Église vaudoise: la justice climatique et sociale a son ambassadrice
Depuis le 1er aout 2024, le Département Solidarités de l’Église catholique vaudoise (ECVD) a un nouveau secteur d’activité: la justice climatique et sociale. Une évolution logique, selon son responsable Roberto de Col, pour un service qui a pour boussole la doctrine sociale de l’Église et qui se doit d’inclure toute la Création. Une nouvelle agente pastorale a été engagée à cette fin: Lucia Castro Navia.
L’annonce d’emploi de l’ECVD annonçait déjà la couleur. L’objectif de fond du nouveau poste est «de répondre aux cris de la terre et des pauvres», en accord avec l’encyclique Laudato si’ du pape François.«La justice sociale et la justice environnementale, climatique notamment, se répondent, soutient Roberto de Col. Comme nous l’enseigne le pape François, l’homme, la nature et la terre sont liés. À son encyclique Laudato si’ (2015) a d’ailleurs succédé son encyclique Fratelli tutti (2020).»
De grandes ambitions
Mais par où commencer? Lucia Castro Navia est appelée à devenir une personne ressource en transition écologique pour les paroisses, à mettre en place des conférences et formations autour de la justice climatique et sociale, à faire le lien avec les œuvres d’entraides catholiques sur ces questions… Les ambitions sont grandes. Un peu trop?
Roberto de Col se veut optimiste. Il ne s’agit pas pour la nouvelle agente pastorale de partir de zéro. La voie a été ouverte par Jean-Claude Huot, en charge de la promotion de l’enseignement social de l’Église jusqu’à sa retraite début 2024. Convaincu de la nécessité d’une conversion écologique, il avait établi des liens dans ce sens avec des ONG chrétiennes, comme Action de Carême, Missio ou la plateforme Dignité et Développement. À l’avenir, EcoEglise, le réseau de communautés chrétiennes romandes engagées dans le soin de la Création, va certainement continuer à être un partenaire privilégié du Département Solidarités vaudois, annonce Roberto de Col.
Un pas après l’autre
«Nous partons de cette interrogation, explique Roberto de Col: comment aider l’Église à faire une différence en terme environnemental, à participer à la conversion écologique?» Beaucoup d’outils existent déjà, remarque-t-il. Une des tâches de Lucia Castro Navia sera de les trier selon leur efficacité, puis de les faire connaître. «Ce n’est pas seulement une question de rénovation énergétique du bâtiment, qui engage le conseil de paroisse. Il nous faut penser à impliquer toute la communauté, à agir au niveau de nos institutions, de nos paroisses mais aussi, plus largement, de la société dans son ensemble», précise-t-il.
La nouvelle chargée de justice climatique va donc se rendre sur le terrain, rencontrer les acteurs déjà engagés ou des gens intéressés.Avec l’idée de créer un petit groupe de personnes sensibles à cette question dans l’Église du canton. Cette tache de réseautage peut sembler chronophage, mais «il y a un temps à investir indispensable au début», remarque Roberto de Col.
Le Service Justice climatique et sociale se verrait bien endosser à la fois le rôle d’«eco-ambassadeur» et de centre de communication. Beaucoup d’initiatives autour de l’écologie sont prises dans le canton de Vaud, mais elles sont peu coordonnées et restent en ordre dispersées. Un agenda partagé, qui vient d’être mise en route par EcoEglise, pourrait suppléer à ce problème et permettre à chacun de se tenir informé de ce que font d’autres. «Nous comptons aussi proposer l’an prochain un programme solide pour le Temps de la Création. Ce sera là un cap important, décisif pour faire comprendre en Église vaudoise l’importance de la question environnementale», estime Roberto de Col.
