Le pape François et l’homosexualité, une danse de tango
Le pape François a gardé sur la question de l’homosexualité une attitude largement ambivalente. Faisant preuve d’une bienveillance pastorale remarquée envers la population LGBT, il n’a en revanche apporté que de timides changements doctrinaux dans ce domaine.
«Si quelqu’un est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour le juger?» Cette petite phrase, prononcée peu après son élection, le 13 mars 2013, avait suscité une grande surprise, et un espoir, au sein de la communauté LGBTQ que l’Église catholique se dirige vers un profond et décisif changement d’attitude envers l’homosexualité. La déclaration Fiducia supplicans, publiée en décembre 2023, autorisant la bénédiction des couples de même sexe, a également été vécu comme un pas positif (bien qu’insuffisant) par les milieux concernés.
Des développements qui ont signalé une évolution importante de la pensée de Jorge Bergoglio à ce sujet. Certains se rappelaient qu’en tant qu’archevêque de Buenos Aires, il s’était opposé en termes durs à l’introduction du mariage pour les personnes de même sexe en Argentine. En 2010, il invitait en effet à y voir le «dessein du Démon».
Le droit à une famille
D’autres épisodes ont illustré le cheminement du pontife vers une position beaucoup plus souple. En août 2018, de retour d’Irlande, où il avait participé à la Rencontre mondiale des familles, François avait répondu à la question d’un journaliste qui lui demandait: «Que voudriez-vous dire à un père, une mère, auxquels leur enfant dit qu’il est homosexuel et qu’il veut aller vivre avec son compagnon?». «Je ne dirai jamais que le silence est la solution, avait expliqué le pontife: ignorer le fils ou la fille ayant une tendance homosexuelle est un manque de paternité et de maternité». Il avait ajouté: «Parce que ce fils ou cette fille a droit à une famille et la famille est celle qui existe: ne le chassez pas de la famille.»
Un problème psychiatrique?
Le 266e pape semblait toutefois toujours associer, en tout cas à ce moment-là, cette tendance à une pathologie mentale. «C’est une chose quand cela [l’homosexualité, ndlr] se manifeste dès l’enfance», avait-il également déclaré dans l’avion le ramenant de Dublin. «Il y a alors beaucoup de choses à faire par la psychiatrie».
Le pape voulait-il dire que les homosexuels étaient des malades devant être soignés? Face à la vaste polémique déclenchée, le Vatican avait démenti cette interprétation. Il aurait davantage pensé à la nécessité de déterminer, avec l’aide de la psychologie, si les tendances manifestées par un enfant sont le fruit d’une confusion temporaire ou si elles correspondent à sa nature profonde. Signe de l’embarras de l’Église pour ces questions, la retranscription officielle de la conférence de presse ne contenait finalement plus le terme de «psychiatrie».
Les personnes ‘oui’, les actes ‘non’
L’attitude, autant du pape François que du Vatican, face aux questions de morale sexuelle, a en fait de tout temps été dictée par le «mantra»: les personnes ‘oui’, les actes ‘non’. C’est sans doute selon ce schéma que le pontife a, au fil des ans, fléchi sa position, également sur la place des homosexuels dans la société. Dans le documentaire Francesco, diffusé en octobre 2020, il déclarait notamment: «Les homosexuels ont le droit de faire partie d’une famille (…) Nous devons créer une loi d’union civile pour qu’ils soient couverts légalement.»
L’auteur d’une biographie sur Jorge Bergoglio, Sergio Rubin, a indiqué que cette position avait toujours en fait été celle du pape argentin, qui, malgré sa sévérité à l’égard du mariage homosexuel, considérait l’union civile comme «un moindre mal».
Sympathie pour les «militants pro-LGBT»
François entretenait de profondes sympathies à l’égard des personnalités actives dans cette pastorale. Il s’est notamment montré proche du prêtre américain James Martin, l’un des principaux avocat de la cause homosexuelle dans l’Église. Les deux jésuites ont eu de nombreux échanges. Ils se sont rencontrés à deux reprises, en 2019 et 2022. Après l’entretien de 2019, le prêtre avait estimé que ce rendez-vous était un «signe clair» du «profond soin pastoral» du pape pour les personnes homosexuelles.
«Jorge Bergoglio n’a jamais été un ‘puritain’»
La correspondance entre l’Argentin et l’Américain est également significative. Dans une lettre du 8 mai 2022, le pape répondait à de courtes questions posées par le Père Martin. «L’Église est une mère et elle accueille tous ses enfants», insistait-il. «Une Église ‘sélective’, une Église de ‘sang pur’ n’est pas la Sainte Mère l’Église, mais une secte».
Divergences avec Benoît XVI
Jorge Bergoglio n’a jamais été un «puritain», introduisant toujours dans sa pensée la notion de complexité. Cela n’a ainsi pas été un problème pour lui de rencontrer des personnalités militantes de la cause LGBT, parfois controversées. Il avait accordé une entrevue de 50 minutes, le 18 octobre 2023, à la religieuse américaine Jeannine Gramick.
