Lors de sa venue à Genève, le pape a célébré la messe à Palexpo devant 37'000 personnes | © Bernard Hallet
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Pierre-Yves Fux: «A Genève, le pape a effectué un pèlerinage œcuménique»

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«Lorsqu’il est venu à Genève le 18 juin 2018, le pape François a répondu à une triple invitation: du Conseil œcuménique des Eglises (COE), de l’Eglise catholique en Suisse et des autorités fédérales». A la mort du pape le 21 avril 2025, Pierre-Yves Fux, actuel ambassadeur de Suisse en Algérie, évoque les souvenirs d’une visite d’un jour à Genève. Il était à l’époque l’ambassadeur suisse près le Saint-Siège et partage quelques souvenirs de cette visite dont il était au cœur de l’organisation.

Quel était le motif de cette visite?
Pierre-Yves Fux: Le pape François est venu à Genève en premier lieu pour rencontrer le Conseil œcuménique des Eglises (COE) comme l’avait fait Jean Paul II (et Paul VI en 1969). Il a souhaité effectuer un pèlerinage œcuménique, rappelle Pierre-Yves Fux. Le deuxième but était de rendre visite aux catholiques de Suisse avec la grande messe célébrée à Palexpo. Enfin il s’agissait aussi d’une visite apostolique, qui correspond à une visite d’Etat, puisque le pape a rencontré les autorités.

Pierre-Yves Fux, ici en 2017, était l’ambassadeur suisse près le Saint-Siège. Il se trouva au cœur de l’organisation de la venue du pape à Genève | © Bernard Hallet

Le pape est venu le 18 juin 2018. Quand avez-vous été informé de cette visite?
J’ai été informé en janvier de la même année. Je me souviens avoir trouvé une note diplomatique sur mon bureau. L’invitation avait été envoyée antérieurement. La confirmation du voyage papal à Genève a été l’aboutissement d’un processus «pas à pas» entre la nonciature à Berne et l’Ambassade de Suisse près le Saint-Siège. Il y a eu des consultations pour l’agenda et le choix d’une date, comme pour toute visite bilatérale. Puis il y a eu tout un travail minutieux d’ajustement effectué en coulisses entre les ambassades des deux pays et les services du protocole. C’est un travail soigné de plusieurs mois qui a abouti à la visite du pape le 18 juin. Il faut savoir qu’une visite du pape une dimension particulière par rapport à celle d’un chef d’Etat. La visite d’un chef religieux a plus de visibilité et revêt plus de solennité.

Vous étiez à ce moment-là ambassadeur de la Suisse près le Saint-Siège. Quel a été votre rôle?
Mon travail a été, en amont, de faire en sorte que cette chaque minute de cette brève, mais intense visite du pape François soit utilisée au mieux pour favoriser une rencontre. Cela a été un travail de coordination pour la logistique, l’accueil et le protocole sans oublier la communication.

Vous vous êtes retrouvé au cœur de la préparation de ce voyage.
J’ai principalement discuté avec les responsables cantonaux, avec le service du protocole du DFAE qui est lui-même en contact avec les forces de polices des cantons. C’est une machinerie complexe, mais qui est plutôt bien rôdée en Suisse, puisque nous sommes un des pays du monde qui reçoit le plus de visites de chefs d’Etat. Nous avons déjà eu plusieurs visites papales contemporaines (Paul VI en juin 1969 et Jean Paul II en 1982, au siège de l’ONU, puis en 1984 et 2004, ndlr). Cela dit, chacune fut unique et avec des enjeux différents.

Le pape est accueilli à Cointrin par Doris Leuthard et Alain Berset | © Keystone (KEYSTONE/Pool/Peter Klaunzer)

Qu’est-ce qui a été le plus compliqué durant cette préparation?
Le plus délicat à gérer fut une fuite dans les médias italiens qui avaient annoncé cette visite autour de Pâques qui n’était pas la bonne date, ce qui a créé des inquiétudes. Démentir en évitant d’ajouter de la confusion fut un exercice complexe. A partir du moment où nous avons connu la date de la visite, il a fallu trouver un lieu pour accueillir une messe avec un public très nombreux. Et une messe d’une telle envergure s’organise longtemps à l’avance. Comment fait-on pour réserver un tel espace sans que l’info sorte immédiatement? J’avais été impliqué dans les contacts avec Palexpo. Donc on a dû communiquer assez tôt, ce qui a fait l’objet d’une coordination simultanée entre le Vatican, la Confédération, le diocèse de LGF et le COE.