L’apport spirituel de l’Église
L’ancien responsable du Département de la jeunesse (PASAJ) de l’Église vaudoise se défend de faire du greenwashing comme il se l’entend reproché parfois, d’instrumentaliser l’argument écologique «à la mode» pour améliorer l’image de l’Église. «Nous avons quelque chose de spécifique à apporter à cette question», souligne-t-il. La solidarité et la justice environnementale demandent une conversion spirituelle, «une adaptation de nos rapports aux biens matériels notamment, qui rejoint le concept de sobriété heureuse». Et à ceux qui se désolent de voir l’Église quitter la platebande «spiritualité et foi» pour flirter ainsi avec la politique, il rappelle que ce que demande l’Évangile, en premier, c’est de soigner nos relations. «Avec les autres bien sûr, en aimant l’autre comme nous-même, mais aussi avec la Terre, comme nous y invite le pape François.»
Se préparer en amont des crises
L’objectif ultime du nouveau poste de l’ECVD pourrait bien être finalement de préparer intérieurement les gens à vivre tout ce qui va se passer extérieurement. Les «coming-out écologiques», comme il les nomme, se déroulent généralement en trois phases. «Il y a d’abord une prise de conscience des choses, puis une observation de ses propres ressentis face à la réalité, et enfin ce questionnement: qu’est-ce que j’en fais? Vais-je m’armer et faire des conserves dans ma cave comme les survivalistes ou prôner la solidarité avec les personnes impactées?»
Lucia Castro Navia aura donc pour tâche d’aider les acteurs en Églises, les paroissiens et plus largement l’ensemble des Vaudois à ouvrir leur conscience écologique, et de les inciter à agir. Et pour chacune de ces catégories, le Département Solidarités se propose d’utiliser des outils d’éveil et d’action différents. La démarche est devenue indispensable, insiste Roberto de Col, les crises environnementales n’allant qu’en s’aggravant. (cath.ch/lb)
Lucia Castro Navia, un alliage de volonté et de cœur
Lucia Castro Navia est uruguayenne, mariée et mère de trois petits enfants. Elle est venue s’établir en Suisse il y a cinq ans, à Bex plus exactement, pour suivre son mari qui y avait trouvé un emploi comme agent pastoral. Les débuts n’ont pas été simples. Habituée à travailler, engagée dans l’Église de son pays, Lucia s’est retrouvée pour la première fois en Europe… en plein covid!
À l’entendre évoquer sa vie, sa spiritualité inspirée par saint Ignace et son nouveau travail de réseautage pour la promotion de la justice climatique et sociale, on se dit que celui-ci est fait pour elle.
«Je viens d’une famille catholique de la classe moyenne. J’étais active en Uruguay dans la Communauté de vie chrétienne (CVX), une association internationale de laïcs inspirés par la spiritualité ignatienne et tournés vers la prière et l’action. Mon engagement en Eglise date de mes 18 ans, de ma confirmation. Elle se fait chez nous plus tard qu’en Suisse. J’ai vécu une conversion intérieure, avec un grand désir d’engagement pour la justice sociale. C’était en 2002. Mon pays traversait une forte crise économique et sociale. Des gens dormaient dans les rues, frappaient aux portes pour demander à manger. Je me suis dis que je devais faire quelque chose.»
Lucia Castro Navia choisit d’étudier l’économie, pour chercher des solutions à la crise et aider ses victimes. Puis elle travaille comme chargée d’évaluation de politiques publiques en éducation et auprès d’ONG. En même temps, elle s’engage comme bénévole dans sa paroisse, trouvant dans la grande communauté de l’Église un écho à ses préoccupations.
«J’ai rencontré mon mari là-bas, durant une retraite ignatienne axée sur les péchés structurels, qui m’a amenée à réfléchir à ma propre contribution aux péchés systémiques du monde et à ce que je mettais sous le mot ›prochains’. J’ai ressenti que ceux-ci étaient toute la création, la nature et la Terre entière.»
Une expérience intérieure qui l’habite encore et la pousse à agir non pas par simple volontariat, mais par amour, avec la foi pour point d’ancrage. «En période de crise, on peut bien sûr fermer les yeux et rester à se regarder le nombril. C’est notre cœur qui va nous faire lever la tête pour regarder les autres, tous les vivants.» LB