Rome, 24 octobre 2024. Geert De Cubber, diacre permanent de Gand, en Belgique, a participé au Synode sur la synodalité | © Lucienne Bittar
Dossier

Le diaconat, un service encore mal compris dans l’Église, au vu du Synode

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Marié, père de trois enfants et diacre permanent, le Belge Geert De Cubber, 50 ans, se consacre depuis 2020 à la vie du diocèse de Gand et, depuis trois ans, grâce au chemin synodal, à l’avenir de toute l’Église. Son ministère reste sous-évalué, estime-t-il, avec l’espérance qu’il puisse un jour s’ouvrir aux femmes.

Lucienne Bittar, cath.ch, envoyée spéciale à Rome

Geert De Cubber, 50 ans, a enseigné par le passé la communication et la responsabilité sociale des entreprises. Il a aussi été journaliste pour l’hebdomadaire chrétien flamand Tertio. Responsable diocésain pour la communication, les jeunes et la synodalité du diocèse de Gand et membre de son conseil épiscopale, il est l’une de dix délégués européens non-évêques à avoir participé à Rome aux deux assemblée synodales sur la synodalité.

C’est aussi le seul diacre permanent de l’Église latine présent à l’assemblée 2024, aux côtés d’un diacre de l’Église syriaque et d’un autre de l’Église melkite qui sera ordonné prêtre.

La faible représentativité des diacres à l’assemblée synodale est-elle pour vous symptomatique d’une réalité?
Geert de Cubber:
Il existe parmi les diacres permanents le sentiment d’être souvent oubliés. Personnellement, je ne le vis pas ainsi, mais cela correspond à une réalité. Il y a dans le monde 50’000 diacres permanents environ, dont la moitié se trouvent aux États-Unis, or aucun diacre de ce pays n’est présent à Rome.

Ce ministère serait mal compris dans l’Église?
Oui, et c’est pourquoi j’ai pris la parole à l’assemblée générale pour le présenter. Le diacre permanent est celui qui fait des ponts, dans sa propre famille et entre les familles, dans la communauté et entre les communautés, mais aussi entre les prêtres et les laïcs, ou entre l’évêque et les prêtres, ou entre l’évêque et les laïcs. Cet établissement de liens entre l’Église et la société, qui sait finalement peu de choses de l’Église, est vraiment nécessaire.

La vocation du diacre est vraiment celle de «l’Église en sortie». Le diacre doit aller dans la rue, à la rencontre de tous pour entendre leurs récits. Et porter tout cela dans l’eucharistie. Avant de me rendre à la messe et au moment de l’eucharistie, je repense aux personnes rencontrées durant la semaine. C’est un lien spirituel. D’ailleurs, quand il y a un diacre présent à l’assemblée, c’est lui qui prononce ces dernières paroles: «Allez dans la paix du Christ», auxquelles l’assemblée répond: «Nous rendons grâce à Dieu.»

Le diaconat permanent est un ministère de service qui répond aux appels du pape à la décléricalisation de l’Église. Le chemin synodal a-t-il répondu à vos attentes à ce niveau?
Nous avons en tout cas essayé de vivre une Église synodale, c’est-à-dire non cléricale, de marcher et discerner ensemble, dans un vrai désir partagé. Cela a été plus marqué lors de la deuxième session. Elle a été pour moi une très belle expérience. La rencontre change tout, mais elle demande du temps.

«Le diacre doit aller dans la rue, à la rencontre de tous pour entendre leurs récits. Et porter tout cela dans l’eucharistie.»

L’an passé, j’ai rencontré un évêque d’un diocèse sans diaconat permanent. Quand il a su que j’étais diacre, il m’a demandé quand est-ce que j’envisageais de devenir prêtre. Puis il m’a dit que dans son diocèse on n’avait pas besoin de diacres permanents, car il y avait suffisamment de vocations à la prêtrise. Après ma prise de parole à la première assemblée, il est venu me voir et m’a dit: «Il faut y réfléchir.» Et cette année, il a été encore moins catégorique: «Je ne sais pas si on va instaurer le diaconat dans mon diocèse, mais il faut discerner à ce sujet.» J’ai aussi appris que dans quelques diocèses des Philippines sans diacres permanents, la question se pose aujourd’hui d’en ordonner.