Avez-vous été le chef d’orchestre de la visite?
Non c’est le rôle du protocole. Comme c’est une visite particulière, nous avons regardé ce qui s’était fait lors des visites précédentes. Il a fallu trouver le bon langage et des idées. Notre musique militaire a joué un tango argentin juste après la partie très protocolaire. L’idée a émergé lors des réunions de préparation comme pour nombre de petits gestes à l’intention du pape. Le choix des cadeaux, de la musique. Nous avons reçu la visite de différentes délégations du Vatican pour effectuer tout le parcours du pape, en étudier les détails de manière à ce qu’il n’y ait pas d’accrocs, d’attente ou de précipitations.

Le pape François salue le pasteur Olav Fykse Tveit, secrétaire général du COE | © Oliver Sittel

Vous avez été beaucoup consulté en tant qu’ambassadeur suisse près le Saint-Siège qui connaît bien le pape.
Oui et j’ai dû expliquer comment s’étaient passées les visites du pape François dans les autres pays. J’ai dû donner des éléments de comparaison, attirer l’attention sur ce qu’il ne fallait pas manquer. En retour, il a fallu expliquer au pape ce qu’est un conseiller fédéral, la nonciature s’en est chargé. Peu de gens à l’étranger savent qu’un conseiller fédéral n’est pas un ministre subordonné d’un chef de gouvernement ou d’un chef d’État comme dans d’autres pays. Il est une part du chef de l’Etat dans notre système politique collégial. Le pape devait savoir pourquoi c’est une délégation du Conseil fédéral qui le recevait et non le chef de gouvernement. Chez nous, en effet, le président est le Conseil fédéral.

Redoutiez-vous les fameuses «surprises du pape»?
Une sieste était prévue au programme de la visite que nous avions reçu en amont. On connaissait le tempérament du pape à sortir spontanément acheter des lunettes ou faire une visite impromptue dans un EMS, il y a eu des inquiétudes. On s’est posé la question de cette sieste programmée. Est-ce que le pape ne ferait pas une sortie en dehors du programme? Finalement la surprise a été qu’il n’y a pas eu de surprises, à notre grand soulagement. Nous savions que ce n’était pas impossible. Cela dit, le pape n’était pas un inconscient et savait les enjeux protocolaires et de sécurité. Je pense que nous aurions su 24 heures à l’avance si une activité «improvisée» avait dû s’ajouter au programme.

La sécurité du pape était évidemment un sujet important.
Lorsque le pape voyage à l’étranger, l’Etat qui le reçoit est responsable de sa sécurité. Mais il est entouré d’un dispositif de sécurité rapproché. Il existe aussi le sopralluogo (littéralement: «sur le lieu»), ces visites préalables consistent en une reconnaissance du terrain pour des raisons de sécurité. Des gardes suisses et des membres de la gendarmerie vaticane ont travaillé avec leurs homologues des polices genevoise et vaudoise pour faire une reconnaissance du parcours du pape durant sa visite.

Le pape François salue les fidèles | © Bernard Hallet.

La connaissance du terrain n’est pas le seul aspect de la protection du pape.
Les personnels chargés de sa sécurité du pontife connaissent aussi la personnalité du pape, ses habitudes et son comportement vis-à-vis d’une foule. C’est très important pour anticiper tout incident. Les gardes suisses savent également comment assurer la sécurité durant une messe grâce à leur savoir-faire, un certain tact et une connaissance technique propre à leur expérience. Gérer la sécurité pendant une célébration religieuse avec des dizaines de milliers de personnes n’est pas à la portée de policiers de quelque pays que ce soit. Peu de chefs d’Etat ont un contact direct et aussi prolongé avec une foule. Le pape ne veut pas protéger sa vie, mais être le plus proche possible des gens. Ce qui implique un travail très délicat pour les gardes suisses.

