"Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri"/Photo:evangile-et-peinture.org
Homélie

Homélie du 2 mars 2025 (Lc 6, 39-45)

Chanoine Alexandre Ineichen – Basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice, VS

Dans sa préface pour un dictionnaire des sentences latines et grecques, dans une préface étourdissante d’érudition et de saveur, l’écrivain italien Umberto Eco décrit une société humaine dont toutes les lois qui la régiraient seraient exclusivement des proverbes, des sentences ou des dictons. Il montre alors que cette société serait invivable. En effet, l’eau y est interdite puisque chat échaudé craint l’eau. Que faire, si, d’une part, les voyages forment la jeunesse, et que, d’autre part, pierre qui roule n’amasse pas mousse. Et que dire, si la parole est d’argent, mais le silence est d’or.

A l’écoute de la parole de Dieu – « Jésus disait à ses disciples en paraboles » – à la lecture de Ben Sira le Sage : nous pourrions tirer les mêmes conclusions. Combien de commandements peuvent sembler se contredire ! S’il faut prier sans cesse, il ne faut pas rabâcher des formules toutes faites comme font les païens. S’il faut honorer son père et sa mère pour avoir longue vie, nous serons aussi frère et sœurs, non de sang, si nous accomplissons la volonté de Dieu. Seule la grâce sauve, même si la foi sans les œuvres est vaine.

Comment trouver des paroles de vie pour ici et maintenant ?

Alors comment ne pas être troublé à l’écoute ou à la lecture des Saintes Écritures ? Comment trouver dans ces paroles parfois contradictoires des paroles de vie, pour ici, pour maintenant ? Nous risquons d’être déstabilisés, ébranlés, incapables de donner du fruit – et du fruit en abondance. C’est une épreuve, non pour nous détruire, mais pour nous faire grandir. « Le four éprouve les vases du potier. On juge l’homme en le faisant parler » Si Jésus s’adresse à ses disciples en paraboles, si les livres sapientiaux des Écritures expriment des vérités essentielles à travers de belles et parlantes comparaisons, si nous mémorisions si facilement proverbes et dictons, c’est parce que ces images permettent non seulement une bonne mémorisation mais aussi nous laissent une authentique liberté dans leur accomplissement.

Cependant, le doute s’installe, le trouble perturbe et peut-être nous paralyse. Comment alors les affronter, les dépasser et retrouver notre croissance comme un arbre planté au bord d’un ruisseau qui donne du fruit, en son temps, et en abondance ?

Retrouver en nous ce bon sens

D’abord, il faut savoir s’arrêter, s’asseoir et camper, sur ces deux jambes que sont notre intelligence et notre sagesse. Il nous faut retrouver en nous ce bon sens, ce sens commun. Il est vain d’abandonner trop vite une idée pour en adopter une autre. La nouveauté pour la nouveauté empêche cette assise qui nous protège des modes passagères, vite pensées, vite abandonnées. Approfondir ce que l’on a reçu nous protège des préjugés que nous prenons pour le sens commun, pour du bon sens. La persévérance envers une idée, l’attachement à une pensée, l’esprit de continuité nous permettent de l’éprouver, d’en apprécier la pertinence et d’affronter les perturbations avec fermeté et assurance. C’est ainsi que de disciple, nous devenons maître, capables de nous conduire nous-mêmes : « un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? (…) Le disciple n’est pas au-dessus du maître. »

Consolider nos fondations

Ensuite, forts de cette assise, creusée en nous, osons affronter les turbulences de notre monde. Immobiles, ici et maintenant, nous ne cherchons pas à retirer la paille de l’œil de notre frère. Les vents contraires du siècle ne manqueront pas de l’éliminer, mais occupons-nous plutôt de la poutre qui nous alourdit. Cette poutre n’est pas un fondement solide, inaliénable : « Esprit faux ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour retirer la paille qui est dans l’œil de ton frère. » Notre véritable fondement, ce n’est pas cette poutre, mais notre capacité à l’enlever pour voir clair et ainsi de ne pas être ballottés par tous les vents contraires, comme un fétu de paille.

Enfin, après avoir consolidés nos fondations, affrontés les aléas de la vie, de notre vie, examinons si nous sommes sur la bonne voie. L’Évangile nous y aide avec une image plus que parlante : « Chaque arbre se reconnait à son fruit. » Si vraiment nous sommes sur la bonne voie, les fruits ne manqueront pas. Tout commandement, même dans ses contradictions, portera un fruit – et un fruit en abondance.

En conclusion, je ne peux que reprendre les paroles de saint Paul, entendues dans la deuxième lecture. « Ainsi, bien-aimés, soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez ne sera pas stérile. » Maintenant, que le tamis est secoué, les déchets rejetés, avançons-nous à l’autel de Dieu qui fera toute ma joie, qui fera toute notre joie.

8e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Ben Sira 27, 4-7; Psaume 91; 1 Corinthiens 15, 54-58; Luc 6, 39-45

«Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri»/Photo:evangile-et-peinture.org
2 mars 2025 | 09:35
Temps de lecture : env. 3  min.
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