Manokwari, capitale de la province indonésienne de Papouasie occidentale. Derrière cette image de carte postale, une réalité dramatique se joue | wikimedia commons CC-BY-SA-3.0
International

Les Papous d’Indonésie se rappellent au monde lors du voyage du pape

Le voyage du pape François en Océanie est une occasion rare pour les Papous d’Indonésie d’interpeller le monde sur leurs souffrances. «Le peuple papou souhaite que le Saint-Siège devienne médiateur en vue de négociations de paix entre le gouvernement indonésien et le Mouvement uni de libération de la Papouasie occidentale», peut-on lire dans la lettre du 5 septembre de Justice et Paix France.

La visite du pape François en Papouasie Nouvelle-Guinée, du 6 au 9 septembre 2024, a permis à ce pays peu médiatisé, aux Papous et à leur Église, de se faire un peu plus connaître. Pour leurs voisins, les Papous de Papouasie occidentale, c’est également là une opportunité exceptionnelle d’attirer l’attention internationale sur leur situation politique et humanitaire. Ils dénoncent les crimes commis contre leur peuple par l’Indonésie, visité juste avant par François.

Des indépendantistes durement réprimés

La Papouasie occidentale est traversée depuis des décennies par un conflit opposant le gouvernement indonésien et les indépendantistes papous autochtones. Cette province indonésienne fait partie d’un territoire plus large annexé par l’Indonésie en 1962, suite à l’accord de New York. La partie orientale de l’île a acquis son indépendance en 1975, prenant le nom de Papouasie Nouvelle-Guinée.

La partie ouest de l’île de Nouvelle-Guinée, sous contrôle indonésien, a été baptisée au départ Irian Jaya. Elle a été renommée Papouasie en 2000 par le président Wahid, puis scindée en deux en 2003 par le gouvernement suivant de la présidente Megawati. Avec d’un côté la Papouasie, et de l’autre, à l’extrême ouest de l’île de Nouvelle-Guinée, la Papouasie occidentale.

Cette séparation est contestée par le mouvement indépendantiste Organisation pour une Papouasie libre et par son pendant politique, le Mouvement uni pour la libération de la Papouasie occidentale (ULMWP). Depuis 2019, les autorités indonésiennes ont déployé sur l’île un imposant contingent de soldats. De nombreux indépendantistes ont été arrêtés et des défenseurs des droits humains emprisonnés ou poursuivis. La répression s’est encore durcie depuis mars 2023, dénonçait dans un rapport Human Rights Monitor, partenaire du Conseil œcuménique des Églises (COE) sur les questions de conflit et de droits de l’homme en Papouasie occidentale.

Une impunité bien installée

Dans la lettre publiée le 5 septembre par la Commission Justice et Paix France, Octovianus Mote, vice-président exécutif du ULMWP, s’indigne de la persistance de cette oppression. Celle-ci est rendue possible «parce que le monde a honteusement tourné le dos» aux Papous de la région. Malgré les efforts de la Commission indonésienne des droits de l’homme, aucun cas de violation de ces droits ne fait l’objet de poursuites judiciaires. Les observations sur place sont du reste très difficiles, voire impossibles, car la zone est considérée comme militaire et contrôlée par l’armée Indonésienne. Touristes, journalistes, travailleurs humanitaires et observateurs des droits humains n’y sont pas les bienvenus.

Directeur d’Amnesty International Indonésie, Usman Hamid soulignait en 2022 que «la Papouasie est l’un des trous noirs de l’Indonésie dans le domaine des droits humains. C’est la région où les forces de sécurité ont pendant des années été autorisées à tuer des femmes, des hommes, des enfants, sans craindre de devoir assumer la moindre responsabilité.»

Un racisme d’État dénoncé

En Papouasie, on n’hésite pas à parler d’ethnocide, voire de génocide. «La lutte du peuple papou est plus qu’une lutte pour l’indépendance, affirme Octovianus Mote, de l’ULMWP. C’est une lutte pour la survie contre un génocide d’État ancré dans le racisme. Il s’agit d’une lutte existentielle contre une menace existentielle. Depuis le début, les Papous occidentaux – des personnes à la peau brune et aux cheveux bouclés – ont été traités comme des sous-hommes, leur vie étant considérée comme sacrifiable.»

«Les Papous sont qualifiés de peuples primitifs et incultes», renchérit Markus Haluk, une figure laïque catholique papoue du diocèse de Jayapura. «De nombreuses personnalités indonésiennes n’hésitent pas à nous traiter de cannibales et nous comparent à des primates.»

Pour cet homme engagé dans l’Église, la cause est entendue. «Le gouvernement indonésien veut transformer les Papous en Indonésiens», dénonce-t-il. Il a mis en place un programme d’indonésianisation comprenant notamment la destruction des langues régionales et des us et coutumes papous, le déplacement forcé des Papous, la destruction de leur habitat, etc.

