, les yeux brillants derrière ses lunettes rondes, ne manque ni de philosophie, ni de franchise: «Parler de mes problèmes m’aide à me sentir mieux. Dans «Alateen», je prends ce qui peut me servir et pour le reste je «laisse béton». Ca me fait beaucoup de bien». Un point c’est tout.

Ultime partage: «La Prière de la sérénité»

L’après-midi dominical touche à sa fin; le 8e Congrès des groupes «Al-Anon» et «Alateen» de Suisse latine aussi. Les «Alcooliques Anonymes» partagent avec eux l’ultime séance. Elle est consacrée à la prière commune aux trois confréries. Elle résume à merveille l’ambiance qui a régné durant tout ce week-end en Gruyère. Elle clôt traditionnellement les séances de groupe.

Debout, réunis main dans la main, quelques curieux se joignent à la centaine de participants de tous âges, touchés par la maladie de l’alcool. Ils la récitent d’un même cœur: «Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne puis changer, le courage de changer les choses que je peux et la sagesse d’en connaître la différence».

Dehors, le soleil darde la Dent de Broc de ses derniers rayons. Son sommet coiffe sa précoce tenue automnale d’un nuageux bonnet gris. A ses pieds, humble rivière, la Jogne coule vers de lointains horizons avec sérénité. Un slogan A.A., lu quelque part inonde l’esprit: «Hier est déjà oublié, demain n’est pas encore là, le présent est magnifique». (apic/ab)

28 septembre 1998 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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