Le principe de subsidiarité de la pensée sociale chrétienne n’est visiblement pas appliqué partout…
Je vis en Belgique, un pays fortement sécularisé et à l’Église est vieillissante. Mais c’est aussi une Église habituée à travailler avec les diacres et les laïcs, hommes ou femmes. Dans les deux tables de langue anglaise auxquelles j’ai participé lors de l’assemblée de cette année, j’étais le seul Européen habitant encore en Europe. J’ai senti des réserves par rapport au principe de subsidiarité.

Certaines d’entre elles concernaient la position des femmes dans l’Église (à distinguer de la question du diaconat des femmes). Celle-ci est encore très précaire dans de larges parties du monde. Tous les membres de l’assemblée en conviennent et disent que cela doit changer, mais il n’y a pas une voix commune sur les moyens à mettre en place. Pour nous, Occidentaux, il s’agit de garantir l’accès des femmes à des postes de responsabilité dans l’Église. Dans d’autres endroits, il s’agit juste de donner une voix aux femmes dans le processus synodal. Nous ne partons pas de la même position. L’intérêt de ce synode a été pour chacun de mieux appréhender la situation réelle de l’Église dans les autres coins du monde.

Cette expérience vous habite, mais pour les fidèles de l’extérieur, qui ne l’ont pas vécue, les résultats des discussions semblent pour l’instant mineurs. Bien d’entre eux se disent déçus.
Oui, cela se comprend. Pour éviter de décourager les gens, des décisions exemplaires, symbolisant l’avancée du Synode, doivent être prises.

Concernant les femmes, j’espère que le document final demandera des engagements contre les abus dont elles sont victimes dans le monde entier. On peut penser qu’un plus grand nombre de diocèses vont se décider à donner de vraies responsabilités aux femmes. Ou à ouvrir plus largement les études théologiques aux femmes. Cela doit évoluer. Le document pourrait aussi demander à ce que les femmes théologiennes soient impliquées dans la formation des futurs prêtres. Cette question de la formation a été débattue à l’assemblée.

Vous avez fait partie des membres de l’assemblée qui ont répondu à l’invitation du Dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF) à rencontrer des expert du «groupe 5», celui des études sur les femmes. Avec une première rencontre le 18 octobre jugée très décevante et une deuxième le 24 octobre, en présence cette fois du cardinal préfet Víctor Manuel Fernández. Qu’en retirez-vous?
Comme cela a été dit dans la presse, la première réunion n’en a pas été une. C’était un simple compte-rendu du DDF. La deuxième s’est mieux déroulée. Nous avons pu poser des questions directement au cardinal Fernández, ce qui est déjà un changement important, et il y a répondu… de manière diplomatique.

Fondamentalement, rien de nouveau n’y a été dit. Le cardianl a surtout évoqué le fonctionnement du «groupe 5»,  la «réanimation» de la 2e commission sur le diaconat féminin et a rappelé la préparation d’un document magistériel du DDF sur la position des femmes dans l’Église. J’en retiens néanmoins qu’en l’état des choses le diaconat des femmes reste une possibilité, que les arguments en sa faveur ou à son encontre ne sont pas suffisants déterminants pour l’instant. On peut considérer cela comme un progrès.

«J’ai rencontré des femmes du monde entier qui sentent un appel, une vocation diaconale, et cela n’a rien à voir avec une position idéologique.»

Je pense toutefois qu’il faut être sérieux avec la synodalité. Le diaconat des femmes a été un thème de la première assemblée. Il a certes été sorti de la deuxième session, pour être confié à un groupe d’expert, mais il faudra qu’il soit réintroduit dans la circularité de l’espace synodal, d’une manière ou d’une autre, en accord avec la nature de l’Église.

Les évêques de Belgique ont plaidé lors de la préparation à la 2e Assemblée du Synode pour que les conférences épiscopales ou les assemblées épiscopales continentales puissent prendre certaines mesures propres, comme ouvrir l’accès au diaconat des femmes. Cela ne semble pas en prendre la direction.
J’ai participé au Synode aussi pour faire avancer le discernement à ce sujet. Le chemin va être long… J’ai rencontré des femmes du monde entier qui sentent un appel, une vocation diaconale, et cela n’a rien à voir avec une position idéologique. Présenter la question comme non mûre pour la contrer est un très mauvais argument. C’est en tout cas mûr en Belgique et dans d’autres pays d’Europe. (cath.ch/lb)


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