«La superficie de la forêt naturelle de Tanah Papouasie a diminué de près de 663’500 ha au cours des vingt dernières années, chiffre qui s’élève de plus en plus avec le temps», indique-t-il. L’une des principales causes de la déforestation est l’octroi de permis pour des plantations d’huile de palme et l’exploitation minière. «Les données de la Fondation Pusaka, de Greenpeace et de Forest Watch Indonesia montrent que chaque année, le taux de déforestation en Papouasie triple», déclare de son côté Dipa Arif, un pacifiste indonésien.

Le peuple papou serait «en voie d’extinction»

Aujourd’hui les Papous sont minoritaires dans leur territoire. Selon le ULMWP, le pourcentage d’autochtones en Papouasie occidentale serait inférieur à 40% et cette proportion devrait encore baisser. «Si l’on compare le taux de mortalité des Papous indigènes à celui des migrants indonésiens en Papouasie, il apparaît clairement que le peuple papou est menacé d’extinction», affirme Markus Haluk sur le site de Justice et Paix France.

L’Église a insufflé la conscience papoue

Pour le Père Mecky Mulait, prêtre papou du diocèse de Jayapura, le silence de la communauté internationale et de l’Église est un scandale. Il a rédigé en 2028 un mémoire de master intitulé Diocèse de Jayapura, une Église au pouvoir transformateur dans un contexte de violations des droits de l’homme en Papouasie. Si l’Église a longtemps apporté de l’espoir aux Papous qui souffrent, ce n’est plus le cas aujourd’hui, dénonce-t-il.

«L’évangélisation a pacifié la société papoue, longtemps marquée par des violences tribales. Le dévouement des premiers missionnaires (du 19e siècle) a donné un élan extraordinaire à l’Église locale: en moins d’un siècle, 95% des Papous sont devenus chrétiens, dont un tiers catholique. Plus d’une centaine de prêtres papous ont été formés depuis 1895. L’un d’entre eux a été ordonné évêque en 2023.» L’Église a ainsi contribué à faire émerger une identité nationale papoue, qui transcende les intérêts des clans, confirme l’Aide à l’Église en détresse (AED).

Rien d’étonnant donc à ce que dimanche 8 septembre, 20’000 catholiques de toute la région, notamment de Papouasie occidentale, se soient rendus à la rencontre du pape François, à Vanimo, siège d’un diocèse au nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, marchant pour certains trois jours dans la jungle.

A Vanimo, le pape François n’a pas hésité à porter une coiffe traditionnelle | © Vatican Media

Un conflit nationaliste qui s’étend à l’Église

Mais au sortir de la colonisation hollandaise, dans les années 1960, la Nouvelle-Guinée occidentale est tombée sous la domination indonésienne. Et son Église aussi. Aujourd’hui, pour l’Église de Papouasie occidentale, «la survie des papous n’est guère une priorité, affirme le Père Mecky Mulait, surtout lorsque ceux-ci résistent à l’occupation indonésienne. L’Église catholique indonésienne adhère au principe patriotique du ›cent pour cent catholique et cent pour cent indonésien’. (…) Le sentiment nationaliste qui domine le clergé indonésien va au-delà de l’essence-même de leur vocation de prêtre ou d’évêque.»

Le prêtre papou s’alarme d’une division de la communauté catholique, notant que «les catholiques papous ne voient aucune raison de rester dans l’Église indonésienne» et qu’ils sont de plus en plus nombreux à vouloir rejoindre la Conférence épiscopale Papouasie-Nouvelle-Guinée et Îles Salomon. «En tant que prêtre papou, je m’interroge sur l’attitude de la hiérarchie de l’Église catholique. Comment peut-elle continuer à prier pour les victimes de la guerre en Ukraine et à celles de la Palestine, tout en gardant le silence sur la tragédie humanitaire en Papouasie occidentale?» interroge-t-il.

Appel mondial à la prière et à la médiation du Vatican

Pour Markus Haluk, la visite du pape en Indonésie et en Papaouasie-Nouvelle Guinée est justement une occasion en or pour l’Église d’agir par la prière et la diplomatie en faveur des Papous de Papouasie occidentale. «Les évêques d’Indonésie ainsi que d’Asie, du Pacifique, et du monde entier doivent faire preuve de solidarité: un appel mondial à la prière et à l’action est nécessaire pour sauver la chrétienté en Papouasie occidentale, avec ses tribus mélanésiennes menacées d’extinction», lance-t-il.

Ce laïc engagé dans le diocèse de Jayapura appelle en outre le Vatican à l’action diplomatique. Le «peuple papou souhaite que le Saint-Siège devienne médiateur en vue de négociations de paix entre le gouvernement indonésien et l’ULMWP», affirme-t-il. (cath.ch/justice-et-paix/lb)

Manokwari, capitale de la province indonésienne de Papouasie occidentale. Derrière cette image de carte postale, une réalité dramatique se joue | wikimedia commons CC-BY-SA-3.0
9 septembre 2024 | 17:07
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 6  min.
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