Suisse

Jean-Baptiste Bienvenu: «Se libérer des écrans est un enjeu spirituel»

Prêtre du diocèse de Versailles, l’abbé Jean-Baptiste Bienvenu est aumônier auprès de jeunes «digital native». À eux qui consultent sans cesse leur smartphones, il propose un guide pour les aider à se libérer des écrans.

Pourtant, lui-même coordonne padreblog.fr, qui diffuse des vidéos de prêtres sur les réseaux sociaux. Il nous explique comment il gère cet apparent paradoxe, entre l’addiction aux écrans et les opportunités qu’ils offrent.

Jean-Baptiste Bienvenu, vous avez signé aux Editions Arpège Ils nous bouffent, en référence à nos écrans d’ordinateur et de smartphone. Pourquoi cet ouvrage?
Abbé Jean-Baptiste Bienvenu: Je constate que beaucoup sont conscients d’un problème par rapport à leurs écrans. Ils savent qu’ils doivent se déconnecter, mais ils ignorent comment. D’où ce livre pour donner des pistes concrètes, sortir de la culpabilité et réussir à mettre en place une libération progressive. Car il s’agit d’un enjeu spirituel. La question des écrans est une question d’intériorité et de spiritualité. Ils prennent beaucoup de place dans nos vies et mon métier est de faire en sorte que les gens puissent être en relation avec Dieu, ce qui suppose d’avoir de la place à l’intérieur. Les jeunes me le disent souvent: «Je passe trop de temps sur mes écrans, ça me coupe des autres, ça me coupe de Dieu.»

Vous parlez des écrans comme d’une arme de distraction massive…
Oui, la formule est de l’écrivain français Georges Bernanos, qui écrivait en 1947: «On ne comprend rien à la civilisation moderne si on n’admet pas qu’elle est une conspiration universelle contre toute forme de vie intérieure.» Loin de moi l’idée de faire des théories du complot, mais il est difficile d’avoir une vie intérieure aujourd’hui. On est distrait par toutes ces notifications qui arrivent à tout moment de la journée et qui nous coupent sans cesse de la continuité de notre vie.

«Il est difficile d’avoir une vie intérieure aujourd’hui. On est distrait par toutes ces notifications qui arrivent à tout moment de la journée.»

Votre guide est qualifié de pratique mais aussi de spirituel. Qu’a-t-il de spirituel, lorsqu’on évoque par exemple notre rapport au temps?
Le temps, c’est notre vie. Le rapport au temps, c’est notre capacité de nous comprendre, de nous connaître, de nous raconter. On a besoin pour cela de recul, d’intériorité et de temps de qualité. Or celui-ci est menacé par les écrans. Si vous voulez méditer ou prier, comment pouvez-vous le faire avec votre téléphone qui vibre dans la poche? C’est impossible! Nous sommes des êtres qui avons une épaisseur d’histoire et de temporalités. Or le temps des écrans, c’est le temps instantané et fractionné. Ce qui est selon moi essentiel, c’est la question de la continuité, de l’histoire. La foi chrétienne est une foi qui est historique, qui se raconte. Et pour l’accueillir, on a besoin d’avoir du temps.

Le temps de l’homme et le temps des écrans sont donc en conflit?
Clairement. Il y a deux semaines dans le train, une jeune femme discutait sur Instagram, tout en écrivant son mémoire de master; j’ignore si elle est capable de raconter qui elle a été pendant ce voyage. En fait, elle n’existe pas. Elle est fractionnée en mille activités. Elle est l’esclave de cette temporalité qui est une temporalité des machines. Le plus important, je crois, c’est redevenir capable de raconter l’unité de mon histoire et de mon histoire visitée par Dieu.

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Quels sont selon vous les principaux conseils pour se libérer de l’emprise des écrans et retrouver au fond sa liberté et la maîtrise de son temps?
J’en vois quatre. Le premier, c’est de passer son écran en noir et blanc. Ça réduit l’attraction des couleurs et c’est beaucoup plus simple de s’en détacher. Le deuxième, c’est réduire au maximum les notifications. Troisièmement, se préserver des lieux sans écrans, en particulier la chambre où l’on dort. Et de brancher son téléphone dans sa salle de bain, par exemple, à l’heure du coucher. Quatrième conseil, se préserver des temps, en particulier des temps de repos et de vacances. Lors d’une balade, est ce que je prends par exemple mon téléphone avec ou est-ce que je décide de le laisser à la maison?

