La Via Francigena, pour contempler la beauté de l’héritage chrétien
Des vignes de Lavaux à la basilique St-Pierre de Rome, Dominique de la Barre a parcouru la partie méridionale de la Via Francigena. Un cheminement spirituel au cœur de l’histoire de la chrétienté qu’il raconte dans son ouvrage Via Francigena. Itinerrances sur le chemin de Rome (Éditions Nevicata).
«De San Miniato a San Gimignano (Toscane, ndlr), la Via se déroule parmi l’un des paysages les plus beaux au monde, fruit de la terre et du travail des hommes.» (Via Francigena. Itinerrances sur le chemin de Rome, p. 121). Raconter la beauté née de Dieu et celle créée par l’esprit humain. Telle a été l’une des motivations de Dominique de la Barre pour parcourir entre 2013 et 2014, à l’âge de 55 ans, les 900 km séparant Lausanne de Rome.
Le trajet en question est celui de la Via Francigena (la voie des Francs), un itinéraire de pèlerinage allant de la ville anglaise de Canterbury à Rome, en passant par la France, la Suisse et l’Italie. Il désigne le faisceau de chemins par lesquels les francs étaient descendus en Italie au 8e siècle. Son tracé actuel se fonde sur celui de Sigéric, consacré archevêque de Canterbury en l’an 990, et du récit de son retour qu’il en a tenu, étape par étape.
Drames en série
Dominique de la Barre a transformé, en dix ans, son carnet de voyage en récit documenté et poétique retraçant les grandes étapes de sa marche en Suisse et en Italie. Pour le Belge d’origine, installé dans le canton de Vaud depuis 25 ans, il s’agissait du premier pèlerinage de sa vie. «J’avais toujours été attiré par cela, mais je n’avais jamais eu réellement le temps de m’y consacrer», confie-t-il à cath.ch lors d’une rencontre à Lausanne.
Plusieurs événements vont l’amener à mettre une fois pour toutes ses pas dans ceux de Sigéric. Tout d’abord, un besoin de recul sur sa vie, alors que des drames l’assaillent: travaillant dans le monde de la finance, il est licencié à deux reprises par la même personne. Son père décède en 2013, alors qu’il apprend qu’une de ses proches est atteinte d’une grave maladie. «Aux funérailles de mon père, ma mère m’a mis dans la main le chapelet de ce dernier, en me disant: ‘Vas-y’.»
Le symbole extérieur du chemin intérieur
Un mois plus tard, il endosse son sac à dos. Une démarche où se mêle désir de retraite et de rédemption. «Le moment était venu d’entamer l’ascension de la colline sur laquelle avait été fondée la ville de Lausanne au Moyen Age, le sac à dos lourd du poids de l’âge, de la gueule de bois que provoquait le souvenir des déconvenues professionnelles, lourd enfin de tous ces péchés dont Jésus le Christ était venu nous soulager» (p 9), écrit-il dans son livre.
Il est conscient de devoir faire avancer sa vie, que le pèlerinage n’est que le symbole extérieur d’un cheminement intérieur. «J’ai effectué ce parcours en portant ce chapelet, qui représente mon père, vers le pays où j’ai passé une partie de ma jeunesse.» Dominique de la Barre, fils de diplomate, a en effet vécu à Rome de 1970 à 1976. D’où, en partie, ce choix de la Via Francigena, face à d’autres chemins de pèlerinage plus connus.
Pèlerin «au fur et à mesure»
«Au-delà de mon attachement à l’Italie, la Via Francigena correspondait à deux piliers de ma vie que sont l’histoire et la foi catholique. Dans aucun autre pays du monde, certainement, il est possible de contempler autant de beauté, un si grand rassemblement de patrimoine naturel et architectural. Le nord de l’Italie est une région densément peuplée. Dans chaque petit village, il y a une église. Partout on trouve des chapelles. Et le catholicisme est profondément ancré dans la culture. Il est courant qu’en ouvrant la porte d’un café, l’on tombe sur une photo de Padre Pio ou d’un autre saint.»
Dans l’ouvrage, les explications historiques succèdent ainsi aux descriptions d’édifices, alors que la piété se lit toujours entre les lignes. Une dimension naturelle pour l’auteur, habité d’une «foi sincère». Il est ainsi très sensible à la dynamique du pèlerinage, même si celle-ci ne s’est pas offerte à lui immédiatement. «Au début, je ne savais pas exactement si j’effectuais une marche ou un pèlerinage. L’expérience du pèlerinage, je l’ai découverte au fur et à mesure.»
La «démarche» au-delà de la «marche»
Une étape en particulier changera sa vision. «C’était à Mortara, une localité un peu perdue dans la plaine du Pô. J’y ai rencontré un curé du nom de Don Nunzio. Il m’a hébergé dans une halle assez austère. Le soir, j’ai été invité à partager le repas dans une petite salle. Nous étions quatre en tout, avec le curé. Nous regardions à la télévision une célébration du pape François, qui venait d’être élu. Avec cette nourriture toute simple mais savoureuse, cet accueil tout simple mais chaleureux, j’ai eu un déclic, j’ai pleinement saisi le sens de ma démarche.»
Car la «démarche», et non la «marche», définit pour Dominique le pèlerinage, qui est un effort «orienté» vers un but précis. «Le pèlerinage, c’est de jour en jour vivre avec le strict nécessaire et pourtant ne manquer de rien, c’est donner une pièce au mendiant aveugle assis sur les marches de l’église San Paolo et recevoir sa bénédiction en retour, c’est chuter, se relever, puis repartir», explique-t-il, paraphrasant son livre.
Re-connaître la culture chrétienne de l’Europe
Au-delà de l’aspect spirituel, Via Francigena. Itinerrances sur le chemin de Rome, vise l’objectif plus prosaïque de promouvoir cet itinéraire, aujourd’hui encore méconnu.
Pour Dominique de la Barre, la ‘voie des Francs’ possède des atouts exceptionnels qui la distingue des autres itinéraires à dimension religieuse. «La Via Francigena peut nous rappeler des enseignements importants, que l’on soit croyant ou non. Pour les Suisses, il est important de savoir que cette route inscrit le pays au centre culturel de l’Europe. C’est d’ailleurs à Lausanne que la Via Francigena se croise avec la route de Compostelle, l’autre grand parcours spirituel du continent. Mais la ‘voie des Francs’ nous fait découvrir très simplement ce que la civilisation chrétienne a produit de beau. Mon livre n’est pas apologétique, ni religieux, mais je pense qu’il peut sensibiliser à la re-connaissance de la culture et de la civilisation chrétienne, qui s’est aujourd’hui émoussée. C’est pour moi un souci, parce qu’aucune société ne peut vivre déracinée de son propre espace culturel.» (cath.ch/rz)
En 2018, cath.ch avait présenté les expériences de plusieurs journalistes sur des tronçons de la Via Francigena en Suisse.
Originaire de Belgique, Dominique de la Barre est né en 1958 à Khartoum (Soudan). Fils de diplomate, il passe son enfance dans plusieurs pays, notamment d’Amérique latine. Jeune homme, il vit six ans en Italie. Il rencontre ensuite sa femme, fille d’un diplomate allemand, à Vienne. Tous deux sont issus de familles catholiques. Dans les années 1990, ils déménagent en Suisse, où Dominique de la Barre fait carrière dans le monde de la finance. Il travaille aujourd’hui à Genève dans deux institutions financières. Il est également membre de l’Association suisse pour la Via Francigena. RZ