Bulle: Rencontre avec Jean Glasson, jeune prêtre du diocèse de LGF
Apic Interview
L’ancien fan d’Elvis est devenu disciple du Christ
Par Samuel Heinzen de l’Apic
Bulle, 27 mai 2003 (Apic) Le 29 juin Jean Glasson sera ordonné prêtre, avec son confrère Guy Jeanmonod, par Mgr Bernard Genoud en l’église St Pierre- aux-Liens à Bulle. Agé de 26 ans, il fait partie de la nouvelle génération de clercs, ceux pour qui mai 68 fait partie de l’histoire, pour ne pas dire du passé. Ce fringuant jeune homme, en col romain et costume foncé, considère que le rôle du prêtre est «d’annoncer l’Evangile et d’administrer les sacrements en vue de mener les fidèles du Christ à la sainteté».
C’est cet idéal de vie, qui à 20 ans, a poussé ce fan d’Elvis Presley à abandonner son insouciance pour se mettre au service de la communauté ecclésiale. A la veille de son ordination, en stage dans les paroisses de Renens et Bussigny, il raconte à l’Apic son parcours, ses convictions et ses espoirs.
Apic: De quel milieu venez-vous ?
Jean Glasson: Je suis né à Bulle le 18 septembre 1976 dans une famille bourgeoise, de bons radicaux gruériens, bien catholiques. Comme tout fils d’entrepreneur qui se respecte, j’ai fait partie des jeunesses radicales. J’ai maintenant pris mes distances avec l’engagement politique, qui n’est d’ailleurs pas compatible avec la fonction de prêtre. S’il reste les idées et les sympathies, il s’agit toujours d’un radicalisme à la gruérienne, qui n’a jamais été vraiment anti-clérical.
Apic: Comment l’annonce de votre entrée au séminaire a-t-elle été accueillie dans votre famille ?
Jean Glasson: Mes grands-parents, très pratiquants, ont été ravis de mon entrée au séminaire. Par contre mon père, qui est très critique envers l’institution ecclésiale, a subi un choc. Il n’avait rien vu venir, contrairement à ma mère qui n’était nullement surprise.
Apic: Votre père s’est-il opposé à votre entrée au séminaire ?
Jean Glasson: Mon père a eu une attitude extraordinaire. Il m’a expliqué qu’en tant que parent, il voulait mon bonheur et donc respectait mon choix, tout en m’avouant qu’il n’arriverait certainement jamais à le comprendre. Durant mes années de séminaire, il m’a beaucoup aidé par ses critiques. Il a été un aiguillon qui m’a obligé à fortifier ma décision et m’a empêché de me reposer sur des encouragements lénifiants.
Apic: Avez-vous toujours été croyant ?
Jean Glasson: J’ai toujours été croyant, enfin j’ai toujours cru en Dieu. Mon goût pour les ballades en montagnes et la proximité avec la nature ont été pour moi l’occasion d’expérimenter la présence de Dieu, une présence qui me dépasse et me fascine, serait-ce en écoutant durant des heures le bruit du vent dans les arbres.
Par contre, ma foi en l’Eglise n’a pas coulé de source. Enfant, je détestais aller à la messe, ça me barbait, je trouvais ça trop long. Cependant, lorsque j’ai fait ma confirmation à 12 ans, j’ai été interpellé par les propos du prêtre qui nous a dit «soit vous confirmez votre baptême, soit vous mettez tout au placard». A partir de là, j’ai décidé de m’engager de manière plus particulière, en l’occurrence. aller plus régulièrement à la messe le dimanche.
Apic: Etiez-vous un adolescent déjà engagé en Eglise ?
Jean Glasson: Pas vraiment. A 15 ans, ce qui a changé ma vie, c’est la découverte d’Elvis Presley. J’étais même membre du fan’s club de Suisse. J’étais également fan de Marilyne Monroe et des «sixties» en général, Cadillac rose y compris. Ça contrastait pas mal avec mon goût pour la musique classique et l’histoire qui caractérisaient mes loisirs au début de mon adolescence.
Surtout qu’avec Elvis, j’avais pris l’attitude rock’n’roll et le look qui va avec. Tout y était, même la coupe de cheveux en «banane». Les résultats scolaires en ont subi les conséquences. De sortie tous les week-ends. bien arrosées et en bonne compagnie. Les lundis matins au Collège du Sud étaient bien difficiles. La formation latin anglais étant peu compatible avec ce rythme de vie.
Apic: Et surtout peu compatible avec une vocation sacerdotale.
