Guerre commerciale: tant va la cruche à l’eau…

Dans une chronique précédente (le 27.11.2024), j’avais décrit les stratagèmes utilisés par la Chine pour creuser les déficits extérieurs des pays occidentaux. Aujourd’hui la messe est dite. Pour réhabiliter son industrie le président Trump a engagé une guerre commerciale contre la Chine. Il s’agit d’une stratégie perdante qui va faire souffrir le monde entier.

Si M. Trump a raison d’imputer à la Chine une partie de la destruction industrielle américaine à cause des excédents extérieurs de son concurrent, il oublie deux choses importantes. Ces excédents ont beaucoup enrichi l’État chinois, mais ils ont peu enrichi les ouvriers et ouvrières chinois si l’on observe le niveau actuel des salaires. Ce ne sont pas les citoyens chinois qui ont prêté aux U.S.A mais l’État chinois et donc son Parti communiste qui a financé ainsi le gigantesque effort d’armement de l’Empire du Milieu. La politique des États-Unis a été sur ce point particulièrement aveugle.

Le second élément à retenir est le retournement de l’histoire. Les U.S.A ont instauré le dollar comme seule monnaie internationale en 1945. Au début c’était tout bénéfice. Les États-Unis écoulaient leurs excédents industriels en Europe, ruinée par la guerre, et ils se faisaient financer par les crédits accordés dans le cadre du plan Marshall. Mais l’histoire s’est inversée. Dès la fin des années 1960, l’Europe a développé son industrie, de même que le Japon, et les U.S.A. ont enregistré des déficits commerciaux extérieurs.

«Les Américains ont misé leur avenir uniquement sur les services high tech»

Le président Nixon avait trouvé une première parade en 1970 en suspendant la convertibilité du dollar en or et en dévaluant sa monnaie. Mais les déficits sont réapparus dès le début des années 2000 et la politique de la Chine n’a fait qu’accentuer le mouvement.

Dès les années 1960, le général de Gaulle avait critiqué le système qui instituait le dollar comme seule monnaie internationale. Il en avait montré les dangers pour les Américains eux-mêmes car le dollar-roi supprimait toute obligation de régler la dette extérieure des U.S.A. à court terme. Or l’équilibre durable de toute économie nationale suppose ce remboursement qui existait du temps de l’étalon-or. Le pays déficitaire enregistrait des sorties d’or. Le système de l’étalon-dollar a poussé les citoyens américains à la consommation de produits bon marché grâce à une monnaie surévaluée. Il leur a donné l’illusion d’un système sans limites et les a incités à accroître le déficit extérieur. Il a fait oublier à ses gouvernants la nécessité de garder une industrie forte et donc productive.

«Les États-Unis resteront une puissance importante dans les services et l’agriculture, mais plus dans l’industrie»

Les Américains avaient les capitaux mais ils ont oublié la nécessité du renouvellement technologique de l’industrie et la formation de la main d’œuvre dans ce secteur. Ils ont misé leur avenir uniquement sur les services high tech. Certes, ils ont toujours beaucoup de pétrole et une agriculture puissante. Mais ces avantages vont diminuer avec le temps. Les années du pétrole sont comptées en raison du changement climatique. Et d’autres concurrents (l’Inde, l’Amérique du Sud, l’Asie du Sud-est) vont émerger en matière agricole. Dans ce domaine également, il faudra modifier les techniques pour mieux s’adapter au changement climatique et respecter la biodiversité.

Le pari, fait par le président Trump, d’augmenter massivement les tarifs douaniers pour recréer une industrie concurrente à celle de la Chine est donc voué à l’échec. A contrario, pour réussir, il exigerait un temps et une main d’œuvre qualifiée que le président n’a pas. Les États-Unis resteront une puissance importante dans les services et l’agriculture. Ils ne le seront plus dans l’industrie.

Jean-Jacques Friboulet

23 avril 2025