Qui paiera pour le social si les Églises n'ont plus d'argent?
Aujourd’hui en Suisse, les Églises reconnues par l’État perdent des recettes en raison des sorties des institutions. Or, outre les aspects cultuels, elles assurent de nombreuses prestations sociales. Si elles ne peuvent plus les assumer, l’État prendra-t-il en charge ces dépenses qui qui se chiffrent en millions? Plusieurs cantons alémanique s’interrogent sur la question.
Barbara Ludwig, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
A Lucerne, la question préoccupe le monde politique. Les Églises reconnues de droit public remplissent des tâches largement reconnues et considérées comme «très importantes pour la société», qui dépassent souvent largement les intérêts de leurs propres fidèles, peut-on lire dans une motion déposée récemment par les Verts au parlement de la ville.
L’érosion des finances menace les activités ecclésiales
Du moment que le nombre de membres des Églises reconnues ne cesse de diminuer et que l’impôt ecclésiastique des entreprises est politiquement controversé au niveau cantonal, les Églises risquent de ne plus pouvoir financer leurs prestations actuelles à moyen terme, avertissent les Verts.
Ailleurs, la tendance est la même. L’érosion des finances menace de mettre un terme aux prestations fournies par les Églises. Sans qu’il soit certain que d’autres acteurs puissent et veuillent combler ce vide.
Mais combien d’argent les Églises investissent-elles dans des activités sociales qui ne profitent à la société dans son ensemble? Quels sont les enjeux? kath.ch a posé la question à quelques corporations ecclésiastiques catholiques.
40% du budget à Lucerne
La corporation catholique romaine du canton de Lucerne consacre chaque année environ 40% de son budget à des prestations destinées à l’ensemble de la société, indique Armin Suppiger, responsable des finances au sein du Conseil synodal. En 2023, cela a représenté 4,4 millions de francs. Cet argent est par exemple utilisé pour l’aumônerie dans les prisons et les hôpitaux, celle de la police et des pompiers. Il est également versé à des œuvres caritatives.
L’Église accorde en outre des subventions à des institutions et des associations, comme l’organisation de jeunesse Jungwacht-Blauring, les scouts, la pastorale de rue et l’hospice de Suisse centrale, où sont prises en charge des personnes atteintes de maladies incurables. Contrairement aux Églises dans d’autres cantons, l’Église lucernoise ne reçoit pas de contribution directes du canton pour ces activités en faveur de la société.
Plus de quatre millions en Argovie
En 2023, l’Église cantonale d’Argovie a dépensé 4,1 millions de francs pour des prestations destinées à l’ensemble de la société et environ 847’000 francs pour des prestations partiellement destinées à l’ensemble de la société, a indiqué la chargée de communication Jeannette Häsler.
Le poste le plus important, avec environ 1,8 million de francs, est celui de l’aumônerie dans les hôpitaux et les homes. L’œuvre d’entraide Caritas a reçu des contributions plus importantes pour ses services sociaux régionaux (245’000 francs) et le travail social dans les autres langues (532’380 francs). L’Église soutient également les activités de jeunesse de Jungwacht-Blauring, la Ligue argovienne des femmes catholiques, la Main tendue, le service d’aide contre l’endettement, le centre d’hébergement d’urgence Hope à Baden et la maison d’accueil pour femmes d’Argovie/Soleure.
L’an dernier, le canton d’Argovie a participé à hauteur d’environ 825’800 francs aux coûts des prestations fournies à l’ensemble de la société.
A noter que l’Église catholique romaine dans le canton, avec l’Église évangélique réformée, ont annoncé, le 21 août 2024, retirer leurs offres des écoles publiques du canton, en partie à cause de l’impossibilité de les financer.
Contributions remarquables à Zurich
A Zurich, les chiffres évoluent dans des proportions considérables. La corporation ecclésiastique catholique du canton a dépensé en 2023 un total d’environ 35,1 millions de francs pour des prestations en faveur de la société, correspondant à 68% des fonds dépensés. Les prestations se répartissaient entre le social/la diaconie (21 millions de francs), la formation (13,4 millions de francs) et la culture (environ 650’000 francs). La contribution aux coûts du canton de Zurich est également remarquable, puisqu’elle s’est élevée, en 2023, à 23,4 millions de francs.