Pourtant depuis 2021, vous coordonnez aussi padreblog.fr, qui est une présence vidéo de prêtre sur les réseaux sociaux. Vous faites partie de ceux qu’on appelle les missionnaires numériques. N’est-ce pas paradoxal, vous qui tentez de nous libérer des écrans?
C’est une bonne question. Je vois qu’il y a une certaine évolution par rapport à la génération Z (celle née entre la fin des années 90 et le début des années 2010, ndlr) dans son usage des écrans. Ils ne les utilisent plus uniquement comme un lieu de distraction, mais aussi comme un lieu de sens. Et nous le constatons, la quête spirituelle a vraiment lieu sur les réseaux sociaux. Ils représentent donc pour moi une opportunité pour dire l’Évangile. Sur padreblog, on essaie de produire du contenu qui donne du sens et d’être présents là où se trouvent les gens, et ils sont sur les réseaux sociaux! Ne pas y être serait une démission.

«Nous le constatons, la quête spirituelle a vraiment lieu sur les réseaux sociaux.»

On a le sentiment que l’Église peine à gérer les prêtres comme vous, créateurs de contenus sur les réseaux sociaux. Est-ce que l’institution accompagne ou régule ce mouvement, pour autant qu’il soit possible de le réguler?
Il y a toujours deux temps dans l’Église: le temps de l’audace et de la créativité, par cette initiative des missionnaires numériques qui vient du terrain, et le temps du discernement, de l’accompagnement et de la structuration. J’ai le sentiment qu’on est dans l’époque où ce dialogue est en train de se construire entre nous, créateurs de contenus et les autorités ecclésiales.

> Ecoutez l’entretien complet dans l’émission radio «Babel», le 9 février 2025 à 11h sur RTS Espace 2 ou en podcast sur rts.ch/religion/babel, ou via l’App Play RTS, sur smartphone.

Si l’Église a parfois eu de la peine à gérer ces missionnaires numériques, est-ce aussi parce qu’elle considère leur parole comme une concurrence à sa propre parole institutionnelle?
Je n’emploierais pas le mot de concurrence. Je dirais plutôt que cette phase n’est pas simple à gérer. Par ailleurs, oui, il y a peut-être une difficulté, parce que les personnalités qui ont émergé sur les réseaux sociaux l’ont fait, non parce qu’elles avaient reçu une mission de l’Église, mais parce qu’elles étaient bonnes, cumulant ainsi les audiences. Donc il y a eu ce temps d’appropriation par la hiérarchie ecclésiale. Mais je constate aujourd’hui que le lien à mon évêque est bon. Ce n’est pas toujours simple, mais nous sommes sur la bonne voie.

Il existe en France des têtes d’affiche de ce mouvement, comme le frère Paul Adrien d’Adhémar ou Sœur Albertine. Ils sont souvent invités à des grands rassemblements. Est-ce qu’il y a un risque de starification qui guette ces influenceurs chrétiens?
Absolument, car les réseaux sociaux exaltent la personne. La spécificité de padreblog.fr, c’est que nous sommes trois visages et que nous travaillons ensemble. Nous nous critiquons mutuellement et nous ne publions jamais de vidéos sans l’accord des autres. C’est parfois frustrant, mais nous préférons avoir cette sagesse-là.

Vous exercez cette activité numérique sur votre temps libre, ce qui pose la question de la reconnaissance institutionnelle. Quelle est votre attente vis-à-vis de l’Église?
Je n’ai pas d’attente parce que le système, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, me paraît bien. Cela dit, je pense que l’Église va mandater à l’avenir des prêtres pour des missions numériques, mais ce ne sera sans doute pas à plein temps, parce qu’il est très important que ceux qui exercent cette activité missionnaire numérique restent enracinés dans la vraie vie. (cath.ch/cp)

Jean-Baptiste Bienvenu est prêtre du diocèse de Versailles, membre de la communauté de l’Emmanuel et rédacteur de padreblog.fr. Il enseigne la théologie morale au séminaire de Versailles.

5 février 2025 | 17:11
par Carole Pirker
Temps de lecture : env. 5  min.
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