Cette dernière avait été interdite par le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, «d’exercer tout travail pastoral auprès des personnes homosexuelles». Le futur Benoît XVI estimait que Sœur Gramick ne «transmettait pas fidèlement l’enseignement clair et constant de l’Église catholique», à savoir, «le mal intrinsèque des actes homosexuels et le désordre objectif du penchant homosexuel en ce domaine».
François assurait pourtant dans une réponse à l’Américaine, qu’il avait retrouvé dans sa lettre «le style de Dieu». Un «style» résumé par trois mots: «proximité, compassion, et tendresse».
À la rencontre des personnes
En bon jésuite, les véritables pensées de François sur la question homosexuelle ont donc semblé difficiles à saisir. Mais il est bien connu qu’il avait son propre modus faciendi en matière de réformes. Plutôt que de briser au canon magistériel les murs doctrinaux, il optait très souvent pour un patient travail de sape, à coups d’audaces pastorales et de phrases discrètement placées, mais lourdes de sens.
Il était notamment allé, en août 2022, à la rencontre de personnes transgenres ayant trouvé refuge dans une église de Rome. En 2020, il avait apporté un soutien financier à un groupe de prostituées transsexuelles exerçant sur la côte italienne.
«Condamner une personne (homosexuelle), c’est un péché»
«Être homosexuel n’est pas un crime. C’est une condition humaine», avait-il assuré dans un entretien à l’Associated Press, le 24 janvier 2023. Il ajoutait pourtant immédiatement après que l’homosexualité était bien «un péché». Mais «ce qui est aussi un péché, c’est le manque de charité envers le prochain», précisait-il. «Quand j’ai dit que c’est un péché, je faisais simplement référence à l’enseignement moral catholique, qui dit que tout acte sexuel en dehors du mariage est un péché», avait-il encore relevé dans une lettre à James Martin, quelques jours plus tard.
Contre la criminalisation de l’homosexualité
Si le pape François s’est montré équivoque sur le fait même de l’homosexualité, il a en revanche clairement condamné la discrimination envers les personnes concernées. Lors de la conférence de presse dans l’avion qui le ramenait de son voyage en RD-Congo et au Soudan du Sud, le 5 février 2023, il avait ainsi déclaré que «la criminalisation de l’homosexualité est un problème que l’on ne doit pas laisser passer.» Il a à cette occasion martelé que le fait de «condamner une personne (homosexuelle), c’est un péché».
Tolérance «plus que zéro»
Malgré tous ces signes d’ouverture, le pape argentin n’est pourtant jamais revenu sur la définition du Catéchisme de l’Église catholique, entériné par Jean Paul II en 1992, soulignant que «les actes d’homosexualité sont intrinséquement désordonnés» (no 2357). S’il serait faux de dire qu’il n’a apporté aucun changement dans l’enseignement de l’Église, il a introduit ces ouvertures en bon spécialiste du tango, en alternant rapprochements et éloignements.
«Fiducia supplicans a été fustigée autant pour son manque de clarté que pour sa prétendue contradiction du magistère»
Un pas d’éloignement fut certainement le décret du Vatican, affichant la signature papale, qui a interdit formellement, en mars 2021, la bénédiction des couples de même sexe. Un son de cloche adouci au détour du Synode sur l’avenir de l’Église, dont la phase universelle s’est déroulée à Rome en octobre 2023.
Avant l’assemblée, plusieurs cardinaux conservateurs s’étaient fendus de ‘dubia’ (doutes) concernant certains points de l’instrumentum laboris, notamment les bénédictions de couples homosexuels.
Tout en rappelant que «l’Église évite tout type de rite qui pourrait contredire» la conviction selon laquelle le mariage est entre un homme et une femme, le pontife soulignait que «la charité pastorale ne doit pas manquer». Il affirmait en outre que «la prudence pastorale doit discerner adéquatement s’il existe des formes de bénédiction, demandées par une ou plusieurs personnes, qui ne transmettent pas une fausse conception du mariage». Un langage sybillin que certains ont déjà interprété comme une «autorisation» de facto des bénédictions de couples homosexuels.
La «bombe» Fiducia supplicans
Ainsi, des actes de désobéissance au décret de mars 2021 n’ont pas été sanctionnés. Comme lorsque Mgr Franz-Josef Overbeck, évêque d’Essen, avait publiquement annoncé qu’il n’empêcherait pas les prêtres de son diocèse de procéder à de telles bénédictions. D’autres prélats allemands ont suivi cet exemple. Les évêques de Flandre ont également publié, en septembre 2022, une liturgie pour la bénédiction des couples homosexuels, sans que cela ne déclenche une réaction du côté de Rome.
«L’épisode des ‘frocciagine’ a renforcé la méfiance de la communauté LGBT envers le pape»
Une attitude qui préfigurait un pas de rapprochement majeur dans la chorégraphie de François: la déclaration Fiducia supplicans. En décembre 2023, ce document du dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF), validé par le pontife, et qui autorisait les prêtres à bénir les couples «irréguliers» a pour ainsi dire fait sortir l’homosexualité de la «clandestinité». Inattendu et réalisé dans le cercle restreint du DDF, il a suscité des réactions très contrastées, stigmatisant les clivages entre sensibilités ecclésiales.