Encensement de l’autel pendant l’offertoire lors de la messe du pape à Genève en 2018 | © Bernard Hallet

Le mobilier liturgique répondait à des exigences du Saint-Siège
La bonne préparation se retrouve aussi dans les exigences du Vatican, notamment concernant les dimensions du mobilier liturgique qui répondent à des normes précises* de sécurité et à des impératifs de retransmission télévisées. Et, outre les téléspectateurs, les fidèles présents à Palexpo devaient aussi pouvoir voir le pape. Il ne s’agit donc pas de conservatisme ou de rigidité contrairement à ce qu’on peut penser.

Un grand nombre de gens souhaitaient rencontrer personnellement le pape Comment avez-vous géré cela?
Le pontife était là dans ce but. Il a été heureux et il l’a dit: «ce fut un voyage de rencontres». C’est ce qu’il l’a le plus marqué durant cette journée. Pour que ces rencontres se passent sereinement, on ne peut permettre à tout le monde d’approcher le pape. Beaucoup ont dû se contenter de le voir d’un peu plus loin. Le pontife s’est entretenu avec des malades, des Argentins, des anciens gardes suisses. Un des aspects épuisants d’une telle visite pour le pape c’est qu’il ne fait pas trois pas sans qu’on intercale quelqu’un. Il s’agit de trouver un équilibre pour qu’il rencontre les personnes avant le repas, à la fin du repas, à la sacristie, à la fin de la messe. L’organisateur des voyages a dû gérer cette série de petites rencontres en apparence anodines, mais en réalité très importantes pour le pape et les intéressés.

Je me souviens d’un grand contraste entre l’arrivée et le départ du pape. Le matin, à la descente de l’avion, le pontife avait été reçu avec les honneurs militaires, ce qui ne l’enthousiasmaient pas beaucoup, mais qui étaient incontournables en raison de l’aspect étatique de cette visite. Le tango argentin joué à la fin de la cérémonie d’accueil a fait plaisir au pape. Le départ, au terme d’une journée magnifique, s’est fait avec le même tapis rouge, les mêmes drapeaux, mais dans une ambiance très chaleureuse et un peu moins protocolaire. Tout s’était bien passé. (cath.ch/bh)

*L’autel mesurait précisément 3 m de longueur, 1 m de hauteur et autant de profondeur. Le siège du pape respecte les normes imposées par le Saint-Siège avec un dossier de 1,5 m de hauteur et l’ambon d’1,4 m de hauteur et seulement 60 cm de profondeur. Des dimensions raisonnables qui répondent à des normes de visibilité, notamment lorsque la messe est retransmise à la télévision. Ces trois meubles sont surélevés.

Hommage à Borges
Le pape François était professeur de littérature et il avait mis notamment Jorge Luis Borges (écrivain argentin – 1899 – 1986) au programme, un écrivain qu’il aimait beaucoup. Cet écrivain est mort à Genève, une ville qu’il affectionnait. Nous nous sommes demandé si le pape aurait voulu se rendre sur la tombe de Borges, située au cimetière de Plainpalais. Il aurait été difficile d’organiser ce déplacement en plein cœur de Genève dans un programme par ailleurs très chargé. Arnaud Bédat, le journaliste suisse, qui connaissait bien le pape François est allé prélever un peu de terre de la tombe de Borges. Il l’a ensuite remise au président du Conseil d’Etat genevois, Pierre Maudet à l’époque, qui l’a offert au pape François à son arrivée sur le tarmac en lui souhaitant la bienvenue. Cela s’est fait très brièvement. Un geste qui fut une des premiers messages que le pape a reçu au cours de cette visite. Cela donne une tonalité particulière au voyage. BH

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Lors de sa venue à Genève, le pape a célébré la messe à Palexpo devant 37'000 personnes | © Bernard Hallet
22 avril 2025 | 07:30
par Bernard Hallet

La nouvelle de la mort du pape François a été annoncée à 9h45, par le cardinal Kevin Farrell, Camerlingue de la Chambre apostolique, depuis la Maison Ste Marthe. Le pape François est décédé en ce lundi de Pâques, 21 avril 2025.

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