Rien que pour la diaconie, les paroisses zurichoises ont dépensé 30,1 millions de francs.
Environ 22 millions à St-Gall
Dans le canton de Saint-Gall, il n’est pas possible d’obtenir des chiffres précis sur les prestations de l’Église pour la société dans son ensemble. Selon Roger Fuchs, responsable de la communication, la corporation catholique dispose d’un budget de 76 millions de francs. Pour répartir les différents postes en fonction des prestations à l’ensemble de la société, il faudrait engager des ressources en personnel considérables, explique Roger Fuchs.
Il énumère les domaines dans lesquels les catholiques saint-gallois fournissent des prestations à la société: travail parmi les jeunes, bibliothèque de l’abbaye, archives de l’abbaye, contributions à l’œuvre d’entraide Caritas et à différents services de consultation comme «Mütter in Not» (mères en détresse). L’aumônerie dans les prisons et les hôpitaux en fait également partie. «En gros, avec toutes ces contributions, nous arrivons à 22 millions de francs de prestations pour l’ensemble de la société», explique le responsable de la communication. Là aussi, il s’agit d’une contribution importante.
A Saint-Gall aussi, le canton participe en partie aux coûts de ces activités, en versant notamment une contribution à l’aumônerie des prisons. Et l’hôpital cantonal de Saint-Gall participe aux coûts de l’aumônerie hospitalière. Tout en indiquant ne pas disposer des chiffres, Roger Fuchs souligne que de nombreuses prestations sociales sont fournies directement par les paroisses.
Des sommes impressionnantes à Berne aussi
La secrétaire générale de l’Église dans le canton de Berne, Regula Furrer, explique que les paroisses sont les principales fournisseuses de prestations à la société. En 2021, les paroisses et la corporation ecclésiastique ont dépensé ensemble un total de 39,8 millions de francs pour les prestations à l’ensemble de la société – en 2020, il s’agissait de 42,8 millions de francs.
La part de l’Église cantonale s’est élevée à 10,5 millions de francs pour chacune des deux années. Selon Regula Furrer, le fait que l’Église cantonale finance moins de prestations pour l’ensemble de la société s’explique par le fait que les aumôneries spécialisées – par exemple dans les hôpitaux et les prisons – sont directement payées par le canton.
Le canton de Berne détermine, lui, ce qui est considéré comme service pour l’ensemble de la société. En font partie le travail avec les enfants et les jeunes, les offres pour les personnes âgées, les personnes touchées par la pauvreté, les migrants et les requérants d’asile.
Comme à Zurich, les activités sont réparties dans les domaines du social, de la formation et de la culture. C’est à Berne que l’Église catholique consacre le plus d’argent au social, avec 26,8 millions de francs (2020) et 23,5 millions (2021). Pour la formation, ce sont respectivement 12,6 millions et 12,1 millions de francs.
Le travail bénévole vaut des millions
Regula Furrer relève que l’Église bernoise indique en outre au canton l’ampleur du travail bénévole non rémunéré. En 2021, la valeur du travail non rémunéré s’élevait à 13,1 millions de francs, et à 12,1 millions de francs en 2022. En évoquant cela, la secrétaire générale attire bien sûr l’attention sur une réalité du bénévolat très présente dans l’Église en général.
A Berne aussi, les Églises reconnues reçoivent des contributions du canton, mais seulement depuis 2020. Une partie de la contribution cantonale, à savoir 4,3 millions de francs par an, est versée à l’Église catholique pour les prestations qu’elle fournit à l’ensemble de la société. Cette part est redéfinie tous les six ans par le Grand Conseil, écrit la secrétaire générale. Lors de la prochaine session de septembre, il le fera pour les années 2026 à 2031. Par ailleurs, à Zurich, une décision politique concernant les contributions du canton aux frais des communautés religieuses reconnues est également attendue.
Moins d’argent en Suisse romande
Pour la Suisse romande, où seuls deux cantons (FR et JU) connaissent l’impôt ecclésiastique, la situation est assez différente. Les tâches sociales assumées par les Églises sont couvertes, au moins en partie, par des contributions des cantons. Dans le cadre de la signature d’une nouvelle convention avec l’État de Vaud, la Fédération catholique romaine (FEDEC-VD) a publié un rapport sur ses divers types d’activités. (cath.ch/kath/bal/arch/rz)