Témoignage passionné du Père Mansour Labaky
Liban : un défi à tous les fanatismes et à toutes les dictatures (131189)
Fribourg, 13novembre(APIC) «Mon coeur est avec la liberté, que représente
le général Aoun, lance, passionné, le Père Mansour Labaky, et le crime des
accords de Taëf, c’est qu’on a négligé son avis : on l’a traité comme quantité négligeable, on ne peut pas mépriser un homme qui a versé son sang,
c’est une question de fidélité». En tournée de conférences en Suisse, le
Père Labaky, curé maronite de Roumieh, à 15 kilomètres à l’est de Beyrouth,
était vendredi soir à l’Université de Fribourg. Dans une interview accordée
à l’agence APIC, le directeur du Fonds social maronite a lancé un vibrant
appel pour un Liban libre et souverain, débarrassé de l’occupation syrienne
et israélienne.
Le Père Labaky cherche un appui financier pour le Fonds social maronite,
un organisme caritatif créé par le patriarcat maronite de Bkerke. Le Fonds
veut, sur des terrains offerts par l’Eglise, développer des projets «qui
donneraient des signes de foi et d’espérance dans l’avenir du Liban» : des
écoles techniques, des hôpitaux, des logements … pour que les Libanais
croient que le Liban va rester. Le gouvernement libanais – inexistant – ne
peut réaliser de tels projets et l’Eglise a épuisé ses moyens en quinze ans
de guerre, c’est pourquoi elle s’adresse aux pays amis.
La seule terre arabe libre
Le Liban est la seule terre arabe libre – où peuvent vivre sans problème
chrétiens, musulmans, juifs et athées – et si le Liban disparaissait, «cela
signifierait la victoire de toutes les idéologies d’apartheid», affirme le
prêtre maronite. A son avis, en effet, il n’y a aucune réelle démocratie
dans la région, puisqu’en Israël même, Etat hébreu, chrétiens et musulmans
n’y ont pas les mêmes droits que les juifs. Quant au Liban, «c’est un pays
de charité et de tolérance : il est l’image de ce que devrait devenir le
monde, un défi pour les fanatismes religieux et les dictatures»… s’il
n’était pas l’objet de la convoitise des puissances étrangères.
Pour illustrer l’esprit d’ouverture du Liban, Mansour Labaky relève que
dans ce pays de 10’400 km2 et de 3 millions d’habitants – malgré la guerre,
la pénurie, les pannes d’électricité, les murs artificiels que l’on a construits entre les communautés, entre les secteurs – il y a eu l’an dernier
1’800 livres édités, alors qu’il n’en est paru que 1’200 dans tous les pays
arabes. «C’est ce symbole-là que l’on voudrait détruire!»
L’irruption de l’irrationnel et du désespoir : l’attaque du patriarcat
Le dénominateur commun des Libanais, affirme l’écrivain et poète maronite, c’est la liberté : les Libanais ne sont pas parfaits, et là où il y a
deux maronites, il y a trois opinions; mais quand la liberté est menacée,
tout le monde resserre les rangs. Cependant, si l’on défend la liberté, on
la défend mal, on devient irrationnel et l’on commet de la violence, comme
dans le cas de l’attaque du patriarcat maronite de Bkerke, dans le nuit du
5 au 6 novembre par des manifestants se réclamant du général Aoun ou les
menaces contre le président Mouawad et les députés maronites qui l’ont élu.
«L’attaque de Bkerke, je n’arrive pas à me l’expliquer, c’est un acte de
désespoir : les enfants, en général, se plaignent devant leur père et le
patriarche Sfeir est leur père». Le patriarcat a toujours été la référence,
relève Mansour Labaky, et quand les gouvernements font défaut et quand les
politiciens trahissent, le patriarcat est – depuis 1200 ans – la conscience
de la liberté des Libanais. Alors, ces jeunes Libanais, désespérés de voir
le patriarche appeler à une entente et croire que la paix est possible, ont
commis une bêtise. «Mais l’on ne s’attaque pas comme cela à son père !»
«Mais je suis sûr, poursuit-il, que si demain, ils allaient l’embrasser et
lui demander pardon, le patriarche les embrasserait».
A son avis, l’attaque du patriarcat de Bkerke pourrait même être une
provocation pour discréditer le général Aoun, qui a avec lui la majorité du
peuple : «dans le réduit chrétien, il dispose du soutien de presque tout le
monde – peut-être pas des politiciens ? – et dans les secteurs occupés, même si les gens ne sont pas libres de s’exprimer, il bénéficie du soutien
tant des musulmans que des chrétiens». Les gens téléphonent de ces régions
pour dire : «Dites-lui de tenir, il parle à notre place, il dit à haute
voix ce que nous n’avons pas le droit de dire». «Nous Libanais, nous ne
voulons pas mourir esclaves, lance avec défi Mansour Labaky, et je préfère
vivre un jour comme un lion plutôt que cent ans comme un mouton».
Propos recueillis par Jacques Berset