Belgique: une Eglise à la proche périphérie de Rome
Le pape François va passer trois jours en Belgique du 26 au 29 septembre 2024, un pays fortement sécularisé. À travers ce voyage motivé par les 600 ans de l’Université catholique de Louvain, le pontife va à la rencontre d’une Église marquée par la crise des abus sexuels.
Les chiffres sont éloquents. En 2013, année de l’élection du pape François, la Belgique comptait 3094 prêtres diocésains. Ils sont désormais 2066, selon les dernières données fournies par le Saint-Siège. Et la courbe n’est pas près de s’inverser. «Les prêtres catholiques belges sont très âgés et beaucoup vont partir en retraite», témoigne Caroline Sägesser, chercheuse au Centre de recherche et d’information socio-politique. «L’Église de Belgique doit faire appel à un clergé venu de l’étranger, de Pologne et du Congo», poursuit la spécialiste des cultes et de la laïcité. Elle précise que ces arrivées ne se font pas sans difficultés tant les contextes culturels sont différents.
«Le pape aime aller dans les lieux où la foi catholique est bousculée, où l’Église n’a plus sa position dominante», confie l’archevêque de Malines-Bruxelles, Mgr Luc Terlinden, qui voit dans la venue du pape un «grand soutien». Le jeune archevêque n’est pas catastrophé par le processus qui s’opère dans son pays depuis les années 1970. «En devenant minoritaire, l’Église catholique, en réalité, a retrouvé sa position normale», estime-t-il.
Le pape François face aux étudiants
C’est probablement dans cet état d’esprit que le pape François s’adressera aux étudiants des universités catholiques de Louvain. C’est pour célébrer le 600e anniversaire de cette université – séparée entre les deux communautés linguistiques du pays en 1968 – que le pape François a organisé ce déplacement.
La nouvelle de sa venue en Belgique, officialisée en mai dernier, a créé la surprise, aussi bien à Bruxelles qu’à Rome. Au début de son pontificat, le pape argentin avait prévenu qu’il souhaitait visiter les pays à la périphérie de l’Église, ceux qui ne l’avaient pas été par ses prédécesseurs. Mais l’invitation du recteur de l’Université de Leuven (côté flamand) et la persévérance du roi Philippe de Belgique ont convaincu le pontife de bientôt 88 ans de se rendre dans le ‘Plat pays’.
Près de 40 ans après le premier voyage de Jean Paul II en Belgique, François se rendra donc dans les universités de Leuven puis de Louvain-la-Neuve (côté wallon). L’accueil du pape devrait y être moins tumultueux qu’en 1985: le pape polonais avait été questionné sans ménagement sur son conservatisme, et s’était vu inviter à réformer l’Église catholique quant à la place des laïcs et surtout celle des femmes.
«Nous allons mettre en lumière certains désaccords», assure toutefois Françoise Smets, l’actuelle rectrice de l’université de Louvain au média CathoBel. «La place des femmes nous semble être un sujet particulièrement important sur lequel la position de l’Église peut sans doute encore progresser », explique-t-elle.
Le pape François aurait prévu de parler principalement de la question migratoire lors de sa première rencontre à l’Université de Leuven. Il devrait, à Louvain-la-Neuve, orienter son discours sur la question du climat et de l’écologie. Les thématiques de l’éco-féminisme et de l’éco-anxiété pourraient intervenir dans son échange avec les étudiants. Selon Matteo Bruni, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, la parole du pape devrait permettre de comprendre «comment le christianisme a encore quelque chose à dire à la culture européenne».
«Il serait logique que le pape parle de l’euthanasie»
Un autre thème que le pape pourrait évoquer, notamment devant les autorités, est celui de l’euthanasie, légalisée en Belgique en 2002. Selon les données officielles, le nombre d’euthanasies pratiquées légalement dans ce pays continue d’augmenter (2699 en 2021, 2966 en 2022 et 3423 en 2023).
«Ce serait logique qu’il en parle», souffle une source bien investie dans l’organisation du voyage. Lors de son voyage en Asie et en Océanie au début du mois, le pape François a insisté à de nombreuses reprises sur la défense de la vie et de la famille, allant jusqu’à qualifier de «crocodiles» les cultures occidentales qui les menacent. Mais il est peu probable que le pape François, adopte un ton péremptoire, même sur ces thématiques sur lesquelles il ne transige pas. «L’Église en Belgique est une Église qui ne dicte plus les choses, elle écoute, elle suggère mais ne veut surtout pas faire de vagues», poursuit notre source.
Le pape face aux abus sexuels dans l’Église
Le pape François sait qu’il arrive dans un contexte où le sentiment anticlérical est fort et où l’Église est fortement décrédibilisée par les scandales d’abus sexuels. La diffusion l’an passé sur la télévision publique flamande VRT d’un documentaire intitulé Godvergeten (Les oubliés de Dieu), a soulevé une onde d’indignation.
