Rome: Mgr Piero Monni dénonce le tourisme sexuel dans son dernier livre

«L’archipel de la honte, tourisme sexuel et pédophilie»

Sophie de Ravinel, pour l’agence APIC

Rome, 28 février 2002 (APIC) Mgr Piero Monni, observateur du Saint-Siège auprès de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) publie un livre intitulé «L’archipel de la honte, tourisme sexuel et pédophilie». Cette étude de près de 400 pages s’attache à montrer les origines historiques de la pédophilie, la permanence du phénomène accentué par le développement du tourisme sexuel et de la pornographie sur Internet, ainsi que les éventuels remèdes à porter.

Le livre devrait être prochainement traduit en anglais et en espagnol, alors que l’auteur cherche un éditeur en français. Il est diffusé en Italie sous le titre «L’arcipelago della Vergogna, turismo sessuale e pedofilia» à quelques semaines d’une rencontre de l’OMT à Berlin ­ le 16 mars ­ sur le thème du tourisme sexuel. Mgr Piero Monni analyse la problématique du tourisme sexuel pour l’agence APIC.

APIC: Quel est l’objet de votre livre ?

Mgr Monni: Cela fait plusieurs années que je travaille sur le thème du tourisme sexuel et de la pédophilie et j’ai souhaité alerter l’opinion publique sur ce phénomène qui, malgré l’engagement des Etats et de nombreuses associations, est en croissance et touche tous les pays et toutes les classes sociales. Par ce biais, je souhaite toucher l’opinion publique qui est largement sous-informée dans ce domaine et qui doit pouvoir faire pression sur les Etats afin que l’on puisse enrayer le phénomène.

Lorsque naît un épisode de pédophilie dans une société, la première réaction est souvent de le nier. Ensuite, si l’on admet la réalité des faits, ils sont généralement considérés comme exceptionnels. Plus tard seulement, surviennent la condamnation et la reconnaissance de l’abus sexuel comme un problème et de la pédophilie comme un crime social. J’ai aussi consacré toute une partie de cette étude à l’inceste car, très souvent, la pédophilie est un crime qui s’accomplit dans le cadre familial.

APIC: Autant de thèmes qui seront repris à Berlin le 16 mars prochain, lors de la réunion de l’Organisation mondiale du tourisme .

Mgr Monni: Cette prochaine réunion a pour objectif de réveiller l’attention des gouvernements et d’encourager les nouvelles initiatives juridiques. Lors de la première rencontre de l’OMT sur le thème du tourisme sexuel en 1995, les participants avaient décidé de constituer, au niveau international, un détachement spécial chargé d’intervenir et de soutenir les droits de ces enfants.

Cette fois-ci, nous devrions surtout aborder les aspects légaux déjà plus ou moins codifiés dans l’Union Européenne. Nous espérons que d’autres Etats puissent nous rejoindre dans cette lutte contre la prostitution infantile. Je pense surtout à la Russie, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, à certains pays asiatiques, au Brésil, à la Colombie, au Venezuela. La liste est longue et le combat difficile contre l’aveuglement ou les intérêts politiques et financiers.

APIC: Vous soulignez dans votre livre la croissance du tourisme sexuel. Quelle est la place de la pédophilie dans cette forme de tourisme ?

Mgr Monni: La matrice fondamentale du tourisme sexuel est la pédophilie. Avec l’avènement du tourisme de masse, dans la seconde partie du XXème siècle, une nouvelle mentalité a émergé. Le touriste part ainsi du principe qu’en vacances, «tout est permis». Aucune classe sociale n’est exclue de ce phénomène et il s’agit la plupart du temps de personnes responsables et insoupçonnables dans leurs propres pays. Toutes sortes de justifications peuvent alors apparaître dans l’esprit du futur ou actuel pédophile. Il pense ainsi que l’enfant est consentant, que cela plaît, lui rapporte de la nourriture ou de l’argent. Ces touristes qui n’ont pas de valeurs spirituelles ou particulières cherchent des femmes, des jeunes filles et de plus en plus jeunes, jusqu’à des enfants. Comme les homosexuels peuvent chercher des hommes ou bien des petits garçons de 8, 9 ou 10 ans .

De plus les enfants sont très éveillés, très curieux, lorsque les adultes s’approchent, ils peuvent jouer, aussi de leur côté, un jeu dangereux. Or, le vrai sens de cette violence apparaît dans le fait d’imposer à l’enfant quelque chose qu’il ne peut décoder et dont les conséquences physiques et morales sont quasi indélébiles.

APIC: Le tourisme sexuel est-il toujours loin de l’Europe ?

Mgr Monni: Certainement pas ! Je pense à des lieux de tourisme de luxe en bord de mer, à une île comme celle de Madère, mais pas seulement. Je pense aussi à des pays d’Europe de l’Est où les enfants pauvres et dans la rue sont de véritables «attractions» touristiques. Il n’y a qu’à observer les masses de bus qui partent dans ces directions depuis chez nous, pour un week-end de «détente» .

APIC: Le rôle des médias a évolué dans ce domaine?

