Le diacre Atakilti Estifanos est co-responsable de la construction de l'église érythréenne orthodoxe de Lausanne | © Raphaël Zbinden
Suisse

L’église érythréenne de Lausanne sera un lieu de «ressourcement»

Ce n’est pas encore le paradis, mais cela le deviendra sûrement. L’église orthodoxe Tewahdo du Chemin Louis-Buissonnet, à Lausanne, n’est pour l’instant qu’une structure de béton brut, encombrée de câbles, d’échafaudages et de matériel de construction.

L’endroit où Atakilti Estifanos reçoit cath.ch n’est pas très engageant. Sous une météo pluvieuse et froide de début de printemps, le chantier de l’église rivalise de gris avec le pont de l’autoroute sous lequel elle est située. Mais le jeune diacre de l’église orthodoxe érythréenne est «heureux et fier» de voir enfin prendre forme le premier lieu de culte de sa communauté en Suisse. «Chaque fois que je viens, c’est une joie de constater que des étapes sont franchies», confie le co-responsable de la construction.

L’église orthodoxe érythréenne de Lausanne telle qu’imaginée par ses architectes | AC Atelier Commun Architectes

La bénédiction de l’eau

«Là, ce sera la salle principale, avec ici le sanctuaire», présente Atakilti Estifanos. Salles d’eau, locaux pour le catéchisme, cuisine…, les parois et les principales installations sont en place et l’on peut déjà s’imaginer à quoi ressemblera l’endroit. Des images de synthèse, visibles sur le site du projet, montrent un bâtiment élégant et sobre, faisant la part belle aux teintes chaudes d’ocre et de gris. L’église sera orientée selon l’axe Ouest-Est. Au rez supérieur, se trouvera le narthex et une nef offrant environ 250 places assises. Des panneaux solaires et des installations géothermiques complèteront de manière écologique l’approvisionnement énergétique.

Le ruisseau du Flon est tout proche de l’église érythréenne | © Raphaël Zbinden

En faisant visiter la terrasse, le diacre fait remarquer avec enthousiasme la présence du ruisseau du Flon, à une dizaine de mètres en contrebas. L’eau est en effet un élément central dans la spiritualité orthodoxe érythréenne. Le baptême est généralement pratiqué par immersion totale, et l’élément liquide est présent dans nombre de rituels. «En fait, ce lieu est assez idéal pour nous, d’abord parce que nous avons un accès direct à un cours d’eau, mais aussi parce que le lieu est plutôt isolé, ce qui nous permettra de ne déranger personne.»

Une pratique religieuse intense

Cet aspect a été l’un des motifs de lancement du projet. Depuis le début des années 2010, la communauté érythréenne orthodoxe est hébergée dans l’église réformée de Chailly, à Lausanne. Le pasteur Virgile Rochat et les paroissiens ont  accueilli cette population migrante devenant de plus en plus nombreuse. Les activités de la communauté ont cependant causé quelques tensions avec le voisinage. «Il est vrai que nous avons une pratique religieuse très fervente et intense, admet Atakilti Estifanos. Nous pouvons comprendre que cela puisse poser quelques problèmes, surtout au niveau du bruit.»

Au vu de cette situation, en 2015, Virgile Rochat leur a suggéré de construire leur propre église. Le pasteur accompagnera le projet. «L’idée a été lancée le jour de Pâques, et dès le soir, près de 30’000 francs avaient déjà été récoltés», assure le diacre. Arrivé en Suisse en août 2015, soit quelques mois après le lancement du projet, Atakilti Estifanos y a été rapidement associé.

Une communauté soudée par la spiritualité

L’église qui surgit de terre à l’emplacement de l’ancien vivarium de Lausanne ne sera pas seulement un lieu de culte, mais un véritable espace de «ressourcement». La vie des Érythréens orthodoxes tourne habituellement toute entière autour de l’église. Elle est rythmée par les baptêmes, les mariages, les funérailles et toutes les célébrations du calendrier, sans oublier les catéchèses et toutes sortes de rituels traditionnels très présents. «La spiritualité et la pratique religieuse sont très importantes pour nous, peut-être encore plus pour une communauté comme la nôtre qui a été forcée à l’exil et qui a dû totalement abandonner sa vie d’avant.»

