Synode: le pape «très afro-prudent»
La 2e phase du synode sur la synodalité est ouverte à Rome depuis le 2 octobre 2024. Si François veut éviter des diversions, la délégation africaine a ses objectifs. Après avoir fait reculer le pape sur Fiducia supplicans en 2023, le cardinal Ambongo, archevêque de Kinshasa en République démocratique du Congo, et les évêques africains sont déterminés à imposer la voix du continent.
Max Savi Carmel, pour cath.ch
«Seule l’unité fera entendre notre voix!», a clamé le cardinal Fridolin Ambongo à Nairobi en avril dernier. Dans la capitale kényane, l’archevêque de Kinshasa veut peaufiner les positions car sur de nombreux sujets, les leaders ecclésiastiques divergent. Si le président du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et Madagascar (SCEAM), s’est réjoui de ce que, lors de la première phase en octobre 2023, «l’Afrique ait influencé les débats». Il entend, fort de la popularité que lui a conférée son opposition catégorique à la bénédiction des couples homosexuels, «amplifier la voix du continent».
Selon son entourage, le cardinal respectera «la volonté du pape de concentrer le Synode sur la synodalité«, mais il passera, par diverses voies dont le lobbying, des interventions et autres rencontres pour évoquer les sujets qui intéressent l’Afrique: la fermeté contre l’homosexualité, la question de la polygamie ou encore l’opposition au diaconat féminin. Et pour y arriver, le très méthodique capucin a multiplié les sessions préparatoires.
Minutieuse préparation
En arrivant à Rome début octobre, Fridolin Ambongo est plus qu’optimiste. «Nous allons nous faire entendre sans ambiguïté», murmure-t-il. Et pour ce faire, l’ex professeur de l’Université catholique de Kinshasa a sa méthode. Pendant 14 semaines, des rencontres hebdomadaires ont réuni théologiens, experts et prélats africains entre le 6 juin et le 6 septembre, autour de «l’avenir de l’Eglise en Afrique». Selon plusieurs sources concordantes, un travail d’échanges a été effectué pour préparer les participants des autres continents à «être attentifs aux préoccupations de l’Afrique».
Le fait que le Saint-Père ait convoqué les mêmes participants qu’en 2023, «est un atout pour l’Afrique» selon l’archevêque de Kinshasa. «Ils connaissent les rouages et ont une certaine expérience» se réjouit-il. Car au-delà de la synodalité, le cardinal veut aborder d’autres sujets et «faire peser l’Afrique dans les débats». Il pourra, outre les 67 participants africains, compter sur son confortable réseau à Rome, mais surtout sur les autres prélats africains qui ont salué, «son opposition à la bénédiction des couples homosexuels». Pour Mgr Andrew Nkea Fuanya, président de la Conférence épiscopale du Cameroun, «personne ne parlera à notre place si nous nous taisons». L’archevêque de Bamenda a déjà prévenu: «Nous retournons à la deuxième session du Synode avec le même rejet véhément de Fiducia supplicans«,
Une Afrique qui se radicalise
Cheveux densément crépus et barbes de deux jours, toujours souriant, Mgr Nkea Fuanya discute début septembre avec des fidèles de sa cathédrale Saint-Joseph-de-Bamenda (nord-ouest du Cameroun). Mais cet intransigeant prélat est déjà trop occupé par le synode. Le 23 août, lors d’une réunion préparatoire, il invitait déjà appeler l’Eglise africaine à «savoir dire non». Depuis Fiducia supplicans, cette Eglise se radicalise sur les questions d’actualité. Et le chef de file de cette tendance est l’archevêque de Bamenda. Proche du cardinal Ambongo, il met en garde: «si l’Eglise caresse les partisans des déviations dans le sens du poil, elle est perdue».
Mgr Nkea Fuanya dénonce la bénédiction de couples gays, l’ordination des femmes, le remariage des divorcés. Participant au synode, sa fermeté impressionne ses pairs. «L’Eglise n’a pas une obligation de s’adapter à la modernisation» car selon lui, «elle porte un message immuable depuis 2000 ans». Tout comme le prélat camerounais, la grande majorité des délégués africains au synode craignent que «les décisions du Pape ne fragilisent la doctrine du fait de leur légèreté». Ils arrivent à Rome pour crier leur «fermeté».
François attentif à l’Afrique
Depuis avril, le souverain pontife se fait remonter des notes sur les diverses positions des épiscopats africains, aussi bien par les nonciatures que par les rares prélats qui lui sont acquis sur les questions d’actualité. «Il est très afro-prudent», confie un prêtre béninois en poste au Vatican. «Il a peur d’une méfiance généralisée du continent à son égard et devrait, lors du synode, être attentif à l’Afrique.» Pour ce dernier, François rassurera les évêques qu’il rencontrera et veut définitivement, «fermer la page de Fiducia supplicans” sans pour autant «se dédire publiquement». Le pape peut compter sur Stephen Brislin, un de ses proches qu’il a créé cardinal l’an dernier pour maintenir le dialogue avec la partie australe du continent. Même si, comme la majorité des évêques sud-africains, l’intrépide Mgr Dabula Mpako n’entend rien lâcher. Pour l’archevêque de Pretoria, participant au synode, «l’Eglise doit s’accrocher à ses racines», a-t-il confié à cath.ch à quelques jours de l’ouverture du Synode. Le pape devra faire attention à ne pas raviver les tensions, notamment à l’égard de la délégation africaine.
Le défi de l’espérance
L’espérance est la préoccupation des délégués du continent qui ont publié un commentaire en 20 chapitres sur le Rapport de Synthèse (RS) de la première phase, tout en faisant part de leurs préoccupations pour cette nouvelle assemblée. Le document porte bien son titre, «Marcher dans l’espérance» et devrait «déchainer l’espoir» selon le cardinal Ambongo. Pour la Sœur Katungé Léonida qui a coédité le document «ce commentaire a été conçu pour stimuler des discussions plus étendues et localisées en Afrique». Elle appelle «à s’engager dans un discernement théologique et pastoral sur la polygamie», un sujet qui préoccupe le continent au-delà des débats du Synode. Pour la grande majorité des participants venus d’Afrique, les problèmes du continent sont différents et ne peuvent pas être tous abordés à Rome. De retour en Afrique, il faudra poursuivre le débat, «un débat focalisé sur les spécificités de chaque région». Un avis largement partagé par Mgr Andrew Nkea Fuanya.
Le prélat camerounais met tout de même en garde contre «une Eglise d’Afrique» car pour lui, «c’est au cœur de l’Eglise universelle que l’Afrique fera entendre sa voix». Et malgré les divergences, s’il y a quelque chose sur lequel les épiscopats africains sont unanimes, c’est de «maintenir intrinsèquement le lien avec Rome». (cath.ch/msc/bh)