Maroc: L’archevêque de Rabat commente la situation de son pays et de l’Eglise
«Que le détroit de Gibraltar ne devienne pas un vaste cimetière»
Rome, 23 février 2003 (Apic) A l’occasion d’une visite Ad Limina, Mgr Vincent Landel, archevêque de Rabat au Maroc, a dressé un tableau de la situation actuelle de ce pays du Maghreb et de l’Eglise catholique en particulier. Il s’est adressé devant un parterre d’étudiants, d’ecclésiastiques et de diplomates au PISAI (institut pontifical d’études arabes) à Rome le 19 février. Le prélat décrit son pays comme «un couloir de migration», accentué par l’attrait du détroit de Gibraltar.
La situation économique est «très difficile», affirme Mgr Landel, qui donne deux raisons principales: trois ans de grande sécheresse, d’une part, et le fait que les investissements industriels ne se développent guère, donc peu d’emploi nouveau en perspective, d’autre part.
Si le Maroc compte actuellement 19 universités et de nombreux diplômés, beaucoup d’entre eux sont sans travail et «50 % des jeunes Marocains veulent émigrer». «Que le détroit de Gibraltar ne devienne pas un vaste cimetière», implore ainsi Mgr Landel, insistant sur une responsabilité interne mais aussi «une responsabilité de l’Europe». «Le Maroc est aussi un couloir de migration sub-saharien», ajoute en outre le prélat qui insiste notamment sur le fait que «si un drame se déroule dans un des pays au sud du Sahara, de nombreux immigrés envahissent le Maroc et cherchent également à remonter sur l’Europe».
Sur le plan de la politique extérieure, les relations entre le Roi Mohammed VI et le Saint-Siège sont particulièrement bonnes, estime le prélat, la dernière visite royale au Vatican remontant au 13 avril 2000. Quant à «la grande difficulté» de rapport avec l’Algérie sur la question du Sahara, Mgr Landel souligne l’importance de la récente rencontre des ministres des Affaires étrangères en vue d’un projet de sommet entre le roi du Maroc et le président algérien.
Evolution du statut de la femme
Sur le plan intérieur, l’archevêque de Rabat qualifie de «très positif» le fait que les dernières élections se sont réalisées «dans la transparence, même si la participation n’a été que de 50 % des votants». Il se réjouit également de «l’évolution du statut de la femme» durant les dernières décennies, citant comme exemple le fait que le roi présente dorénavant sa ’femme’ et non plus la ’mère de ses enfants’.
«En tant que chrétiens, nous pouvons vivre en toute liberté», lance l’archevêque, abordant ainsi la situation particulière de l’Eglise catholique qui représente 1% de la population dans ce pays arabe musulman. «Les Marocains musulmans nous accueillent et il y a une grande tolérance pour tous les étrangers qui peuvent vivre leur foi !»
La hiérarchie catholique est constituée du nonce résidant à Rabat, de deux archevêques (Tanger et Rabat) et d’une préfecture apostolique. Si l’Eglise est reconnue par un Traité lettre signée il y a une vingtaine d’années entre le roi Hassan II et Jean Paul II le Marocain ne peut être, selon la constitution du pays, que musulman ou juif. Ainsi, souligne Mgr Landel, sur 30 millions d’habitants, le Maroc ne compte que 30’000 chrétiens, tous étrangers et provenant de 70 nationalités différentes. Le prélat explique ainsi que la population chrétienne est très mobile, se renouvelant de 20% chaque année ce qui implique «le devoir de se réaccueillir sans cesse».
Catholiques: pied-noirs, expatriés ou étudiants
Sur les 30’000 chrétiens, un tiers est constitué de pied-noirs, d’une tranche d’âge élevée car les enfants italiens, français ou espagnols sont repartis dans leurs pays d’origine, laissant leurs parents au Maroc. Un deuxième tiers concerne les expatriés pour des raisons professionnelles, explique le prélat, soit dans l’industrie, soit des diplomates. Quant au dernier tiers, ce sont des étudiants sub-sahariens, anglophones ou hispanophones. «Cette population nous empêche de vieillir», estime Mgr Landel, ajoutant que «l’Eglise actuelle n’est pas seulement l’Europe mais également l’Afrique».
79 prêtres et 278 religieuses
Cette petite communauté catholique est encadrée par 79 prêtres, très dispersés sur le territoire, et de 278 religieuses provenant de 27 pays différents. Ces dernières sont particulièrement engagées dans l’activité sociale, le domaine de la santé et l’enseignement. L’archevêque de Rabat est fier de présider les 15 écoles chrétiennes du pays accueillant environ 13’000 élèves marocains musulmans.
Mais le grand défi de cette communauté catholique est triple, souligne Mgr Landel: une présence auprès des étudiants sub-sahariens, un soutien des couples islamo-chrétiens (ces derniers sont tolérés au Maroc mais les enfants doivent obligatoirement être musulmans) et enfin un apostolat auprès des nombreux touristes, même si le tourisme a chuté après les événements du 11 septembre 2001. Sur les 800 personnes qui ont assisté à la messe de Noël à Marakech, affirme le prélat, 9 sur 10 étaient des touristes.
Nous sommes appelés à «avoir un regard positif sur les Marocains musulmans» conclut le prélat catholique, car cela aide à la cohabitation. «Même si sur le plan officiel et institutionnel, il n’y a pas de dialogue interreligieux à proprement parler, dans la pratique, il existe !», a-t-il lancé. (apic/imedia/bb)