«C’est certainement une richesse de pouvoir vivre dans les deux cultures érythréenne et suisse» – Atakilti Estifanos

De nombreux jeunes hommes érythréens fuient notamment leur pays dirigé par un régime dictatorial pour éviter d’être enrôlés dans l’armée et envoyés au combat. Cela a éte le cas d’Atakilti Estifanos, qui a suivi, comme nombre de ses compatriotes, la route migratoire comprenant la traversée du Soudan, de la Libye, et de la Méditerranée. Au large des côtes italiennes, il a eu la chance de voir les gardes-côtes arriver assez rapidement, alors que son bateau commençait à prendre l’eau.

Il s’est ensuite retrouvé en Suisse «par hasard», même s’il assure être très content de sa destination et reconnaissant de l’aide reçue. Il a appris le français et a terminé quelques années plus tard un CFC d’installateur sanitaire. «Mes compétences sont très utiles pour superviser le chantier», souligne-t-il.

Un pont avec la culture d’origine

Le diacre assure que tous les fidèles du canton de Vaud sont également très heureux de pouvoir prochainement bénéficier de leurs propres locaux. «Il est parfois difficile d’avoir assez de place dans le temple de Chailly, alors que les messes attirent entre 250 et 300 personnes, près de 500 lors des grandes fêtes.» Cela facilitera l’organisation des nombreuses activités de la communauté. «Lors de décès, par exemple, toute la famille doit venir pour prier auprès du défunt. Ce qui peut être assez compliqué à organiser dans l’urgence dans une église qui n’est pas à nous.»

L’église érythréenne Tewahdo s’élèvera en-dessous du pont de l’autoroute | © Raphaël Zbinden

L’une des fonctions de l’église orthodoxe Tewahdo érythréenne debre genet kidane mihret, de son vrai nom, sera aussi de rapprocher les plus jeunes de leur langue et de leur culture d’origine. «Bien sûr, il y a une forte volonté chez les Érythréens de s’intégrer, d’apprendre le français et de participer à la société. Mais c’est certainement une richesse de pouvoir vivre dans ces deux cultures», affirme le diacre.

Le fruit de dix ans d’efforts

Le coût du projet se monte à 4,9 millions de francs. II a été financé pour moitié par un crédit de la Banque alternative suisse et pour une moitié par des dons des fidèles de la communauté, mais aussi de la paroisse de Chailly. Le projet a rencontré quelques difficultés, notamment à cause de glissements de terrain qui ont provoqué des retards et un surcoût.

Si tout va bien, le centre culturel devrait ouvrir ses portes en décembre 2025. La joie est d’autant plus présente de voir le projet se concrétiser après plus de dix ans d’efforts, relève le diacre. Un grand événement d’inauguration est prévu. «Nous attendons vraiment beaucoup de monde», assure Atakilti Estifanos avec un sourire. (cath.ch/rz)

L’Église orthodoxe érythréenne Tewahedo est une Église chrétienne orientale orthodoxe, principalement établie en Érythrée. Elle est autocéphale (autonome) depuis 1993, à peu près en même temps que l’indépendance de l’Érythrée vis-à-vis de l’Éthiopie. Elle faisait avant cela partie de l’Église orthodoxe éthiopienne Tewahedo.
En langue ge’ez, «Tewahedo» signifie «être unifié» ou «unité». Cela fait référence à leur croyance dans l’union unique de la nature divine et humaine du Christ, selon la christologie miaphysite, commune aux Églises orthodoxes orientales.
La langue ge’ez est une langue liturgique ancienne qui a un peu la fonction du latin dans le catholicisme. L’Église orthodoxe érythréenne Tewahedo suit un calendrier liturgique et des pratiques similaires à l’Église éthiopienne, ayant des racines profondes dans les traditions juives et africaines. Les fidèles peuvent ainsi poursuivre des jeûnes stricts, la pratique de la circoncision, ainsi que des interdits alimentaires.

L’Église est dirigée par un patriarche basé à Asmara, capitale de l’Érythrée. L’institution connaît des pressions du gouvernement érythréen. Le patriarche Abune Antonios, nommé en 2004, a notamment été déposé par le gouvernement en 2006 et placé en résidence surveillée jusqu’à sa mort en 2022.

Bien qu’aucun recensement officiel ne soit disponible, les chrétiens représenteraient environ la moitié de la population érythréenne, le reste étant musulmane.
Selon les derniers chiffres du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), plus de 43’000 personnes originaires d’Érythrée vivent en Suisse. RZ

Le diacre Atakilti Estifanos est co-responsable de la construction de l'église érythréenne orthodoxe de Lausanne | © Raphaël Zbinden
7 avril 2025 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 5  min.
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