Le deuxième polar de Geoffroy de Clavière est sorti au printemps 2024 | © Bernard Hallet
Suisse

Le deuxième polar de Geoffroy de Clavière, chasseur de mécènes à l’ECR

«Je ne me considère pas comme un écrivain mais comme un auteur qui raconte des histoires.» Geoffroy de Clavière vient pourtant de publier son deuxième roman, un polar noir dont la trame paraît à mille années-lumière de son engagement professionnel au sein de l’Église catholique de Genève (ECR). Mais les récits de vie et de mort n’habitent-ils pas la Bible elle-même?

Les amateurs de cinéma le connaissent, et les proches de l’Église de Genève aussi. Cet ancien comédien, publicitaire, secrétaire général d’un parti politique est aujourd’hui un personnage phare de l’équipe de recherche de fonds de l’ECR.

En charge de ses relations avec les mécènes et délégué général des Rendez-vous cinéma ›Il est une foi’, Geoffroy de Clavière participe dans ses temps libres à des ateliers d’écriture, écrit des nouvelles… et publie des romans chez Slatkine. La stratégie du père en 2009, qui a pour toile de fond un trafic pédophile international, et Passeport pour l’oubli en 2024, une enquête policière où les mensonges du passé ressurgissent, disséminant dans leur sillage quelques cadavres.

Argent, politique, violences sexuelles et Église s’entremêlent dans votre premier polar. Des ingrédients que l’on retrouve dans votre deuxième livre, sauf en ce qui concerne l’Église. Est-ce une omission ›politique’?
Geoffroy de Clavière:
En aucun cas. L’Église était présente dans La stratégie du père car mes deux principaux personnages étaient un milliardaire et un évêque qui profite des orphelinats pour alimenter en enfants le réseau de traite. Rien de tel dans mon nouveau roman.

La stratégie du père, du reste, est beaucoup plus dur et violent que Passeport pour l’oubli. Je l’ai écrit suite à l’affaire Dutroux (1996), qui a fait surgir toute une littérature autour des sérials sexuels, des psychopathes isolés, mais sans que les trafics pédophiles soient vraiment évoqués.

Vous avez écrit comme exergue, en ouverture du livre, «Qui cache un secret n’interroge pas les autres.» Qu’entendez-vous par là?
Le sentiment de culpabilité et le besoin de rédemption, déjà évoqués dans La stratégie du père, occupent une bonne place dans mon deuxième roman, même si les religions, la foi en Dieu et la spiritualité proprement dites sont absentes. Le chemin de rédemption de Simon Labrosse, le personnage principal, relève plus de la psychanalyse.

Ce marchand d’art vit depuis des années avec un lourd passé, un secret bien enfoui. Cela le rend un peu «nonchalant» dans ses relations. Il s’investit peu, même auprès de sa femme qu’il aime. À un moment donné, mon personnage dit: «On ne touche pas à ma boîte noire.» Mais un enchaînement d’événements dramatiques le conduit à prendre conscience des conséquences de ses actes sur son entourage. À dépasser péniblement son déni. Dès qu’il est confronté à une réalité qui le renvoie à son passé, il tombe d’ailleurs dans les pommes.

Tout remonte brusquement, comme sous l’effet de grandes vagues… Le prologue de «Passeport pour l’oubli» décrit, avec des effets très visuels, le tsunami en Indonésie de 2004. Estampe japonaise de Katsushika Hokusai, ‘Under the Wave off Kanagawa’, (1825-1838), Art Institut of Chicago | © wikimedia/CC0 1.0

Cela ne sert à rien d’essayer de cacher les choses, ni de se les cacher à soi-même. Tout finit par remonter. Pour les croyants, familiers avec la notion de jugement dernier, c’est une vérité intégrée. Mais pour les autres, c’est moins évident.

Vous avez travaillé dans le milieu politique et aujourd’hui vous cherchez des mécènes pour l’Église genevoise, des postes de «représentation», qui demandent un bon contrôle de soi. L’écriture est-elle pour vous un exutoire? Aurait-elle même une vertu cathartique?
Nous avons tous ›le monstre’ en nous. Nous passons notre temps sur Terre à tenter de le contrôler et de l’empêcher de s’exprimer. Le curseur se positionne juste différemment pour chacun.

Personnellement, je ne me considère pas comme un écrivain mais comme un auteur qui raconte des histoires. Comme il en existe dans bien des traditions orales ou écrites.

À commencer par la Bible?
Tout à fait! Les histoires de l’Ancien Testament ont construit notre imaginaire et elles sont parfois d’une grande violence. C’est une source d’inspiration précieuse pour les romanciers! Ses récits sont pleins de fureur, de jalousie, mais aussi de tendresse et d’amour. Toute la symbolique est là pour nous aider à nous diriger vers le Bien et à avancer avec confiance sur ce chemin. Cela commence avec Abraham, qui s’apprête à sacrifier son fils Isaac à Yahvé, mais que l’ange de Dieu arrête à temps. Et la Bible se termine sur l’Apocalypse, une histoire de dévoilement, où on peut «voir» surgir par exemple les quatre cavaliers de l’apocalypse. C’est très spectaculaire, très cinématographique.

Dans votre polar, la famille n’est pas nécessairement un cadeau. C’est famille je vous Haime?
Oui, un peu. Le comité d’›Il est une foi’ a tenté de choisir la famille comme thème d’une édition précédente, mais il a vite abandonné. Nous ne trouvions, dans notre ligne artistique, que des films de confrontation, de destruction ou de haine, comme Festen de Vinterberg ou Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman.

La famille est un lieu de concentration des émotions, elle a donc une place importante dans mes romans. Dans Passeport pour l’oubli, la femme de Labrosse agit comme un fil rouge silencieux, puisqu’elle est dans le coma.

| © Slatkine

La culture occupe une place de choix dans votre vie. Quels liens faites-vous entre les arts et la spiritualité?
Ce sont deux remparts essentiels contre la barbarie. L’affiche de la prochaine édition d’’Il est une foi’ tournera sans doute d’ailleurs autour de la Beauté. Mais j’aurais tendance à dire que ce lien se délite. Nous sommes pourtant des privilégiés. Dans des villes comme Genève, Lausanne, Paris ou Londres, nous sommes entourés de culture. Nous pouvons nous accorder du temps pour aller au théâtre, pour visiter un musée, mais nous ne sommes plus nécessairement dans la rupture. Une des fonctions de l’art est de rompre avec les règles en vigueur, mais quand il tombe dans le politique, qu’il se détache du spirituel et prend le visage du militantisme, il perd de sa fonction créatrice. (cath.ch/lb)

Le deuxième polar de Geoffroy de Clavière est sorti au printemps 2024 | © Bernard Hallet
24 juillet 2024 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 4  min.
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