«La série n’a pas apporté beaucoup d’éléments nouveaux mais, en donnant la parole aux victimes, elle a provoqué un électrochoc au niveau de la société et la création d’une nouvelle commission d’enquête», confie Caroline Sägesser. Treize ans auparavant, l’Église en Belgique avait déjà dû faire face à une vague de scandales ayant engendré la mise en place de commissions d’enquêtes.
Le cas le plus emblématique fut celui de l’évêque de Bruges, Roger Vangheluwe, qui a démissionné de sa charge en 2010 après avoir reconnu avoir abusé sexuellement d’un neveu. Le cardinal Danneels, qui avait quitté sa charge d’archevêque de Malines-Bruxelles un an auparavant, se trouva mis en cause sur sa gestion des affaires d’abus. Les perquisitions menées dans le cadre de «l’opération Calice» furent un traumatisme pour les évêques belges, la police allant jusqu’à confisquer l’ordinateur personnel de l’ancien primat et à inspecter des tombes dans la cathédrale. Mgr Vangheluwe a été renvoyé de l’état clérical par le Vatican en mars dernier. Le pape François pourrait mentionner cette affaire, a expliqué Matteo Bruni.
Le Premier ministre libéral Alexandre de Croo avait exigé ce renvoi de Mgr Vangheluwe, en faisant une condition sine qua non «pour la bonne tenue de cette visite». Un indice clair du peu d’enthousiasme du gouvernement à l’égard de ce déplacement papal, qui ne fait l’objet d’aucune affiche et d’aucune communication publique dans la capitale belge, des paroisses étant même incitées à faire profil bas. Cette semaine, certains Bruxellois n’ont appris la venue du pontife que par des écriteaux avertissant de probables difficultés de circulation sur certains axes durant la visite du pape.
Grandes tensions dans l’Église belge
«La question des abus demeure brûlante», souffle un prêtre de Bruxelles. Au point que la conférence des évêques de Belgique n’a jamais imaginé que le pape puisse venir chez eux sans rencontrer de victimes. Si le Saint-Siège n’a pour l’heure pas confirmé de rendez-vous, le pape François devrait bien recevoir 15 victimes, six hommes et neuf femmes. «Il y a parmi elles des personnes d’une grande misère et dont la vie a été détruite», indique-t-on à I.MEDIA.
Le 24 septembre, une des victimes a révélé avoir écrit au pape François pour lui expliquer qu’il ne souhaitait plus le rencontrer. «J’ai été tenté de venir te voir, […], je pensais te demander des comptes, mais au final, je me suis rendu compte que ça ne m’aidera d’aucune façon», écrit-il dans une lettre relayée par la RTBF.
Preuve de la grande tension présente en Belgique au sujet des abus: l’évêque de Hasselt a annoncé le 24 septembre qu’il ne participerait pas aux célébrations publiques entourant la visite du pape en Belgique. En cause? Mgr Patrick Hoogmartens a expliqué n’avoir pas été assez vigilant dans un hommage rédigé à la suite du décès d’un prêtre qui s’était rendu coupable de violences sexuelles dans les années 1970. «Je comprends que je n’ai pas été assez attentif, ce qui nous a conduits à blesser une victime de violences. J’en suis profondément désolé. J’ai présenté mes excuses à la victime», a-t-il écrit.
Un encouragement du pape aux évêques belges?
Au-delà de la Belgique, le voyage du pape François s’inscrit dans une géographie et une temporalité loin d’être anecdotiques. Dès son retour dimanche s’ouvrira une séquence décisive pour le pontificat de François: la dernière session du Synode sur la synodalité. Ce vaste chantier lancé en 2021 et qui doit rendre l’Église catholique plus inclusive et participative a révélé de grandes disparités entre les Églises locales. Le Synode pourrait déboucher sur un processus de décentralisation visant à donner aux Églises locales une latitude plus grande pour adopter des pratiques pastorales correspondant à leurs réalités.
Il s’agit là d’un exercice sensible que les évêques de Belgique ont déjà pratiqué, avec l’assentiment du pape François. En 2022 par exemple, près d’un an avant la déclaration Fiducia supplicans autorisant la bénédiction non-liturgique des couples de mêmes sexes, les Belges avaient diffusé une prière «avec des personnes homosexuelles». Comme un prémisse de la future déclaration romaine élargissant cette possibilité à l’Église universelle.
«Nous avons notre façon de faire, nous ne sommes pas identiques à l’Allemagne», avait confié le cardinal Jozef De Kesel, archevêque de Malines-Bruxelles, au sortir d’une audience avec le pape François quelques jours après la publication de leur prière. Sans doute que le pontife aura été séduit par cette méthode qui ne rentre pas en opposition frontale avec Rome. En accordant une visite pastorale à un pays frontalier de l’Allemagne – que le pape n’a jamais visité et dont l’Église a engagé un bras de fer avec Rome sur des questions sensibles -, le pape François pourrait envoyer quelques messages. (cath.ch/imedia/hl/bh)