Point névralgique du débat intra-catholique
Alors que les milieux «progressistes» ont salué une percée majeure dans la doctrine, les plus virulents se plaignant même qu’il n’aille pas assez loin, les franges conservatrices ont vivement critiqué une «entorse» à la tradition, ne manquant pas de souligner qu’il prenait le contre-pied complet du décret de mars 2012.
Fiducia supplicans a été fustigée autant pour son manque de clarté que pour sa prétendue contradiction du magistère, certains allant jusqu’à parler «d’hérésie». La déclaration a en outre interrogé la portée universelle de la doctrine, notamment après que le Vatican ait accordé à l’épiscopat africain le droit de ne pas l’appliquer. L’épisode a ébranlé, de manière générale, la conception monolithique de l’enseignement chrétien. Il a en outre révélé de manière encore plus flagrante que l’homosexualité était l’un des principaux points névralgiques du débat intra-catholique.
Le «frocciagine» passe mal
Mais alors que la déclaration avait provoqué un net rapprochement avec la communauté LGBTQ, un nouveau pas d’éloignement a été posé par François quelques mois plus tard.
Fin mai 2024, lors d’une réunion organisée avec 200 évêques italiens réunis en assemblée générale, le pape François utilise une expression italienne insultante – frocciaggine – pour désigner des personnes homosexuelles, en recommandant aux évêques de ne plus les accepter dans les séminaires. Ces paroles, rapportées quelques jours plus tard par les médias, provoquent une vive polémique. Le Saint-Siège réagit le 28 mai par un communiqué en affirmant que «le pape n’a jamais eu l’intention d’offenser ou de s’exprimer en termes homophobes, et il présente ses excuses à ceux qui se sont sentis offensés par l’utilisation d’un terme rapporté par des tiers».
«François a porté un regard quelque peu différent de celui de ses prédécesseurs sur la sexualité»
Le pontife réitère toutefois en juin le terme de «frocciaggine» lors d’une réunion à huis clos avec des prêtres de son diocèse de Rome, évoquant la présence d’homosexuels au Vatican. Même si certains observateurs mettent ces propos sur le caractère «impulsif» de Jorge Bergoglio, rappelant également qu’ils ont été prononcés lors de rencontres informelles, l’épisode renforcera la méfiance de la communauté LGBT envers le pape.
Insaisissable condition humaine
Le dossier «homosexualité» a été, de manière générale, un cas emblématique de la «méthode François» pour faire évoluer l’Église. Jorge Bergoglio a certainement porté un regard quelque peu différent de celui de ses prédécesseurs sur la sexualité. En filigrane de l’apparente confusion, voire contradiction qu’il a pu y mettre, apparaît un constant souci d’humilité. Une préoccupation basée sur la recherche constante de la vérité et la conscience profonde que la condition humaine, comme la nature de Dieu, est fondamentalement insaisissable. (cath.ch/rz)
«Le pape François a eu le courage d’en parler»
La Valaisanne Clémentine Dubuis ne cache pas sa foi catholique aussi bien que son homosexualité. Elle a fondé en 2015 un groupe d’homosexuels catholiques, avec la bénédiction de l’évêque de Sion, Mgr Jean-Marie Lovey. Elle donne à cath.ch sa vision du pontificat de François dans ce domaine.
Comment jugez-vous l’attitude du pape François vis-à-vis de l’homosexualité?
Clémentine Dubuis: Le «Qui suis-je pour juger?» a été essentiel. Au même titre qu’il n’aurait pas jugé mon homosexualité, je ne pense pas que je doive juger son attitude. Il a eu le courage de prendre la parole sur le sujet et de trouver des consensus sur une thématique qui a été interprétée par des hommes pendant plus de 2000 ans et qui ne prenait pas en compte la réalité vécue.
Je pense que globalement, il a réalisé un pas remarquable pour l’Église.
Vous ne regrettez rien de son action ou de ses paroles?
Si, bien sûr. Il a pu faire preuve de maladresses, tout en étant de bonne volonté. Évidemment, comme beaucoup de personnes homosexuelles catholiques, j’aurais aimé qu’il en fasse plus. Mais je peux comprendre qu’il ait dû concilier le poids des traditions, et qu’il ait finalement agi selon le rythme de l’Église, qui met toujours en place des changements avec lenteur et prudence. Il a voulu respecter les diverses sensibilités des catholiques.
Comment avez-vous reçu la déclaration Fiducia supplicans?
Bien sûr que j’y suis favorable. Je pense que c’est une belle première étape. Effectivement, je voudrais que les choses aillent plus loin, et notamment que les couples de même sexe qui le souhaitent puissent unir leurs âmes devant Dieu et porter des fruits innombrables et magnifiques à notre monde, en appelant cela un ‘mariage’. RZ
La nouvelle de la mort du pape François a été annoncée à 9h45, par le cardinal Kevin Farrell, Camerlingue de la Chambre apostolique, depuis la Maison Ste Marthe. Le pape François est décédé en ce lundi de Pâques, 21 avril 2025.