Jean Glasson: Aussi surprenant que cela puisse paraître, Elvis Presley m’a aidé à garder le contact avec Dieu. Le «King» a en effet produit quatre disques de gospel, cette merveilleuse musique religieuse, qui n’hésite pas à employer des paroles très fortes pour célébrer la foi.
Dans la dernière partie de sa vie, marquée par la déchéance, Elvis interprétait de plus en plus de morceaux de gospel dans ses concerts. Que le «King of rock n’ roll» chante de la musique religieuse et déclare publiquement sa foi en Dieu m’a profondément interpellé. Que lui ait besoin de croire en Dieu, ça a fasciné l’adolescent plein d’interrogations existentielles que j’étais. Ça ma également donner envie de chanter du gospel, comme le «King».
Apic: N’y a-t-il eu qu’Elvis pour éveiller votre vocation ?
Jean Glasson: Non, bien sûr. Parallèlement, j’ai commencé à fréquenter l’aumônerie du Collège, animée à l’époque par Bernard Genoud, qui est aujourd’hui mon évêque. J’ai également suivi plusieurs retraites organisées au Simplon. Là encore, la motivation première n’était pas de prime abord très spirituelle: une très bonne copine avait insisté pour que je l’accompagne. Cette première retraite ma particulièrement marqué, car j’y ai rencontré des jeunes de mon âge, ainsi que des professeurs, pour qui le Christ était quelqu’un d’important.
Puis progressivement, j’ai découvert le Christ dans la vie de prière. Prière qui est finalement devenu quotidienne. Petit à petit les choses se sont transformées. Je ne vivais plus la messe de la même manière et mes sorties du week-end me laissaient un arrière goût amer. Sans renier les amitiés, je ne pouvais penser que le reste de ma vie ne serait qu’une suite de foires. La question du sens de la vie est devenue alors particulièrement préoccupante.
Le besoin de suivre le Christ m’est ainsi apparu comme une nécessité, car la foi répondait à ma recherche de sens. J’ai donc commencé à m’engager dans la vie de paroisse. J’avais 18 ans, mais je n’avais pas encore l’idée de devenir prêtre. Mon idéal de vie restait très bourgeois. Je voulais faire le droit et me payer une Cadillac.
Apic: Qu’est-ce qui a provoqué le déclic?
Jean Glasson: A partir de cette époque, ponctuellement, l’idée de l’engagement sacerdotal m’a travaillé. Un jour en lisant la Bible, je suis tombé sur la vocation d’Isaïe: «qui enverrai-je qui ira pour moi». Cette parole du Seigneur m’a touché en profondeur et tous mes plans de vie s’en trouvèrent chamboulés. Durant ma dernière année de Collège en 1996, mes envies de richesse et de réussite ont laissé la place au désir de devenir prêtre, un désir qui me remplissait de joie.
Apic: Comment se sont déroulées les années de séminaire du diocèse de LGF à Vilars-sur-Glâne ?
Jean Glasson: Je suis entré au séminaire dans la joie et la bonne humeur. Les deux premières années se sont passé sur des billes. Les deux dernières années d’études ont par contre été marquées par le doute, sur la vocation elle-même et aussi par rapport à la situation de l’Eglise. Les oppositions à l’intérieur même du clergé n’ont pas été faciles à vivre.
Apic: Quelles oppositions ?
Jean Glasson: Les opinions des jeunes aspirants prêtres ne sont pas forcément partagées par leurs aînés. On en vient à se demander si notre présence est vraiment aussi souhaitée qu’elle en a l’air. Pour moi, devenir prêtre, c’est aider les gens à rencontrer Dieu. Pourtant j’ai l’impression qu’aujourd’hui, à force de vouloir se rapprocher des gens sur un plan horizontal, on en oublie parfois la dimension verticale, spirituelle. On a l’impression de gêner en voulant annoncer le Christ ressuscité. A la longue, ça devient minant.
J’ai heureusement trouvé auprès des communautés nouvelles une reconnaissance de cette conception du sacerdoce dans laquelle je me sens bien, celle d’être prêtre de Jésus Christ. Bien entendu, il ne faut pas tomber dans l’excès et se contenter de faire le contraire de la tendance d’Eglise née dans les années septante et qui nous a aussi énormément apporté. Il est essentiel pour moi de trouver un bon équilibre.
Apic: Quel genre de prêtre allez vous être ?
Jean Glasson: Le rôle du prêtre est d’annoncer la parole et d’administrer les sacrements. Il représente ainsi Jésus au milieu de son peuple. C’est pourquoi il est important dans la vie de l’Eglise que chacun respecte la place de l’autre, afin de favoriser une bonne collaboration entre les divers membres, prêtres et laïcs.
