Actualité: A Douala, au Cameroun, les motos-taxis sont un moyen de transport prisé, bon marché et rapide, mais terriblement dangereux ...

APIC – Reportage

Cameroun: Les motos-taxis sèment la mort à Douala

Théophile ne montera plus jamais sur une moto

Par Martin Luther Mbita, pour l’Agence APIC

Douala,

(APIC) Face aux carences des moyens de transports publics, les habitants des villes du tiers monde sont souvent contraints de développer des trésors de débrouillardise pour se déplacer. Si les Asiatiques se sont souvent tournés vers le vélo, la moto fait une percée spectaculaire en Afrique. Un moyen de transport simple et bon marché mais qui comporte aussi de gros risques. Reportage à Douala, au Cameroun, où les motos-taxis sèment la mort.

Douala, capitale économique du Cameroun. Un jour de juin, il est 12h30. C’est l’heure de pointe. Au carrefour du camp Yabassi, un quartier populaire de la ville, une moto taxi communément appelée «ben-skin» déébouche d’un virage à toute allure, transportant une jeune fille visiblement pressée d’honorer un rendez-vous. Du côté opposé, arrive une Peugeot 504, roulant également à grande vitesse. Le conducteur essaie en vain d’esquiver la moto. Trop tard. Le choc est terrible. Les deux occupants de la moto son éjectés par dessus la voiture. La jeune fille baigne dans une mare de sang, inerte sur le macadam. Elle s’est brisé le crâne et est morte sur le coup. Les trois occupants de la voiture ont été blessés par les éclats du pare-brise. La moto n’est plus qu’un amas de ferraille.

Théophile, le jeune conducteur du «ben-skin» a eu le réflexe de bondir de sa moto mais il est assommé et a une jambe complètement broyée. Lorsqu’il reprend conscience à l’hôpital de Laquintinie, il fond en larmes en apprenant que les médecins ont dû lui couper une jambe. Il se sent coupable d’avoir arraché la vie à une jeune fille. Il est désespéré, car il n’aura plus l’usage de ses deux jambes pour le restant de sa vie. Il n’est plus queston de conduire une moto, mais de s’habituer à marcher avec des béquilles. Théophile maudit le jour où ses parents lui ont confié cette «moto de la mort», pour qu’il puisse se faire un peu d’argent.

L’histoire de Théophile n’en est qu’une parmi beaucoup d’autres. La fréquence des accidents de motos-taxis à Douala est alarmante. Chaque mois des dizaines de ses camarades conducteurs se retrouvent à l’hôpital où à la morgue, sans parler des passagers. Un bâtiment de l’hôpital de Laquintinie a même reçu le nom de «pavillon ben-skin». L’an dernier pour le seul mois de juin 107 cas ont été enregistrés dans cet hôpital.

Sans casque ni permis

Terrain de prédilection pour les néophytes de tout poil, le transport par moto-taxis est devenu un domaine où la conduite par analogie tient lieu de compétence. Parfois un apprentissage à la sauvette d’une trentaine de minutes suffit pour se lancer à la conquête des passagers. On fait venir des jeunes des villages, on leur confie une moto, pour apporter un peu d’argent à la famille. En ignorant volontairement les risques. La majorité des conducteurs de ces engins n’a ni casque ni permis de conduire.

Les usagers estiment y trouver leur compte. Le tarif de 100 Francs CFA (environ 1 franc français et 0,25 franc suisse) est bon marché par rapport aux 140 francs demandés par les taxis, la rapidité de déplacement à travers la ville engorgée est appréciable. Les «ben-skins boys» sont des as pour se faufiler dans les embouteillages.

Beaucoup de Camerounais ne comprennent cependant pas pourquoi les autorités laissent se développer ce moyen de transport à haut-risque puisque la plupart des conducteurs ne respectent pas les règles élémentaires de la circulation. Il faut dire que depuis la fermeture de la Société camerounaise de transport urbain (SOTUC) en 1994, chacun est obligé de se débrouiller comme il peut.

Le nombre des motos-taxis, ne cesse d’augmenter. Il a passé de 5’000 en 1994 à plus de 6’000 aujourd’hui dans la seule ville de Douala. Certains propriétaires de taxis n’ont pas hésité à laisser leur voiture au garage pour se tourner vers les motos, véhicules beaucoup moins chers à l’achat, à l’usage et à l’entretien et donc plus lucratifs. D’autres ont choisi la guerre ouverte avec les «ben-skins» qui leur volent leur clientèle.

Les autorités tergiversent

Côté autorités, on tergiverse. Interdire ce mode de transport provoquerait l’ire de nombreux jeunes démunis qui ont trouvé là un moyen de gagner leur vie. La situation déjà chaotique du transport urbain ne ferait que s’aggraver et enfin l’Etat perdrait les taxes qu’il encaisse sur les «ben-skins». De l’autre, le nombre de mort et de blessés est impressionnant.

Le transport urbain par moto-taxi a fait son apparition au Cameroun en 1991 à la faveur des opérations «villes mortes» des employés des transports publics. Aujourd’hui on les trouve aussi dans d’autres régions du pays notamment à Garoua et Bafoussam où ils causent la même explosion du nombre des accidents. Yaoundé, la capitale du pays, n’en a pas à cause de son relief particulièrement accidenté.

Aujourd’hui le nombre des voitures jaunes a considérablement diminué au profit des motos. Les relations entre chauffeurs de taxi et conducteurs de «ben-skins» sont plutôt à couteaux tirés, les premiers reprochant aux seconds de leur rafler 50% de leur clientèle grâce à des tarifs plus bas. Les «ben-skins boys» se défendent en attribuant les causes des accidents aux «taximen» jaloux de leur présence dans les rues.

Face aux coûts en termes de sécurité routière et de santé publique, qui se traduisent par des familles endeuillées et des jeunes définitivement invalides, la fureur des citoyens camerounais face aux pouvoirs publics est grande. L’argent des taxes encaissées ne devrait-il pas servir à assurer la sécurité et le bien-être de tous, se demandent-ils?. (apic/mbt/mp)

6 juillet 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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