Mgr Monni: En effet, on peut noter une certaine évolution depuis quelques années, une prise de conscience collective, mais pas encore suffisante. Face à des arguments sur l’esprit de l’exotisme y compris de l’exotisme sexuel, sur les vacances libres de toutes contraintes, loin des règles sociales ou morales imposées par la société, on trouve maintenant de grandes agences de publicité qui s’engagent dans des campagnes choc contre la pédophilie.

Les acteurs du tourisme ­ de plus en plus tenus par les législations ­ changent plus ou moins de politiques. J’ai lu ainsi, il y a quelques temps, la réaction amère d’un responsable d’une agence de tourisme cubain qui affirmait, «entre autres raisons, Cuba a fait sa révolution pour ne plus être le bordel des Etats-Unis. Ce fut une réussite, aujourd’hui nous sommes le bordel des Mexicains, des Espagnols et des Allemands qui organisent des sex-charters directs en direction de l’île». Avec plus de 35’000 jeunes prostituées, Cuba est en effet un paradis du tourisme sexuel. Grâce aux associations de défense des enfants, les informations passent aussi de mieux en mieux et tout le monde peut constater les désastres de ce «marché». On sait qu’en Thaïlande, par exemple, la moitié des quelque 200’000 «baby-prostitute» (chiffres de 1996) sont contaminées par le virus HIV et qu’elles sont régulièrement éliminées sans laisser de traces.

APIC: Dans ce cadre, les nouvelles législations sur l’extraterritorialité mettent-elles un frein à la pédophilie ?

Mgr Monni: Depuis quelques années, le principe juridique d’extraterritorialité a fait son apparition et permet aux Etats, à partir du moment ou existe une collaboration entre eux, de condamner dans son pays d’origine une personne qui a commis un crime pédophile à l’étranger.

En 1990, la Norvège avait ainsi déjà condamné trois pédophiles pour avoir abusé d’enfants aux Philippines. La Suède a pris la suite en 1995 mais le pays qui a été le plus actif en matière d’extraterritorialité est l’Allemagne. De très nombreux autres pays, européens ou non, ont suivi. Mais il faut savoir que peu de pays ont fixé la majorité sexuelle au même âge. Elle est ainsi située à 16 ans en Suède et à 12 ans aux Pays-Bas. Au- dessus de cet âge et si le jeune est consentant, il n’y aura pas de poursuite.

APIC: Vous décrivez longuement, dans votre étude, le lobbying effectué par des cercles pédophiles. Quand est-il exactement ?

Mgr Monni: Les cercles pédophiles sont environ 300 dans le monde et sont particulièrement et ouvertement actifs dans certains pays, comme aux Etats- Unis ou en Angleterre. Ils demandent la reconnaissance légale du consentement des mineurs lors d’un rapport sexuel. Bien entendu, ils ne risquent pas d’être entendus, mais le simple fait de rendre publiques leurs exigences est symptomatique d’une évolution de la société. En Italie, selon l’association «Telefono arcobaleno», fondée par le Père Fernando di Noto, et très active dans la lutte contre les abus sexuels sur les mineurs, un bon nombre des membres de ces «groupes» appartiennent au milieu bourgeois: avocats, informaticiens, étudiants en recherche de transgressions sexuelles, éducateurs, pédiatres, prêtres, médecins, .

APIC: Vous parlez de l’Internet comme d’une aire d’expression privilégiée pour ces groupes et d’une aire de «chasse» pour les pédophiles .

Mgr Monni: Bien sûr! Les personnes qui n’acquéraient pas une revue porno dans un kiosque, perdent toute inhibition en face de l’écran Internet et se surprennent à naviguer sur les eaux pédophiles. La pédophilie entre largement dans le commerce de la lumière rouge. Les organisations criminelles qui tiennent les maisons closes, les boîtes de nuit ou les discothèques sont largement impliquées dans un trafic de photos ou de films porno-pédophiles trouvant sa place de prédilection sur Internet. Mais les pédophiles cherchent aussi à entrer en contact directement avec les enfants sur les sites de discussions, les «chats», qui leurs sont réservés. Ils utilisent alors toutes sortes de moyens, de la séduction aux menaces, pour les rencontrer et passer à l’acte. Les parents ont un rôle considérable à jouer dans cette prévention.

APIC: Quel type de répression peut-on mettre en place contre ce «marché» ?

Mgr Monni: Des polices spécialisées, soutenues par des associations ou des particuliers, sont de plus en plus actives pour traquer les sites pédophiles. A ce sujet, un fait divers, un comble, s’est passé aux Etats- Unis. L’ex «top» de la société Walt Disney, Patrick Naughton, a été jugé coupable de pédophilie et a échappé à une peine de 18 mois de prison pour avoir aidé le FBI à développer au moins cinq programmes destinés à combattre les «prédateurs sexuels» actifs sur le réseau. Il n’a eu qu’une amende de 40’000 dollars à payer et à subir une mise aux arrêts à domicile de 9 mois. Mais la pénalisation des sites n’est pas toujours facile car ces derniers sont basés dans des paradis juridiques en Russie, en Chine, dans quelques républiques latino-américaines ou exotiques. Si l’on clique une page à Madrid ou à Paris, la réponse peut venir d’un serveur placé à plus de 10’000 kilomètres de là, sous un nom fictif, grâce à un «provider» complaisant qui fournit la mise en ligne.

