Avec le prêt de FinLabor, une institution de microfinance partenaire d’Oikocredit, Kikey Castillo, de Veracruz, au Mexique, a rénové sa papeterie | © Opmeer Reports
Suisse

Depuis 50 ans, Oikocrédit édifie une finance solidaire mondiale

Portée par des Églises qui croyaient en un modèle financier alternatif, la coopérative Oikocredit célèbre un demi-siècle d’impact social concret dans les pays du Sud. À l’heure où les crises mondiales s’accumulent, ce pionnier de l’investissement éthique prouve qu’une finance responsable est possible.

Cinquante ans après sa création,* la coopérative internationale démontre que la finance peut être un important outil de transformation sociale positive. À contre-courant du développement international des marchés financiers axés sur le bénéfice rapide des investisseurs, la finance solidaire met l’accent sur les retombées qu’il en résulte pour une communauté vulnérable en termes de développement économique. Elle relie des épargnants qui cherchent à donner du sens à leur argent à des entreprises et des associations dont l’activité est à forte utilité sociale et/ou environnementale.

Vote des représentants des membres de la Société coopérative de développement œcuménique (SCOD), Genève, le 29 juin 1979 | © Oikocredit

Si aujourd’hui de nombreuses banques et institutions financières proposent des fonds de placement «éthiques», il n’en était pas de même il y a 50 ans. On doit cette avancée à des militants chrétiens, à l’origine de la création d’Oikocredit.

De la contestation à l’innovation financière

L’idée d’investissements éthiques est née dans un climat de contestation, rappelle le communiqué d’Oikocredit Suisse. En 1968, devant le bâtiment où siègent les délégués de la quatrième assemblée du Conseil œcuménique des Églises à Uppsala (Suède), des jeunes chrétiens manifestent contre les livraisons d’armes occidentales à des pays en guerre, comme le Vietnam. «Le Christ est encore trop révolutionnaire pour cette Église», scandent-ils.

«Le Christ est encore trop révolutionnaire pour cette Église!»

Ces activistes remettent en question l’approche traditionnelle de l’aide au développement, estimant que les dons alimentaires ne suffisent plus. Dans un contexte où l’industrie de l’armement prospère et où l’apartheid en Afrique du Sud offre des rendements financiers séduisants, ils imaginent une alternative radicale: un instrument financier éthique capable de soutenir des entreprises favorisant la justice sociale.

Du concept à la réalité

Sept ans plus tard, en 1975, cette vision se concrétise avec la création aux Pays-Bas d’Oikocredit, officiellement nommée jusqu’en 1999 Société coopérative de développement œcuménique (SCOD).

Les premières actions d’Oikocredit sont mises en œuvre dans des pays du Sud. En 1978, un prêt de 200’000 dollars (environ 1 million de francs suisses actuels) permet au Vellore Christian Medical College en Inde de financer des crédits immobiliers pour 200 employés d’hôpitaux à faibles revenus.

En 1978, Oikocredit accorde son premier prêt au Vellore Christian Medical College, en Inde. Photo des lieux 2015 | © Oikocredit

L’année suivante, en Équateur, 100’000 dollars sont accordés au Fondo Ecuatoriano Populorum Progressio, qui permettent aux habitants de Salinas de développer une production artisanale de fromages et de charcuterie. Un reportage de la RTS raconte l’histoire de José Dubach, un fromager suisse qui a enseigné aux paysans locaux des techniques d’affinage alors inconnues dans le pays. Aujourd’hui, cette petite localité est devenue la capitale équatorienne du fromage, témoignant de l’impact durable des premiers investissements.

Le soutien de la société civile

Mais l’engagement des organismes religieux – les adhérents initiaux – se montre quelque peu «timide», note Oikocredit Suisse. Le concept d’investissements éthiques attire par contre rapidement des militants de la société civile. Des associations de soutien gérées bénévolement voient le jour à travers l’Europe, comme en Suisse romande (1979) et en Suisse alémanique (1983). Ces structures permettent aux particuliers d’investir dans la coopérative internationale et jouent aujourd’hui encore un rôle crucial de sensibilisation aux enjeux de justice mondiale et de développement durable.

Désormais, depuis 2023, il est possible d’investir directement auprès d’Oikocredit International. La coopérative verse un dividende limité à 2% à ses investisseurs, pourtant elle continue à attirer ceux qui placent l’impact social avant le rendement financier. Elle compte ainsi plus de 46’000 investisseurs mondiaux, dont environ 2900 en Suisse. Parmi eux figurent 128 paroisses, 10 Églises cantonales et plus de 40 organisations religieuses ou caisses de pension.

Un milliard d’euros de capital

Le capital de cette coopérative internationale a connu une progression spectaculaire, passant de 1,3 million d’euros en 1977 à plus d’un milliard aujourd’hui. Il sert toujours à financer des micro-entreprises à vocation sociale engagées dans le Sud global, dans l’un de ces trois secteurs stratégiques: la finance inclusive, l’agriculture durable et les énergies renouvelables.

Oikocredit compte aujourd’hui 500 organisations partenaires dans 52 pays. Il peut s’agir, par exemple, de coopératives agricoles qui commercialisent du café ou du cacao dans les circuits équitables.

Sachant qu’environ 1,4 milliard de personnes dans le monde sont exclus du marché des prêts bancaires, on mesure l’importance de ce mécanisme. Sans accès à ces crédits traditionnels, ces populations vulnérables recourent souvent à des usuriers, s’enfermant dans un cycle d’endettement et de pauvreté.

Un impact reconnu dans le monde

Selon une étude de l’Université de Göttingen (2022), les programmes de microfinance soutenus par Oikocredit ont un impact significatif sur la réduction de la pauvreté rurale, avec une augmentation moyenne de 23% du revenu des ménages bénéficiaires dans les trois ans suivant l’accès au microcrédit.

L’Organisation internationale du travail (OIT) a pour sa part reconnu en 2023 le modèle d’Oikocredit comme un exemple réussi d’économie sociale et solidaire, capable de créer des emplois durables tout en préservant l’environnement. (cath.ch/com/lb)

* Le point d’orgue des célébrations du 50e anniversaire de Oikocredit, le «Global Reflection and Visioning Day», aura lieu le 4 novembre 2025 à Hyderabad (Inde), Nairobi (Kenya), São Paulo (Brésil) et Rotterdam (Pays-Bas).

Avec le prêt de FinLabor, une institution de microfinance partenaire d’Oikocredit, Kikey Castillo, de Veracruz, au Mexique, a rénové sa papeterie | © Opmeer Reports
14 avril 2025 | 17:25
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 4  min.
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