Dubrovnik: Béatification de la première femme croate

100e voyage international de Jean Paul II

Société interpellée pour la reconstruction morale et sociale du pays

Dubrovnik, 6 juin 2003 (Apic) Le pape Jean Paul II a entamé vendredi la seconde étape de ses cinq jours de visite en Croatie, en béatifiant devant quelque 60’000 fidèles Marija Petkovic, la présentant comme exemple pour les femmes croates. Vendredi a été déclaré jour férié par les autorités de la ville étape du pape.

Jean Paul II s’est en effet directement adressé aux femmes croates, dans la matinée du 6 juin 2003, à l’occasion de la béatification de Marija Petkovic (1892-1966), à Dubrovnik dans le sud de la Croatie. Profitant de son passage dans l’ancienne République de Raguse ayant particulièrement souffert des bombardements yougoslaves en 1991, le pape a interpellé le peuple croate à s’engager dans la reconstruction morale et sociale du pays.

Sous un soleil caniculaire, quelque 60’000 personnes s’étaient rassemblaient sur la grande place du port de Dubrovnik, à quelques centaines de mètres de la vieille ville fortifiée. Les pèlerins venaient pour la plupart de Croatie, mais aussi de toute la région des Balkans, dont les peuples qui la composent ont souvent été déplacés en raison des nombreuses guerres ou dictatures. La présence du président socialiste Stjepan Mesici a été particulièrement remarquée aux premiers rangs de l’assemblée.

Visiblement revigoré par une bonne nuit à Rijeka, dans le nord de la Croatie, le pape a repris l’avion, dans la matinée du 6 juin, pour effectuer les quelque 500 kilomètres le séparant de la petite ville fortifiée de Dubrovnik, coincée entre l’imposant massif montagneux du Biokovo et la mer Adriatique. Sur la route menant de l’aéroport à l’ancienne Raguse, les stigmates de la guerre des années 90 étaient encore bien visibles, alors que Dubrovnik a été quasiment entièrement reconstruite grâce notamment à l’aide de l’UNESCO. Sur l’eau, à quelques encablures du port où avait été installé l’autel d’où Jean Paul II a célébré la messe, de nombreux bateaux de plaisance et de pêche étaient bondés de familles et d’enfants brandissant les drapeaux du Vatican et de la Croatie.

Blessures encore ouvertes

Au cours de la messe, le pape a béatifié la première femme croate, Marija Petkovic de Jésus Crucifié. Originaire de Blato, sur l’île de Korcula en Croatie, Marija est entrée dans les Ordres à l’âge de 14 ans. En 1919, alors qu’elle a seulement 24 ans, elle devient responsable du couvent, avant de fonder la Congrégation des Filles de la Miséricorde de saint François, première communauté franciscaine originaire de Croatie. Depuis ses origines, cet ordre se consacre notamment au service des orphelins, encore nombreux aujourd’hui dans la région de Dubrovnik après la dernière guerre serbo-croate.

«La figure de la bienheureuse Marija me conduit à penser à toutes les femmes de Croatie, à celles qui sont épouses et mères heureuses, comme à celles qui sont marquées par la douleur de la perte d’un proche à cause de la guerre des années 90, ou à cause de toute autre grande déception subie», a lancé Jean Paul II en croate au cours de son homélie.

Interrogé par I’Apic un prêtre venu de Zagreb, la capitale, a expliqué que «les blessures de la guerre ne sont pas encore fermées, en particulier pour toutes ces femmes qui ont été violées». Selon lui, le pape a sans doute voulu également faire allusion au nombre croissant de divorces dans le pays.

Le pape a en outre profité de la béatification de Marija Petkovic pour saluer les femmes consacrées, les encourageant à vivre leur engagement «non seulement comme un engagement humain généreux», mais surtout comme «une réponse à un don qui vient d’en haut et demande d’être accueilli avec une totale disponibilité».

Difficile dialogue orthodoxe

Se rappelant qu’il se trouvait dans une des régions les plus touchées par les bombardements yougoslaves de 1991, quelques semaines après la proclamation de l’indépendance de la Croatie, Jean Paul II a enfin insisté pour qu’à travers «le pardon réciproque, la charité et la paix, (la) communauté chrétienne de Croatie grandisse et se fortifie». Un appel clair à la réconciliation et au dialogue avec les Serbes et les Monténégrins voisins, principaux ennemis des Croates durant la dernière guerre.

