Première aumônière musulmane de l'armée, Nida a réalisé un rêve
La Fribourgeoise musulmane Nida-Errahmen Ajmi (28 ans) a terminé en juin 2024 sa formation d’aumônière de l’armée suisse. Elle raconte son parcours et la façon dont elle a été soutenue dans cet environnement essentiellement masculin.
Barbara Ludwig, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Le premier aumônier de l’armée d’origine musulmane a été nommé il y a deux ans. Vous êtes donc la première femme de confession musulmane à occuper cette fonction. Comment vivez-vous cela?
Nida-Errahmen Ajmi: Cela a été la concrétisation d’un rêve que je nourrissais depuis 2019. A l’époque, les personnes de confession musulmane ne pouvaient pas encore devenir aumônier à l’armée, cela n’a été possible que plus tard. Au cours des trois dernières années, j’ai tout donné pour atteindre cet objectif. Le jour de ma nomination, j’étais très heureuse d’être admise dans ce cercle. Non pas parce que je suis musulmane, mais parce que je pense que l’aumônerie militaire est l’endroit où je peux le mieux m’investir.
Nida-Errahmen Ajmi a grandi à Fribourg. Suissesse d’origine tunisienne, elle travaille comme responsable de la communication pour le mouvement ATD Quart Monde. Elle est titulaire d’une licence en sciences de l’information et de la communication et d’un master en sciences religieuses. BAL
Qu’est-ce qui vous a motivée à faire votre service militaire?
Lorsque j’ai reçu l’invitation à la journée d’information, j’ai pensé que c’était impossible, que l’armée n’était pas pour moi. Mais avec le temps, j’ai remis cela en question. Car j’aime vivre des expériences fortes qui me permettent d’apprendre des choses. Je me suis finalement dit que l’armée correspondait bien à mon mode de vie: on y apprend la discipline, la camaraderie. Et c’est un élément important de mon pays.
Lors du recrutement, j’étais la seule femme à obtenir le score minimum de 65 points. Avec ce nombre de points, il est possible d’être engagé dans les trois quarts des fonctions de l’armée. Cela m’a motivée de savoir que j’étais physiquement et mentalement capable d’effectuer un service militaire. Aujourd’hui, l’armée occupe une place importante dans ma vie.
Vous avez ressenti plus tard le désir de devenir aumônière de l’armée. Comment cela s’est-il passé?
Pendant mon service en tant que soldate du train (les soldats du train assurent la logistique à l’aide de chevaux sur des terrains impraticables ou lorsque les voies de transport sont interrompues, ndlr), j’ai ressenti un certain besoin de soutien: en tant que femme musulmane, francophone et citadine, je me sentais parfois un peu mal à l’aise dans un environnement germanophone, majoritairement masculin et à dominante rurale.
La personne qui m’a le plus aidée dans cette situation a été ma lieutenante, une femme originaire du Tessin. Elle a vécu des choses similaires. C’est aussi à ce moment-là que j’ai appris qu’il existait une aumônerie militaire. Je me suis dit que s’il y avait dans l’aumônerie une personne ayant les capacités de cette femme, cela m’aiderait beaucoup. Quelqu’un qui perçoit les choses non dites, notamment les difficultés auxquelles certaines personnes sont confrontées.
»L’aumônerie me plaît parce que c’est un lieu où la spiritualité et l’individualité des gens sont reconnues»
Dans l’armée, j’ai pu constater que j’attirais des personnes ayant besoin d’une écoute. Des hommes homosexuels qui avaient peur de parler ouvertement de leur orientation se sont confiés à moi. J’aime l’aumônerie parce que c’est un lieu où la spiritualité et l’individualité des gens sont reconnues. Je pense que ce service me permet de servir davantage l’armée et la société suisse que quand j’étais soldate du train.
Comment avez-vous vécu, à l’école de recrues, le fait d’être une femme musulmane, d’appartenir à ces deux minorités?
Je suis en outre une francophone. Cet aspect a joué un rôle beaucoup plus important pour moi. Parce que les ordres étaient donnés en allemand. Les Romands et les Tessinois doivent faire un effort supplémentaire pour comprendre ce qui est dit. C’est parfois un peu difficile. J’ai fait beaucoup d’efforts et je parle maintenant assez bien l’allemand. Le fait de faire partie de la minorité féminine n’est venu qu’en deuxième position. Et le fait d’être musulmane n’a guère joué de rôle pendant mon service.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontée en tant que femme?
J’avais parfois l’impression que je devais en faire deux fois plus pour être reconnue. Et ma lieutenante m’a alors dit: je comprends, car j’ai aussi vécu cela. Personne ne veut freiner la troupe. Par exemple, si vous êtes la seule femme et que vous êtes toujours celle qui retarde tout le monde, qui ne peut pas porter ses affaires, les gens ne vous reprocheront pas d’être faible, mais d’être une femme.
«Il est important qu’il y ait des gens prêts à défendre le pays et ses valeurs»
Avez-vous vécu de telles situations?
Non, je suis assez forte et endurante physiquement. Mais j’ai remarqué que certains supérieurs font plus attention aux petits détails chez les femmes. Il est par exemple très important que les chaussures soient très propres. Une fois que mes chaussures n’étaient pas très propres, j’ai eu droit à une remarque. Peut-être font-ils plus attention à ce genre de détails chez nous, les femmes, parce que nous sommes peu nombreuses dans l’armée.
Les personnes qui veulent travailler dans l’aumônerie militaire doivent notamment suivre une formation civile qui les y autorise. Où avez-vous acquis cela?
J’ai obtenu un Certificate of Advanced Studies en «aumônerie musulmane dans les institutions publiques». Ce cours est proposé par le Centre suisse islam et société (CSIS) à l’Université de Fribourg.
En quoi consistait votre formation d’aumônière au sein de l’armée?
La formation s’est déroulée en trois séquences d’une semaine et a été vraiment enrichissante. J’étais la seule musulmane. Les responsables de la formation ont toujours eu beaucoup d’égards pour moi. Ils ont toujours travaillé avec des contenus qui parlent à tout le monde, même s’ils étaient parfois issus de la Bible ou de diverses traditions chrétiennes. Pour eux aussi, c’était un exercice intéressant, car à l’armée, en tant qu’aumôniers, nous avons tous notre propre foi, mais nous sommes là pour tous.
L’idée de devoir tuer des personnes en cas de guerre vous a-t-elle préoccupée?
Oui. Avant de m’engager, j’ai téléphoné à un service qui répond aux questions des futurs soldats. J’ai demandé ce qui se passerait s’il y avait une guerre. On m’a répondu: «Dans ce cas, vous serez bien sûr engagée pour défendre le pays. En Suisse, nous avons une armée qui sert vraiment uniquement à la défense.» Donc si je devais un jour faire usage de la force, ce serait uniquement pour protéger les habitants de mon pays. Cela me convient. Il est important qu’il y ait des gens prêts à défendre le pays et ses valeurs. Si une situation d’urgence devait se présenter un jour, cela ne me serait peut-être pas facile. J’espère en tout cas qu’elle ne se produira jamais. (cath.ch/kath/bal/rz)