Pour moi cette collaboration doit se faire en vue de l’idéal chrétien qu’est la sainteté. A partir de là, des services différents s’organisent selon ce but. Celui du prêtre n’est pas celui du laïc et vice-versa. Sinon, à force de se tirer dans les pattes, on perd toute complémentarité.
Apic: Etes-vous inquiet de la situation actuelle de l’Eglise ? Son manque de prêtres comme de laïcs ?
Jean Glasson: Par rapport à la crise des vocations et à l’avenir de l’Eglise, je suis très paisible. Il y a nombre de communautés priantes, et aussi pas mal de jeunes, avec qui on peut aller de l’avant. Mieux vaut des communautés plus petites, mais avec des fidèles qui y croient vraiment. Les croyants non pratiquants, ça ne m’a pas l’air très cohérent. Comme le pape Jean XXIII, qui disait à ce propos: «je suis nudiste non pratiquant».
Apic: Pourquoi portez-vous le col romain ?
Jean Glasson: Le col romain est un signe, une manière d’annoncer la couleur, c’est un instrument de communication. J’ai longtemps hésité à le porter. Mais finalement j’ai fait ce choix pour souligner mon obéissance à l’Eglise. C’est en lien avec elle que mon ministère de prêtre portera du fruit. Or, l’Eglise nous demande de porter un signe de l’état clérical.
Cependant, je suis attaché à obéir à l’Eglise, pas à ce col blanc. Si l’Eglise me demandait de l’enlever, je le ferais. Cette conception est partagée par nombre de jeunes prêtres. Pour moi il est important d’indiquer que l’on est prêtre, d’endosser un signe d’Eglise, une Eglise avec ses grandeurs et ses misères.
Apic: En fait de misère, que dites-vous aux personnes choquées par les récents scandales de moeurs qui ont ébranlé l’Eglise au niveau international ?
Jean Glasson: L’Eglise fondée en Dieu est divine, mais constituée d’hommes. Et l’histoire nous a appris de quoi sont capables les hommes. Quand des fautes graves sont commises par des hommes d’Eglise, c’est encore plus choquant. Cette réalité fait partie du mystère de la foi. Je ne peux que la reconnaître. Il n’y a pas à la dissimuler ou à l’excuser, il faut demander pardon, comme l’Eglise l’a fait par la voix du pape à diverses occasions. Ces situations pénibles nous poussent à être d’autant plus fidèles au Christ, dans l’humilité et la conscience de nos faiblesses.
Apic: A 26 ans, vous sentez-vous mûr pour vous engagez dans le célibat ?
Jean Glasson: Tout engagement à tout âge est un saut dans le vide, de même que dans la confiance en la force de Dieu, le célibat comme le reste. Je suis conscient des difficultés à venir et je suis déjà conscient de celles présentes. L’absence de compagne et probablement dans quelques années l’absence de la paternité sont des défis à relever, mais le défi est le propre de tout engagement. (apic/sh)
France: Un franciscain à la tête du Service des relations avec l’islam
APIC – Interview:
«Etre serein et vigilant pour améliorer nos rencontres»
Jean-Claude Noyé, pour l’Agence APIC
Paris, 9 décembre 1997 (APIC) C’est un fils de saint François qui succède à Gilles Couvreur, prêtre de la Mission de France, à la tête du Service des relations avec l’islam (SRI). Né en 1935, le frère Gwenolé Jeusset, OFM, a exercé son apostolat en Côte d’Ivoire de 1968 à 1987, où il a été responsable des relations avec les musulmans. De 1982 à 1993, il a été membre du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Il a visité plus de 40 pays d’Afrique et d’Asie où des franciscains vivent avec les musulmans. Ses explications sur l’avenir des contacts entre chrétiens et musulmans en France.
APIC: La dernière assemblée plénière des évêques s’est intéressé à la présence de l’islam en France. En tirez-vous un bilan positif?
G:J: Certainement. Les évêques ont consacré une journée complète à ce sujet. C’est significatif. Ensuite l’esprit m’a paru positif, je n’ai pas ressenti de blocages. Les conférences que Mgr Michael Fitzerald, secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, et de Mgr Joseph Doré, archevêque de Strasbourg, ont donné à cette occasion ont été féconds en remontées qu’il va falloir mettre au clair. On va vers un texte important sur les relations islamo-chrétiennes en France, à paraître après l’assemblée plénière de 1998. On ne sait pas encore cependant s’il sera publié sous l’autorité de la Conférence épiscopale ou du seul Comité épiscopal des relations interreligieuses. D’ores et déjà, le SRI vient de publier un dossier sur l’islam en France.