Le dialogue entre orthodoxes serbes ­ qui représentent 12,3% de la population de Croatie – et catholiques de Croatie repart peu à peu, après avoir été complètement bloqué en raison de la guerre. Même si le patriarche Pavle de Serbie refuse toujours de rencontrer Jean Paul II, il a toutefois donné son consentement à l’ouverture d’un dialogue entre Rome et Belgrade. Ainsi, les relations entre le Saint-Siège et le patriarcat orthodoxe de Serbie ont reprises le 6 février dernier, lorsque Jean Paul II a reçu pour la seconde fois en dix ans une délégation de membres du Saint-Synode orthodoxe de Serbie.

A l’issue de la messe de béatification, Jean Paul II s’est rendu dans la résidence de l’évêque de Dubrovnik, Mgr Zelimir Puljic, située sur les hauteurs de la ville fortifiée. Il devait ensuite se reposer quelques instants avant de reprendre la papamobile pour effectuer une visite à travers les ruelles ombragées de Dubrovnik, qu’il visite pour la première fois. Le pape devrait enfin reprendre l’avion en fin d’après-midi en direction de Rijeka, au nord du pays, où il réside tout au long du voyage. AS

Encadré

La presse salue les propos du pape

La presse croate dans son ensemble a salué vendredi sur des pages entières la visite du pape en Croatie, se demandant si les recommandations faites par le souverain pontife lors de ses deux précédents voyages avaient été suivies. Nombre de quotidiens mettent l’accent sur le souhait du pape de voir la Croatie dans l’Union européenne». «Slobodna Dalmacija», le quotidien de la ville portuaire de Split met pour sa part en exergue la déclaration du pape où il souligne que «le riche patrimoine de la Croatie contribuera au renforcement de l’Union européenne». Quant au «Jutarnji List». il met l’accent sur un autre thème évoqué par le pape, la paix et le pardon, après les guerres meurtrières des années 90 dans les anciennes républiques yougoslaves. PR

Encadré

Des chiffres et des kms

Le pape Jean Paul II a été absent du Vatican presque deux ans au cours de ses 25 ans de pontificat. Il boucle ces jours-ci en Croatie son 100e voyage apostolique hors d’Italie. Au terme de sa visite en Croatie, sur 8’972 jours de pontificat, le pape en aura passé 575 hors du Vatican.

Les distances parcourues sont également impressionnantes: 1’160’113, soit plus de trois fois la distance de la terre à la lune, 29 fois le tour du monde. En tout ce ne sont pas moins de 129 pays visités, 614 villes ou villages.

Le pays le plus visité reste la Pologne – son pays natal – (8 fois), suivi par les Etats-Unis (7 fois), la France (6 fois), le Mexique et l’Espagne (5), le Brésil et le Portugal (4 fois), l’Autriche, l’Allemagne, la Suisse, la République Tchèque, le Guatemala, la République dominicaine, le Canada, la Côte d’Ivoire, le Kenya (3 fois).

Le voyage le plus long, le 32e, a eu lieu en novembre-décembre 1986: «l’athlète de Dieu» a parcouru le Bangladesh, les Seychelles, Singapour, les îles Fidji, la Nouvelle Zélande, l’Australie.

Parmi les voyages les plus marquants, la presse italienne cite le premier effectué en Pologne en 1979, au Nicaragua en 1983, à Cuba en 1998, en Terre Sainte en l’an 2000. PR

Encadré

«Il faudra du temps»

Pour Linda Pergega, religieuse catholique albanaise vivant au Kosovo, «il faudra du temps pour que le dialogue avec les orthodoxes et avec les musulmans ­ les deux principales religions avec les catholiques, dans les Balkans, ndlr ­ revienne à la normalité». Venue en bus la veille avec une trentaine de paroissiens de Binci, dans le sud de la province, elle avoue avoir eu du mal à obtenir un visa en raison de son appartenance religieuse. Toutefois, elle reconnaît que «l’Eglise catholique à réussi à montrer qu’elle avait un message différent de celui qu’on a pu lui attribuer au cours de la guerre». «Il nous faut agir avec force et foi dans les domaines de l’éducation pour effacer les divisions et apprendre à nous connaître», a- t-elle déclaré à l’Apic. Mais tous les catholiques ne voient pas la demande de pardon et de dialogue demandée par Jean Paul II. Les journaux du 6 juin révélaient, selon des sondages non officiels, que 40% des Croates étaient encore réticents à effectuer des gestes de réconciliation. Environ 40% des Croates s’opposent toujours à la réconciliation entre Serbes, Croates et Bosniaques musulmans, selon un récent sondage publié par l’hebdomadaire «Globus». L’histoire n’est pas non plus pour faciliter un autre regard, avec la collaboration croate pour le régime oustachi, proche des troupes hitlériennes durant la seconde guerre mondiale. (apic/as/pr)

6 juin 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
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