Comment Genève protège le patrimoine en péril de Gaza
La trêve signée le 16 janvier 2025 entre Israël et le Hamas laisse un mince espoir aux habitants de Gaza de retrouver une vie normale. Au-delà des énormes pertes en vies humaines, le territoire palestinien a vu la destruction d’une part importante de ses biens culturels. Dans son exposition ‘Patrimoine en péril’ le Musée d’art et d’histoire de Genève rappelle «qu’un peuple sans passé n’a pas d’avenir».
A côté d’une grenouille sculptée dans la craie trois millénaires av. JC, la vitrine contient une somptueuse lampe à huile romaine en bronze, ou encore un flacon en céramique d’époque byzantine, en forme de dromadaire accroupi, chargé de quatre amphores. «Cette diversité d’objets illustre combien Gaza a été de tout temps un carrefour des peuples et des civilisations», relève Béatrice Blandin, commissaire de l’exposition «Patrimoine en péril» qui se tient au Musée d’art et d’histoire de Genève jusqu’au 9 février 2025.
Egyptiens, Assyriens, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes et Ottomans se sont succédé sur cette bordure de la Méditerranée. Plus près de nous, Français et Anglais sont aussi passés par là, comme ce soldat britannique pour qui une stèle funéraire, également exposé dans la salle, a été taillée dans une colonne byzantine en 1917.
70 ans de la Convention de la Haye pour la protection des biens culturels
Pour marquer les 70 ans de la ›Convention de la Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflits armés’, le Musée d’art et d’histoire de Genève n’avait pas de meilleur choix que d’exposer une quarantaine de trésors gazaouis en ›exil’ en Suisse depuis bientôt vingt ans. La protection du patrimoine ne concerne pas que les conservateurs de Musée ou les amoureux des vieilles pierres, mais chaque citoyen.
«La priorité est évidemment la vie des gens, mais les pièces du patrimoine que nous conservons actuellement à Genève font partie de leur identité. Un peuple sans passé n’a pas d’avenir,» relève Béatrice Blandin. Pour elle, le retour à Gaza de ces objets antiques, stockés à Genève depuis 2006, pourrait indéniablement contribuer à la reconstruction du territoire palestinien. «Tous ces objets, depuis l’âge du bronze au XXe siècle, témoignent non seulement de l’histoire, mais aussi de la résilience d’un peuple qui a vu passer nombre d’invasions.»
Pillages et destructions
«De tout temps, les conflits ont engendré la destruction et le pillage de biens culturels. En 480 av. J.-C., les Perses saccagent l’Acropole d’Athènes, en 70, l’empereur romain Titus, pille et détruit le Temple de Jérusalem», rappelle Béatrice Blandin.
Au cours de quinze mois de conflit à Gaza, on ne compte plus les destructions de sites archéologiques, de mosquées, d’églises ou de musées souvent au mépris de toutes les règles de protection.
En 1954, au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, les rédacteurs de la Convention partageaient sans doute le même type de sentiments. Les signataires se disaient «convaincus que les atteintes portées aux biens culturels, à quelque peuple qu’ils appartiennent, constituent des atteintes au patrimoine culturel de l’humanité entière, étant donné que chaque peuple apporte sa contribution à la culture mondiale.» A ce jour ce texte fondateur a été ratifié par 135 Etats dont Israël dès 1954.
«Ce principe mérite d’être relevé, non seulement à Gaza, mais aussi ailleurs, pensons aux Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan, au musée de Rakka, en Syrie, aux mosquées et aux églises de Mossoul en Irak, aux églises d’Ukraine ou encore aux mausolées de Tombouctou au Mali», note Béatrice Blandin. La conservatrice veut croire au multilatéralisme et au dialogue entre les peuples.
Reconstruire pour faire revivre l’espoir
Après les conflits, restituer les objets pillés et reconstruire le patrimoine est une manière de préserver une identité, de donner non seulement de l’espoir, mais aussi du travail aux populations locales. La photo panoramique ancienne du quartier de la grande mosquée à Gaza, tirée d’une plaque de verre conservée à l’Ecole biblique de Jérusalem, raconte cette résilience. Ancienne église du XIIe siècle devenue la plus grande et ancienne mosquée de la bande de Gaza, elle a été en grande partie détruite par un bombardement israélien le 7 décembre 2023.
Une collection exceptionnelle en ‘exil’ depuis 20 ans
Le patrimoine de Gaza bientôt exposé à Paris
L’Institut du monde arabe à Paris va consacrer en mars 2025 une exposition sur le patrimoine de Gaza à partir des objets conservés à Genève avec évidemment l’aval de l’Autorité nationale palestinienne. «J’ai reçu aujourd’hui même l’autorisation de l’annoncer publiquement», a confié à cath.ch Béatrice Blandin.
La saga de la collection de Gaza offre une exemple significatif des défis à relever. En 2007, le Musée d’art et d’histoire de Genève avait organisé une grande exposition sur le patrimoine de Gaza. La collection présentée de 529 objets devait être le noyau d’un futur musée à construire à Gaza. «Mais la même année, le Hamas est arrivé au pouvoir et les tensions avec Israël se sont intensifiées. Les conditions de sécurité n’étaient plus remplies pour permettre le retour de ces oeuvres en Palestine.» Elles sont depuis lors stockées aux Ports francs de Genève dans l’attente de jours meilleurs…
Une demande de retour a été faite en 2012-2013, mais elle n’aboutit pas. Pas plus en 2016 lorsqu’il est question de rapatrier les oeuvres cette fois-ci à Ramallah, en Cisjordanie. Après de nouveaux travaux préparatoires, l’espoir était grand à l’automne 2023 de voir la collection enfin regagner sa terre natale.»Un convoi maritime et un convoi aérien étaient planifiés, mais tout a été suspendu après le déclenchement de la guerre le 7 octobre.» En fin de compte, en septembre 2024, l’Autorité nationale palestinienne et la ville de Genève ont signé un accord pour conserver provisoirement la collection dans la cité du bout du lac. Béatrice Blandin ne rêve plus d’un rapatriement rapide, mais elle reste convaincue que ce qui appartient au peuple de Gaza doit lui revenir. (cath.ch/mp)
La protection des biens culturels
À l’occasion des 70 ans de la signature, à La Haye, de la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, ratifiée par la Suisse en 1962, le Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) a monté l’exposition Patrimoine en péril.
La sélection d’œuvres proposée éclaire tant la sauvegarde que le MAH se doit d’assurer de ses propres collections que son rôle de refuge pour des pièces confiées temporairement par des pays tiers en guerre ou victimes de pillages.
L’exposition se donne également pour but de faire connaître le symbole du Bouclier Bleu, qui identifie les biens culturels placés sous la protection de la Convention de 1954.
La Convention de La Haye a été mise en œuvre dès 1966 par une loi fédérale (LPBC). À la suite de sinistres qui ont frappé le pays et conduit à la perte de biens culturels, elle été révisée et inclut depuis 2015 les risques naturels comme les incendies ou les inondations. Les cantons sont chargés de son application.
En 2009, la Ville de Genève a adopté un concept de protection des biens culturels. Cette stratégie consiste à anticiper les sinistres et à garantir, lorsqu’ils surviennent, une réponse rapide et coordonnée des différents acteurs. Elle est reconnue aujourd’hui à l’échelle mondiale. La Ville de Genève est très souvent sollicitée pour accompagner des institutions internationales dans la conception et le déploiement de leur stratégie PBC. MP