APIC : Mgr Fitzgerald a parlé à Lourdes d’un courant missionnaire de l’islam en Europe. Un vieux fantasme d’invasion qui resurgit?
G.J. : Il faut replacer cette phrase dans son contexte. Ce que Mgr Fitzgerald dit, c’est qu’il y avait divers courants de l’islam en Europe et que parmi ceux-ci existait ce courant missionnaire ou fondamentaliste, minoritaire au demeurant.
APIC :Tout de même, nombre de nos évêques n’ont-ils pas au fond une certaine «peur» de l’islam?
G.J. : Je n’en sais rien. En tous cas, je suis d’accord avec ce qu’a déclaré Mgr Louis-Marie Billé, président de la Conférence des évêques de France, à savoir «qu’il faut être à la fois serein et vigilant» quand cela s’impose. Il est normal que les musulmans désirent répandre leur foi. Mais c’est la manière de faire qui parfois est contestable. Il ne faut pas être naïf; on sait que des musulmans intégristes, en dehors des frontières françaises ont des relais dans l’Hexagone. Par ailleurs, il y a entre les Européens et les musulmans arabes une réalité historique de conflits. Je n’ai pas trouvé l’équivalent en Asie – sauf aux Philippines dans le Mindanao – ni en Afrique noire. Aujourd’hui il faut purifier notre mémoire. Les chrétiens doivent s’y employer mais nos partenaires aussi.
APIC : Annie Laurent, dans son livre «Vivre avec l’islam», a précisément accusé votre prédécesseur, le Père Gilles Couvreur, de naïveté…
G. J. : Force est de constater que ceux qui nous considère comme des naïfs refusent le dialogue avec les musulmans. Je vous renvoie à la Déclaration des évêques latins du monde arabe ( Mondo Migliore, 30 octobre 1997). «Nous sommes très sensibles au fait que plus d’un million de chrétiens sont privés du droit à la liberté religieuse en Arabie Saoudite…Ce qui garantit la dignité des musulmans quand ils sont minoritaires doit assurer celle des chrétiens là où ils le sont également. Cette fermeté devant l’injustice ne doit pas nous servir d’alibi pour retourner au temps des polémiques et de la défiance. Nous devons comprendre que dans un monde marqué par la globalisation, l’islam est perçu par certains comme un rempart qui les protège des injustices contemporaines.
APIC : Le temps d’un vrai dialogue interreligieux avec l’islam en France n’est pas encore venu?
G.J. : Plus que le mot dialogue, qui renvoie à une affaire de spécialistes, théologiens surtout, je préfère le mot rencontre. Il faut d’abord se rencontrer en profondeur les uns et les autres, vouloir que l’autre nous reconnaisse comme un frère. Alors le dialogue sera commencé sans qu’on s’en aperçoive. A l’évidence, ce n’est pas encore le cas pour les deux communautés, chrétienne et musulmane, en France.
APIC : La construction de mosquées rencontre beaucoup de réticences, chez les élus notamment. Le dossier de la formation en France des imams est également en panne. Comment se situent les évêques sur ces questions?
G.J. : Les élus traînent les pieds surtout pour des raisons électoralistes. Le jour où un nombre conséquent de musulmans voteront, les choses changeront. Ne serait-ce que par respect de la liberté religieuse, les évêques ne s’opposent pas à la construction de vraies mosquées et à la formation réelle et autochtone des imams – laquelle reste l’affaire des musulmans eux-mêmes – toutes deux susceptibles par ailleurs d’enrayer les dérives intégristes. Il est plus facile de contrôler la teneur des prédications dans une grande mosquéée que dans des locaux obscurs.
APIC : Le problème de la non-représentativité de la communauté musulmane envers les pouvoirs publics sera-t-il un jour résolu?
G.J. : C’est vrai que c’est très handicapant, tant pour les pouvoirs publics que pour les musulmans. Mais je les comprends. Leur communauté est très diverse par les origines et de surcroît, il n’y a pas en islam de hiérarchie forte, structurée comme telle. Je crois qu’il faudra du temps, de 20 à 30 ans, pour que l’islam soit pleinement français et non plus relié aux pays d’origine. C’est déjà beaucoup que les jeunes s’affirment comme musulmans français et non plus comme Marocains ou Algériens. (apic/jcn/ba)