Jean-Luc Farine, président de Missio, est rentré d'Haïti
Jean-Luc Farine, président de Missio, est de retour en Suisse depuis le 24 novembre 2024. Le prêtre du diocèse de Lugano avait été bloqué pendant une semaine à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, en raison des violences sur place. Il raconte son expérience et décrit la situation dans ce pays en proie au chaos.
Regula Pfeifer, kath.ch/ traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Comment êtes-vous finalement parti d’Haïti?
Jean-Luc Farine: Notre départ a été retardé parce que l’aéroport a dû fermer le jour prévu pour notre vol. De retour au Tessin, je suis davantage serein, même si nous n’avons jamais vraiment été en danger. Mais cela a tout de même été une expérience assez pesante, car nous ne pouvions pas faire grand-chose, à part attendre des nouvelles.
Vous avez été bloqué à Port-au-Prince pendant plusieurs jours. Avez-vous observé quelque chose en rapport aux troubles dans la capitale?
Tous les jours, nous avons entendu des coups de feu et vu de la fumée. Nous lisions que les gangs avaient le dessus dans certains quartiers et qu’ils essayaient de s’infiltrer dans d’autres quartiers. Mais nous étions dans un hôtel proche de l’aéroport, dans un endroit plutôt calme.
«Les gangs contrôlent toutes les routes qui mènent hors de Port-au-Prince»
Nous n’avons pu communiquer que de façon sporadique. Les liaisons téléphoniques n’étaient pas bonnes.
Missio est la branche Suisse des oeuvres pontificales missionnaires présentes dans plus de 120 pays. Missio promeut les échanges et le partage entre églises locales et le développement de diocèses défavorisés, ainsi que la formation et des projets d’aide à l’enfance.
De là, vous avez réussi à vous rendre en hélicoptère dans la ville côtière de Cap-Haïtien…
Oui, car tout Port-au-Prince était bloqué, pas seulement l’aéroport. Les gangs contrôlent toutes les routes qui mènent hors de la ville. La population est séquestrée, elle ne peut pas sortir de la ville. Dans les quartiers les plus dangereux, les gens se réfugient chez des proches dans d’autres quartiers ou dans des abris aménagés spontanément dans des gymnases ou des entrepôts. Il ne restait plus que la voie aérienne pour sortir.
Vous aviez auparavant visité des projets missionnaires en Haïti.
Nous avons rendu visite au projet conjoint du diocèse de Lugano et du diocèse d’Anse à Veau – Miragoâne. Il y a dix ans, les deux évêques ont signé un contrat de collaboration. Encore deux missionnaires tessinois travaillent en Haïti, alors qu’ils ont été jusqu’à sept sur place. Mais leur contrat expire l’an prochain. C’est pourquoi nous avons voulu voir où en était le projet.
Nous avons visité huit écoles. L’objectif de notre projet est d’améliorer les établissements de cette institution catholique, qui sont gérés par un bureau de coordination. Chaque diocèse haïtien dispose d’un tel bureau. L’Église en Haïti est très engagée dans l’éducation. Dans le diocèse d’Anse à Veau-Miragoâne, elle compte 43 paroisses et 98 écoles de tous niveaux – ainsi qu’une université catholique.
«De nombreux Haïtiens sont maintenant renvoyés de République dominicaine»
J’admire particulièrement les prêtres haïtiens, car ils doivent gérer des écoles, ce qui est une de leurs tâches pastorales dans le diocèse. C’est un engagement d’évangélisation. J’ai beaucoup de respect pour ces prêtres parce qu’ils font énormément de choses avec très peu de moyens financiers.
Cette région n’est-elle pas touchée par les violences?
La situation là-bas – c’est-à-dire dans le département de la Nippe – est plus calme. Ils ne sont pas affectés par la violence. Mais ils ont accueilli ces dernières années de nombreuses familles qui ont fui Port-au-Prince. Leurs enfants ont été admis dans les écoles – et ne doivent pas payer de frais de scolarité mensuels, puisque les parents sont incapables de s’en acquitter. Il y a donc eu une grande solidarité.
En outre, de nombreux Haïtiens sont maintenant renvoyés de République dominicaine, même ceux qui y vivaient depuis des années. L’État voisin a fermé ses frontières et interdit le commerce.
Cela devient donc encore plus difficile pour les Haïtiens…
Certainement. Car le nouveau Premier ministre n’est probablement pas la solution, comme le disent les Haïtiens. Ils estiment qu’il fait partie du cercle des politiciens corrompus. Le changement après l’assassinat du président sortant [Jovenel Moïse, assassiné en juillet 2021, ndlr] risque d’être long.
De quelle façon le diocèse de Lugano apporte son aide sur place?
Le diocèse continuera probablement à soutenir l’engagement du diocèse d’Anse à Veau-Miragoâne sur le plan éducatif. Certes, nous n’aurons bientôt plus de missionnaires sur place. Mais nos partenaires en Haïti développent un projet qu’ils vont prochainement nous soumettre. (cath.ch/kath/rp/arch/rz)