APIC: Les enjeux financiers semblent énormes .

Mgr Monni: Bien entendu, les enjeux financiers sont immenses dans la mesure où la demande de «service» est réelle, conséquente et croissante. Les touristes, entre autres clients, qui ont traversé la ligne rouge et commis des crimes durant leurs vacances ne vont certainement pas se mettre au frigo les 11 autres mois de l’année. Des groupes d’investissement très «respectueux» sont ainsi impliqués dans ce marché et les profits bruts des trois plus grands groupes de pornographie qui sont entrés en bourse se chiffrent en millions de dollars.

APIC: Peut-on tracer un contours de la personnalité du pédophile?

Mgr Monni: Toutes les personnes ayant été agressées sexuellement durant leur enfance n’arrivent pas forcément à des violences, mais statistiquement, 60% des pédophiles ont eux-mêmes été maltraités sur ce plan. La figure parentale brisée joue aussi un rôle considérable et peut favoriser, à l’adolescence, des tendances pédophiles liées à un isolement du monde et des lois naturelles ou juridiques qui le régissent.

Il existe encore, hélas, un grand nombre d’institutions plutôt mal gérées où les jeunes vivent en milieu clos, tout en éprouvant une haine féroce vis- à-vis de l’institution, qu’elle soit familiale ou d’Etat. L’adolescent, qui ne trouve pas de figure paternelle de substitution dans ses éducateurs peu ou mal formés, risque alors de s’enferrer dans des relations homosexuelles. La solution ne se trouve pas, dans un climat moraliste souvent au fond religieux, fait d’obligation à de fréquentes confessions, d’interrogatoires et d’insistance sur la culpabilité et la faute. Cela conduirait le mineur à penser que de condamner une attitude sur la seule base de normes morales ­ qu’il ne perçoit pas ­ l’autorise à se poser, de fait, en dehors d’une morale purement formelle.

APIC: Avec ces cas de pédophilie au sein des Institutions, comme au sein de l’Eglise, quelle attitude adopter ?

Mgr Monni: Comme l’ont affirmé les évêques de France, «un cas de pédophilie est condamnable. S’il vient de la part d’un prêtre, il est doublement condamnable». Mais en ce qui concerne les personnes qui ont des tendances sans être passées à l’acte, je ne crois pas qu’il faille les écarter de la vie religieuse s’ils présentent un véritable idéal religieux. Il faut pourtant être extrêmement attentif dans le discernement parce que la vie sacerdotale peut représenter un mode de sublimation pour un homosexuel.

Sous l’apparence de la vocation peut en effet se cacher la recherche de s’introduire dans une ambiance à majorité masculine. Evidemment, au cas par cas, et après avoir vérifié que les pulsions peuvent être contrôlées, après un temps d’essai et de tentatives thérapeutiques, il n’y a pas de raison de le refuser. Le rôle du directeur spirituel est crucial dans ce domaine et il est ensuite absolument déconseillé de mettre le religieux dans des conditions d’apostolat ou de vie qui réveilleraient ses propres tendances.

APIC: Vous parlez de thérapie, qu’en est-il exactement ?

Mgr Monni: La thérapie est un vrai problème car il n’existe pas aujourd’hui, dans ce domaine, de résultats probants, à partir du moment où la personne a commis un acte pédophile. Et cela malgré les nombreuses recherches et expérimentations faites dans ce domaine.

Je crois qu’il faut avant tout parler en terme de prévention, de discernement précoce des tendances pédophiles. Après, la personne qui a commencé à briser le tabou se construit tout un système contre la société, un monde propre dont il est difficile de sortir. Par ailleurs, les médecins, les avocats, les psychiatres, les prêtres ou les éducateurs ne fuient pas devant le problème parce qu’ils ne savent pas comment affronter le problème technique de «l’anormal», mais plutôt parce qu’ils continuent à le considérer comme un sujet à soigner, à défendre ou à analyser et non comme une «personne» à soigner et dont il faut prévenir les éventuelles transgressions. Ils oublient la dynamique de la responsabilité personnelle qui est à l’origine de toute action délictueuse.

Il ne s’agit donc pas de cultiver uniquement, par adhésion à un Credo de charité, une pensée compréhensive. Mais il est nécessaire que la compréhension devienne un stimulant pour affronter le problème dans sa complexité par le biais d’une prévention et de soin des personnes à risques, d’une thérapie appropriée. Enfin, réduire la pédophilie à une seule maladie mentale risque de faire passer ce qui est évalué comme un dérangement du comportement sexuel pour une maladie mentale, ce qui allège par la suite la responsabilité pénale. (apic/imed/bb/pr)

28 February 2002 | 00:00
by webmaster@kath.ch
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