Les dépenses en armement nucléaire ont fortement augmenté en 2023 | © USMissile Defence
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Le prix Nobel de la paix 2024 dénonce «la dissuasion nucléaire»

Le prix Nobel de la paix 2024 a été attribué le 11 octobre 2024 à l’organisation japonaise Nihon Hidankyo pour son combat contre l’arme atomique. «Le tabou de l’utilisation des armes nucléaires» est sous pression, s’est alarmé le comité Nobel lors de son annonce. Une inquiétude partagée par l’Église, du Japon notamment, comme l’a rappelé le nouveau cardinal Isao Kikuchi.

Le mouvement Nihon Hidankyo rassemble les survivants des deux premières – et uniques – utilisations d’armes nucléaires au combat, ceux des bombes larguées en 1945 par les Etats-Unis à Hiroshima et Nagasaki. Nihon Hidankyo a été fondé en 1956 pour faire pression sur le gouvernement japonais pour qu’il apporte un soutien accru aux survivants et à leurs familles, mais aussi pour faire pression sur les gouvernements du monde entier afin qu’ils abolissent les armes nucléaires.

À l’annonce de son prix, Toshiyuki Mimaki, l’un des coresponsables du mouvement, a tenu à souligner les risques d’embrasement actuels. «On a dit que, grâce aux armements nucléaires, la paix serait maintenue à travers le monde. Mais les armes nucléaires peuvent être utilisées par des terroristes. Et si la Russie, par exemple, les utilise contre l’Ukraine, et Israël contre Gaza, cela ne s’arrêtera pas là.»

L’engagement sans faille du Vatican depuis 1948

Cet équilibre par la terreur est régulièrement dénoncé par l’Église depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ses alertes n’ont cessé d’aller en crescendo. En février 1948, le pape Pie XII qualifiait le nucléaire de «l’arme la plus terrible que l’esprit humain ait conçue jusqu’à présent». Jean XXII, à qui on doit la première condamnation formelle des armes nucléaires dans la lettre encyclique Pacem in Terris, écrit que «les êtres humains vivent dans le cauchemar d’un ouragan qui peut éclater à tout moment avec une force inimaginable». Quant au pape François, il mentionne l’existence des armes nucléaires comme un risque de «suicide pour l’humanité».

Depuis le début de son pontificat, François insiste sur l’urgence de l’élimination de l’arsenal nucléaire: par des déclarations, comme en 2015 dans son message à la Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, par la ratification par le Saint-Siège du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires en 2017, ou par des actes symboliques, comme avec sa visite au Mémorial de la paix à Hiroshima, le 24 novembre 2019…

Une atteinte grave à l’œuvre de Dieu

Parmi les arguments moraux mis en avant par l’Église, figure le devoir imparti à l’humain de tout faire pour préserver la dignité de l’homme et, plus largement, l’intégrité de la création. Le paragraphe 80 de Gaudium et Spes indique que «tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation». Bien que ce passage ne mentionne pas explicitement les armes nucléaires, il est largement interprété comme une condamnation de leur utilisation, étant donné leur capacité de destruction massive et indiscriminée.

L’homme a la responsabilité de préserver la création divine, rappelle encore l’Église. Les armes nucléaires, par leurs effets dévastateurs à long terme sur l’environnement, vont à l’encontre de ce devoir, souligne-t-elle. Les radiations nucléaires persistent en effet pendant des décennies, voire des siècles, contaminant les sols, l’eau et l’air. Elles affectent non seulement les êtres humains, mais aussi la flore et la faune, perturbant des écosystèmes entiers. Cette destruction à grande échelle de l’environnement est vue comme une atteinte grave à l’œuvre de Dieu.

Le cercle vicieux de la peur, au Japon et dans le monde

À l’annonce du lauréat 2024 du Prix Nobel de la paix, le nouveau cardinal Isao Kikuchi, président de Caritas Internationalis et archevêque de Tokyo, a déclaré à Crux que l’Église catholique du pays n’oubliera pas ce qui s’est passé à Hiroshima et Nagasaki et qu’elle doit continuer à faire pression pour l’abolition des armes nucléaires. C’est le cas au Japon, où l’Église appelle activement à l’abolition des armes atomiques, notamment lors des dix jours de prière annuels pour la paix d’aout. «Le pape Jean-Paul II a effectué une visite historique à Hiroshima en 1981, avec un message fort en faveur de la paix. Les évêques japonais ont été encouragés par ce message du Saint-Père et ont institué les dix jours de prière pour la paix», rappelle-t-il.

Le mémorial de la paix, à Hiroshima, au Japon | © cotaro70s/Flickr/CC BY-ND 2.0

Le cardinal japonais dit encore regretter que «certains détenteurs de ces armes ne soient toujours pas prêts à les abandonner pour établir les fondements d’une paix durable dans le monde». Le gouvernement japonais lui-même refuse de signer le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires alors même qu’il  «devrait être le premier à approuver ce traité, souligne-t-il. Mais il hésite à le faire, «estimant que l’instauration d’un climat de confiance entre les pays n’est pas suffisante».

Record des dépenses en armes nucléaires

Depuis le début de la guerre menée par la Russie en Ukraine, l’inquiétude grandit, en effet, quant à l’éventuelle dimension nucléaire du conflit, que ce soit en raison de l’utilisation d’armes nucléaires tactiques par les forces russes ou de l’endommagement d’installations nucléaires en Ukraine à la suite des combats. Le président russe Vladimir Poutine a laissé entendre à plusieurs reprises que la Russie pourrait utiliser des armes nucléaires si l’OTAN ou d’autres forces occidentales s’impliquaient directement dans le conflit. Il l’a encore fait le 25 septembre 2024, lors d’une allocution devant le Conseil de sécurité de la Russie.

Résultat, selon la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (Ican), les dépenses mondiales consacrées aux armes nucléaires ont augmenté de 13% en 2023, pour atteindre le chiffre record de 91,4 milliards de dollars. Cette hausse est en partie due à une forte augmentation des budgets de défense américains. (cath.ch/ag/crux/lb)

Les dépenses en armement nucléaire ont fortement augmenté en 2023 | © USMissile Defence
14 octobre 2024 | 15:14
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 4  min.
Armes nucléaires (42), guerre (457), Hiroshima (21), Japon (99), Nucléaire (20), Prix Nobel (24)
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